22/02/2005
"Philosophistique"
« L’Etranger : [...] l’art fondé sur l’opinion, lequel est une partie de l’art de la contradiction [...] lequel se rattache à l’art de produire des images, [...] lequel se spécialise dans les discours et fabrique des prestiges, voilà, peut-on dire, "la lignée et le sang" dont le véritable sophiste descend, et l’on dira, selon moi, l’exacte vérité. »
[...] « L'Etranger : C'est que, réellement, cher jeune homme, notre recherche est extrêmement difficile. Qu'une chose apparaisse ou semble, sans cependant être, et que l'on dise quelque chose, sans cependant dire la vérité, voilà que tout cela est plein de difficultés, non seulement à l'heure actuelle et dans le passé, mais toujours. Car il est tout à fait difficile de trouver un moyen pour expliquer comment est-il nécessaire que dire ou penser le faux soit réel, sans être empêtré dans une contradiction quand on prononce cela.
Théétète : Pourquoi ?
L'Etranger : Parce que cet argument a l'audace de supposer que le non-être existe, car, autrement, le faux ne pourrait pas devenir une chose qui est. Mais le grand Parménide, mon enfant, quand nous-mêmes étions des enfants, témoignait de cela d'un bout à l'autre, aussi bien en prose qu'en vers, chaque fois qu'il disait : "Que ceci ne soit jamais imposé : qu'il y a des choses qui ne sont pas. Quand tu recherches, éloigne ta pensée de ce chemin. » (Platon, Le Sophiste).
« Ceux qui insistent sur la différence entre l’être et le néant feraient bien de nous dire en quoi elle consiste » (Hegel, Science de la logique).
« Ceux qui se posent la question de savoir s’il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents n’ont besoin que d’une bonne correction, et ceux qui se demandent si la neige est blanche ou non n’ont qu’à regarder. » (Aristote, Topiques).
Peut-être.
Pourtant, pourtant, l'opposition statique entre philosophie et sophistique n'est-elle pas une dogmatique stérile ? Cela revient à faire l'économie du biais par lequel le vrai peut se proférer : le langage lui-même, ses myriades de ruses, de gouffres et de révélations inopinées. Toute parole s'autorise du seul fait qu'elle parle. Ce qui se dit avec Lacan : « Il n'y a pas de métalangage ».
La philosophie et la sophistique sont en état de perpétuel encerclement mutuel. Leur distinction est a priori indécidable. Mais elle doit, à chaque fois, être décidée. Et la décision ne peut se faire qu'à l'issue d'un impitoyable affrontement des discours (oui, d'une logomachie aussi...) et de créations conceptuelles inouïes. C'est une guérilla incertaine, une guérilla interne au penseur lui-même. Il est notoire en effet que la pensée est ce qui s'impose à qui ne l'a pas pensé.
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