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01/04/2023

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« Nul ne peut plonger ses racines dans l’éternité sans s’être débarrassé du concept de nombre. » (Eckhart)

 

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« Par cette insubordination du séjour, le séjournant transitoire insiste sur sa persistance. » (Heidegger)



 

26/03/2022

In illo tempore

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04/02/2022

More Maiorum

« Tout ce qui est, est en Dieu, et rien, sans Dieu, ne peut ni être ni être conçu. »

(Spinoza, Éthique, Livre I, Proposition XV)

 

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Aristotélisme

Le changement est une caractéristique du monde. Toutefois, le changement est aussi l'actualisation d'un potentiel. Ainsi, l'actualisation d'un potentiel est-il une caractéristique du monde. Aucun potentiel ne peut être actualisé à moins d'être actualisé par quelque actuel déjà actualisé. Tout changement est donc causé par quelque actuel déjà actualisé.

L'advenue de tout changement C présuppose donc quelque chose ou substance S qui change. L'existence de S à un instant donné présuppose elle-même l'actualisation concomitante du potentiel d'existence de S. C'est pourquoi toute substance S à un instant donné relève d'un A qui actualise son existence.

La propre existence de A au moment où il actualise S présuppose elle-même soit l'actualisation simultanée de son propre potentiel d'existence, soit qu'A est purement actuel. Si l'existence de A lorsqu'il actualise S présuppose l'actualisation simultanée de son propre potentiel d'existence, alors il s'agit d'une régression d'actualisateurs simultanés qui est, soit infinie, soit s'achève avec un actualisateur purement actuel.

Une telle régression d'actualisateurs simultanés constituerait une série causale hiérarchique, mais une telle série ne peut faire l'objet d'une régression infinie. Par conséquent, soit A lui-même est un actualisateur purement actuel, soit existe un actualisateur purement actuel qui achève la régression qui commence avec l'actualisation de A.

L'advenue de C, et donc l'existence de S à un instant donné, présuppose-t-elle ainsi l'existence d'un actualisateur purement actuel. Il existe donc un actualisateur purement actuel.

Qu'il y ait plus d'un actualiseur purement actuel signifierait qu'existerait quelque caractéristique différenciant chacun de ces actualisateurs, caractéristique manquant donc à tous les autres. Une telle différence ne serait envisageable que si un actualisateur purement actuel avait un potentiel non actualisé ; mais étant purement actuel, il ne peut en avoir. Une telle caractéristique différenciante n'existe donc pas, et il est alors impossible qu'il y ait plus d'un actualisateur purement actuel. Il n'existe donc qu'un seul actualisateur purement actuel.

Pour être en mesure de changer, celui-ci devrait avoir des potentiels susceptibles d'actualisation. Étant purement actuel, il n'en possède pas. Ainsi est-il immuable et incapable de changement. Si cet actualisateur purement actuel existait dans le temps, il serait capable de changement ; ce qu'il n'est pas. Cet actualisateur purement actuel est donc éternel, i.e. existe hors du temps. Si cet actualisateur purement actuel était matériel, il serait alors capable de changement et existerait dans le temps, ce qui n'est pas le cas. L'actualisateur purement actuel est donc incorporel. Imparfait en quelque façon, il possèderait quelque potentiel inactualisé ; mais étant purement actuel, il n'en possède pas. Ainsi, l'actualisateur purement actuel est-il parfait. Ne pas être pleinement bon implique privation, et donc ne pas pouvoir actualiser quelque caractéristique. Un actualisateur purement actuel, étant purement actuel, ne peut en être privé. Il est par conséquent pleinement bon.

Avoir de la puissance signifie être capable d'actualiser des potentiels. Tout potentiel actualisé est soit actualisé par l'actualisateur purement actuel, soit par une série d'actualisateurs qui s'achève par l'actualisateur purement actuel. On peut donc en déduire que toute puissance provient de l'actualisateur purement actuel : l'actualisateur purement actuel est omnipotent.

Tout ce qui se trouve dans un effet se trouve en quelque façon aussi dans sa cause, soit formellement, virtuellement, ou éminemment (principe de causalité proportionnelle). L'actualisateur purement actuel est la cause de toutes choses. Par conséquent, les formes manifestées en toutes choses qu'il cause doivent en quelque façon se trouver dans l'actualisateur purement actuel. Ces formes existent soit de manière concrète, soit de façon abstraite i.e. dans les pensées d'un intellect. Elles ne peuvent exister dans l'actualisateur purement actuel de la même manière qu'elles existent dans les choses particulières. Ainsi doivent-elles exister dans l'actualisateur purement actuel de façon abstraite, i.e. telles des pensées dans un intellect. On en déduit alors que l'actualisateur purement actuel est doué d'un intellect ou d'intelligence.

Puisque ce sont les formes de toutes choses qui se trouvent dans les pensées de cet intellect, rien n'existe hors de l'amplitude des ces pensées. Que rien n'existe extérieurement aux pensées d'un intellect se dit aussi que cet intellect est omniscient. L'actualisateur purement actuel est donc omniscient.

Ainsi existe-t-il une cause purement actuelle de l'existence des choses, qui est une, immuable, éternelle, immatérielle, incorporelle, parfaite, pleinement bonne, omnipotente, intelligente et omnisciente. Une telle cause est, par définition, divine.

Donc : Dieu existe.

 

 

Néo-platonisme

Les choses rencontrées dans l'expérience sont de nature composite. Un composé n'existe à un instant donné que parce que ses parties sont composées à tel instant. Une telle composition nécessite une cause concomitante. Tout composé a donc une cause de son existence à tout instant auquel il existe. Toute chose de notre expérience a par conséquent une cause à tout instant où elle existe. Si la cause de l'existence d'une chose composée à un instant donné est elle-même composite, alors elle nécessite à son tour une cause de sa propre existence à cet instant. La régression des causes que ceci entraîne est de nature hiérarchique, et une telle régression doit avoir un élément premier. Seul quelque chose d'absolument simple ou de non composé peut être le premier élément d'une telle série. Ainsi l'existence de chaque chose de notre expérience présuppose-t-elle une cause absolument simple i.e. non composée.

Pour qu'il y ait plus d'une cause absolument simple, chacune devrait posséder une caractéristique différenciante dont chacune des autres manquerait. Mais posséder une telle différence signifierait pour une telle cause d'avoir des parties, auquel cas elle ne serait plus simple i.e non composée. Aucune cause absolument simple ne peut donc avoir une telle caractéristique différenciante. Ainsi n'existe-t-il pas plus d'une cause absolument simple.

Pour être capable de changement, une cause absolument simple devrait avoir des parties qu'elle perd ou acquiert ; étant absolument simple, elle ne le peut pas. La cause absolument simple est donc immuable. Si la cause absolument simple avait un début ou une fin, elle devrait avoir des parties combinables ou détachables. N'ayant pas de telles parties, la cause absolument simple est sans début ni fin. Ce qui est immuable et sans début ni fin étant éternel,  la cause absolument simple est éternelle. Si quelque chose est causée, alors elle a des parties qui doivent être combinées. N'ayant pas de parties, la cause absolument simple est donc non causée.

Toute chose est soit un esprit, un contenu mental, une entité matérielle, ou une entité abstraite. Une entité abstraite est causalement inerte. N'étant pas causalement inerte, la cause absolument simple n'est pas une entité abstraite. Une entité matérielle a des parties et est susceptible de changement. N'étant pas dotée de parties et n'étant pas capable de changement, la cause absolument simple n'est pas non plus une entité matérielle. Un contenu mental présupposant l'existence d'un esprit, il ne peut être cause ultime. Ainsi la cause absolument simple ne peut-elle être qu'un esprit.

Du caractère unique de la cause absolument simple on déduit que tout ce qui n'est pas cette cause est de nature composée. Tout composite a pour cause ultime la cause absolument simple. Celle-ci est donc la cause ultime de tout ce qui n'est pas elle. La cause absolument simple devrait avoir des parties pour avoir à la fois des potentialités et des actualités. N'en ayant pas. elle ne doit pas avoir de potentialités mais être purement actuelle.

Une cause purement actuelle doit nécessairement être parfaite, omnipotente. pleinement bonne, et omnisciente. Il existe donc une cause absolument simple, i.e. non composée, unique, immuable, éternelle, immatérielle, un esprit ou un intellect, cause ultime, non causée, de tout sauf d'elle-même. Une telle cause est, par définition, divine.

Donc : Dieu existe.

 

 

Thomisme

Pour chaque chose connue par l'expérience, l'on doit distinguer son essence de son existence. Une distinction réelle est une distinction entre des aspects de la réalité elle-même, et non simplement entre des manières de penser cette réalité ou d'en parler. Ainsi, s'il n'y avait pas de distinction réelle entre essence et existence, il serait possible de savoir si une chose existe ou non, uniquement par la connaissance de son essence. Mais c'est impossible. Sans cette distinction réelle, les choses connues par l'expérience existeraient nécessairement plutôt que de manière contingente. Mais, de fait, elles existent de façon contingente, non pas nécessairement. Si, en principe, il pouvait exister plus d'une chose dont l'essence était identique à l'existence, alors deux ou plus de ces choses seraient distinguables telles des espèces d'un même genre, ou des membres d'une même espèce, ou de quelque autre façon. Mais elles ne peuvent pas être distinguées d'aucune de ces manières. Ainsi doit-on en conclure qu'il ne peut en principe y avoir plus d'une chose dont l'essence est identique à son existence.

Par conséquent, des choses connues par l'expérience, si la distinction entre essence et existence n'était pas réelle, il ne pourrait en principe y en avoir plus d'une. Mais, de fait, des choses connues par l'expérience, il y a, ou pourrait y avoir, plus d'une. De toute chose connue par l'expérience, essence et existence sont donc distinguées selon la distinction réelle. Pour toute chose dont l'essence est réellement distinguée de l'existence, son existence doit lui être donnée soit par elle-même, soit par une autre cause dont elle est distincte. Mais si elle recevait son existence d'elle-même, elle serait cause de soi. Rien ne pouvant être cause de soi, elle ne peut pas recevoir son existence d'elle-même.

Pour toute chose dont l'essence et l'existence sont réellement distinctes, l'existence doit donc provenir d'une cause distincte d'elle-même. Puisque son essence et son existence restent distinctes à chaque instant auquel elle existe, y compris ici et maintenant, son existence doit lui être donnée par quelque cause distincte d'elle à chaque instant où elle existe, y compris ici et maintenant. Soit cette cause est elle-même quelque chose dont l'essence est distincte de l'existence, soit il s'agit de quelque chose dont l'essence et l'existence sont identiques. Si cette cause est quelque chose dont l'essence est distincte de l'existence, alors sa propre existence doit aussi lui être donnée par quelque cause qui lui en est distincte à chaque instant auquel elle existe, y compris ici et maintenant. La série causale engendrée ainsi serait de type hiérarchique, i.e. ne pourrait régresser à l'infini mais devrait avoir un premier élément. Celui-ci ne pourrait qu'être quelque chose dont l'essence et l'existence soient identiques.

Par conséquent, chaque chose connue par l'expérience reçoit son existence à chaque instant où elle existe, y compris ici et maintenant, soit directement, soit indirectement, par quelque cause dont l'essence et l'existence sont identiques. Puisqu'il ne peut en principe y avoir plus d'une chose dont l'essence et l'existence sont identiques, cette cause, qui est donc une existence subsistant par elle-même, est unique. Étant unique, toute autre chose qui existe doit être une chose dont l'essence est distincte de l'existence. Tout chose dont l'essence est distincte de son existence recevra, directement ou indirectement, son existence d'une cause qui est une existence subsistant par elle-même. Cette cause unique dont l'existence subsiste par elle-même est la cause de toute chose autre qu'elle-même.

Étant donné que toute chose qui n'a pas de distinction réelle entre son essence et son existence existerait de manière nécessaire et non pas contingente, cette cause unique, qui est l'existence subsistant par elle-même, existe nécessairement. L'existence subsistant par elle-même ne nécessite pas (ni ne peut avoir) de cause. Cette cause unique est donc non causée. Si cette existence subsistant par elle-même possédait quelque potentialité à l'existence nécessitant d'être actualisée, alors l'existence devrait lui être donnée par quelque cause. Elle n'a donc pas de potentiel d'existence qui nécessiterait d'être actualisé, mais elle existe de manière purement actuelle. Ce qui est purement actuel doit être immuable. éternel, immatériel, incorporel, parfait, omnipotent, pleinement bon, intelligent et omniscient.

Ainsi, chaque chose de notre expérience reçoit son existence à chaque instant par une cause qui est l'existence subsistant par elle-même, unique, existant nécessairement, cause non causée de toute chose autre qu'elle-même, purement actuelle, immuable, éternelle, immatérielle, incorporelle, parfaite, omnisciente, pleinement bonne, intelligente, et omnisciente. Une telle cause est, par définition, divine.

Donc : Dieu existe.

 

 

Rationalisme

Le principe de raison suffisante (PRS) affirme qu'existe une raison pour l'existence de tout ce qui existe et de ses attributs. Si le PRS était faux, alors les choses et événements n'ayant pas de raison seraient courant. Mais le sens commun et la sience constatent le contraire. Si le PRS était faux, l'on ne pourrait faire confiance à ses propres facultés cognitives. Mais le fait est que nous le pouvons. En outre, il n'est guère possible de nier la vérité du PRS tout en acceptant qu'il existe des explications authentiques offertes par la science et la philosophie. Mais le fait est que l'on peut en trouver. Le PRS est donc vrai.

La raison de l'existence de quelque chose doit être trouvée soit dans quelque autre chose qui la cause, auquel cas elle est contingente, ou dans sa propre nature, auquel cas elle est nécessaire. Le PRS exclut toute troisième possibilité qui équivaudrait à ce que l'existence d'une chose ne soit expliquée par rien.

Il existe des choses contingentes. Même si l'existence d'une chose contingente particulière pourrait être expliquée en référence à quelque chose contingente existant préalablement, qui elle-même pourrait être expliquée par une autre, ad infinitum, alors la série infinie elle-même resterait à être expliquée. Expliquer cette série en référence à quelque autre cause contingente extérieure à la série, puis expliquer cette cause en termes d'encore une autre chose contingente, ad infinitum, n'amènerait qu'à une autre série dont l'existence resterait à être expliquée ; et poser encore une autre chose contingente extérieure à cette seconde série ne ferait que dupliquer le problème. Par conséquent, il faut affirmer qu'aucune série de choses contingentes ne peut expliquer pourquoi existent des choses contingentes.

Mais, selon le PRS, qu'existent des choses contingentes (et pas rien) doit avoir une raison. De fait, la seule explication qui reste doit être donnée en termes d'un être nécessaire en tant que cause. En outre, qu'une chose contingente particulière continue dans l'existence nécessite une raison. Et, étant contingente, cette explication doit se trouver dans une cause simultanée qui en est distincte. Si cette cause est elle-même contingente, même si elle a encore une autre chose contingente comme cause simultanée, et que cette cause en a elle-même une autre, ad infinitum, alors une fois encore apparaît une série infinie de choses contingentes dont l'existence doit être expliquée. Par conséquent, aucune chose ou série de choses contingentes ne peuvent rendre raison de pourquoi une chose contingente particulière continue dans l'existence à un instant donné. La seule explication restante est en termes d'être nécessaire en tant cause concomitante.

Il doit donc exister au moins un être nécessaire pour rendre raison de pourquoi il existe des choses contingentes (et non pas rien), et de comment une chose contingente particulière continue dans l'existence. Un être nécessaire devrait être purement actuel, absolument simple, et quelque chose qui est l'existence subsistant par elle-même. Mais il ne peut y avoir en principe qu'une chose qui est purement actuelle, absolument simple, et qui est l'existence subsistant par elle-même. Il n'y a donc qu'un seul être nécessaire. C'est l'unique être nécessaire qui est par conséquent la raison expliquant pourquoi existent des choses contingentes, et qui est la cause de chaque chose contingente particulière existant à un instant donné. Ainsi cet être nécessaire est-il la cause de toute chose autre que lui-même.

Quelque chose de purement actuel, absolument simple i.e. non composé,  et quelque chose qui est l'existence subsistant par elle-même, doit être aussi immuable, éternel, immatériel, incorporel, parfait, omnipotent, pleinement bon, intelligent, et omniscient. Il existe donc un être nécessaire qui est unique, purement actuel, absolument simple, existence subsistant par elle-même, cause de tout sauf de lui-même, immuable, éternel, immatériel, incorporel, parfait, omnipotent, pleinement bon, intelligent, et omniscient. Cet être, par définition, est divin.

Donc : Dieu existe.

 

 

28/03/2018

R.I.P. Clément Rosset, 1939-2018

 

« Je suis au bord d’un bras de mer qui me sépare d’une côte située au large. Survient quelqu’un qui me dit : « D’ici une heure ou deux, une barque viendra vous prendre pour vous transporter là-bas ». J’acquiesce mais me demande pourquoi je dois aller là-bas, où je n’ai rien à faire. Il est vrai que je n’ai rien à faire ici non plus.

Au-delà de l’allusion claire au fleuve des morts et à son nocher Caron, le plus pénible est ici le sentiment, persistant après le réveil, que je ne sais ni ce qu’il y a là-bas, ni ce qu’il y a ici, ni qui m’a parlé, ni qui je suis. Il ne reste qu’à continuer à ne rien faire, comme L’innommable de Beckett. »  

 

Clément Rosset, Le monde perdu

 

 

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« Le secret qu’il ne faut pas connaître, et que l’épouse de Barbe-Bleue finit par connaître malgré elle en pénétrant dans la chambre interdite est tout d’abord, et tout simplement, la mort. La mort des autres et, à travers elle, sa propre mort, tout à la fois éloignée et prochaine. La découverte de ce secret marque la fin de la vie heureuse et le début d’une période de désolation et de tristesse. À l’inverse de l’agneau de Dieu qui efface tous les péchés du monde, la connaissance de la mort efface tous les bonheurs de la terre. L’avertissement de Barbe-Bleue était justifié : si vous percez ce secret, il n’est rien que vous ne deviez attendre de ma colère, – si vous connaissez cela, vous ne connaîtrez jamais plus aucun bonheur. C’est la connaissance de la mort qui neutralise tous les appétits, rendant vains et comme caduques les innombrables dons qui s’offrent à la perception humaine. Caduques en effet : car tout ce qui doit périr est déjà comme mort, et c’est le cas de tout ce qui peut nous échoir, y compris notre propre personne, qui viendront ainsi trop tard s’offrir à notre jouissance. Trop tard d’un savoir, du savoir de la mort. Ce quelque chose d’amer qui trouble toute jouissance est bien la mort, la menace qui pèse sur notre bonheur est la mort.

Quelle est précisément cette mort qu’il ne faut pas connaître, sauf à perdre tout droit à la jouissance ? Elle n’est évidemment pas cette représentation lointaine du fait de mourir comme nécessairement attaché à l’espèce humaine, dont il m’arrive parfois de me rappeler vaguement que je fais partie moi aussi : car le savoir de ma mort s’est dilué dans ces représentations et ces rappels, au point de perdre tout le fort de son venin. Mais elle n’est pas non plus seulement, et pas surtout, le savoir de ma mort, conçue comme échéance immédiate et sans recours. Car ma mort, même ainsi saisie comme à vif, ne serait encore qu’un moindre mal. Elle signale une découverte affligeante mais dont on peut se consoler, si elle ne concerne que la fragilité de ma propre personne, vouée au non-être et à l’oubli. En ces sens-là la mort ne constitue pas une dévaluation mais une perte, et une perte simple, pour employer le langage des jeux. Je suis condamné à la mort – c’est-à-dire que je vais me perdre, je vais perdre moi – mais les objets que j’ai thésaurisés au cours de ma vie n’en sont pas pour autant dévalués ou disqualifiés. Je meurs, mais reste ce que j’ai aimé au cours de ma vie éphémère : par exemple un certain art grec, une certaine élégance, une certaine allégresse. Je disparais, mais il y aura toujours à admirer les frises de Phidias, les tragédies de Shakespeare, les opéras de Mozart.

Une telle pensée de la mort n’est pas encore véritablement mortelle. La pensée qui blesse à mort n’est pas le savoir de ma disparition, mais celui de l’égale disparition, à plus ou moins long terme, de toute chose susceptible de me séduire, comme de séduire tout un chacun. Ce n’est pas seulement moi qui aime qui suis voué à la mort, c’est aussi tout ce que j’aime et tout ce que je serais susceptible d’aimer s’il m’était donné un temps de vie plus long et un plus vaste champ d’expérience. Ce fruit que je goûte est plus fragile que moi, même s’il est taillé dans le marbre ou inscrit depuis des millénaires dans le cœur et l’admiration des hommes. C’est pourquoi il laisse un goût amer, comme le dit Lucrèce, et d’autant plus amer qu’il est plus précieux. On est encore loin du tragique de la mort lorsqu’on s’avise avec désolation de la nécessité où l’on est de mourir soi-même, de quitter un jour tout ce qu’on aime. Car, à y regarder de près, le cela que je quitte n’en a pas lui non plus pour bien longtemps, et m’a même quitté déjà en partie, dès le moment que j’en ai repéré la fragilité. L’œuvre d’art que j’admire, la personne que j’aime, le livre que j’écris ne me survivront pas ou guère, et j’en vois déjà la disparition en filigrane alors que je suis moi toujours en vie. Ce n’est pas moi qui quitte tout cela ; c’est, plus profondément, tout cela qui me quitte, que j’aime sans pouvoir l’arracher à la mort. Et c’est en cela que le savoir de la mort est mortel : en ce que, parti de moi, il a proliféré de proche en proche pour gagner toute chose au monde, condamnant ainsi à la mort non seulement moi-même, mais aussi tous mes objets d’amour ou d’intérêt.

Ce double visage de la mort – chacun terrible mais le second bien davantage que le premier – se trouve exprimé dans une brève formule de l’Art poétique d’Horace : Debemur morti nos nostraque – nous sommes dus à la mort, nous et « nos choses ». Nos nostraque : nous et toutes nos affaires ; nous, mais aussi Phidias et Shakespeare. Ce qui meurt est bien moi, mais aussi tout ce dont ce moi a été instruit et nourri : c’est-à-dire tout ce qui s’est présenté ou aurait pu se présenter à moi d’aimable ou d’admirable. Le sujet meurt, mais aussi tous ses compléments d’objet possibles. Ce qui signifie que tout ce à quoi je puis m’intéresser est aussi fragile que moi qui m’y intéresse. Cela est de grande conséquence, et l’amplitude du désastre laisse dans l’ombre le malheur de ma mort personnelle, que j’offrirais bien volontiers en échange d’une remise de cet holocauste universel. Mais il est trop tard, et l’oubli de soi n’est plus ici d’aucun secours : quand tout est mort il ne sert de rien de faire, en catastrophe, le sacrifice de sa propre existence. Comme le dit saint Augustin, dans le De immortalitate animae : « La mort que l’âme doit vaincre n’est pas tant l’unique mort qui met fin à la vie, que la mort que l’âme éprouve sans cesse durant qu’elle vit dans le temps. »

Le pouvoir de la mort, qui est sans commune mesure avec ma mort, sans commune mesure même, comme on va le voir, avec le fait que tout meure, que tout ait une fin, est donc finalement assez semblable à celui – exorbitant aux yeux de certains théologiens – reconnu à Dieu par saint Pierre Damien dans son Traité de l’omnipotence divine : pouvoir d’annuler le passé, de faire en sorte que ce qui a eu lieu n’ait pas lieu. La mort n’est pas seulement la fin de la chose ; elle est aussi et surtout son annulation. Aucune chose n’existe ni n’a existé, puisque sous menace d’être bientôt à jamais biffée par l’oubli, en sorte qu’il n’y aura, tôt ou tard, plus de différence entre « ceci s’est passé » et « ceci ne s’est pas passé ». Équivalence morose dont l’expérience est fournie déjà par le présent : par l’oubli où sont comme déjà, de ce qui est ici ou là, tous ceux qui ne sont ni ne seront jamais ici ou là. C’est là un des derniers mots de Mallarmé (dans le Coup de dés) et l’expression ramassée de la pensée qui paralysait sa faculté créatrice depuis toujours : « rien n’aura eu lieu », – rien, pas même la poésie. Le pouvoir de Dieu est celui du Diable : les deux se confondent dans ce pouvoir outrecuidant de la mort qui est d’annuler ce qui a existé, de faire en somme que ce qui existe n’a pas d’existence. Le monde ne souffre pas de devoir finir, il souffre de ne pas avoir commencé : de ne pas avoir encore « eu lieu ».

 

Clément Rosset, Le Réel : Traité de l’idiotie

 

 

29/11/2017

Et orbi

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13/01/2015

Alea iacta est

 

« [Q]uelque chose d’irréductible au fond de l’esprit : un bloc monolithique de Fatum » (Nietzsche)

 

*

 

Collapse volume VIII : CASINO REAL

 

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Sommaire :

ROBIN MACKAY
Editorial Introduction
JEAN-LUC MOULÈNE
Untitled
AMANDA BEECH
The Church The Bank The Art Gallery
JEAN CAVAILLÈS
From Collective to Wager
STEVE FORTE
The Ultimate Cooler (Interview)
UNKNOWN ARTIST
Angel Deck with Linework
NATASHA DOW SCHÜLL
Engineering Chance
JASPAR JOSEPH-LESTER
A Guide to the Casino Architecture of Wedding
DAVID WALSH
From BlackJack to Monanism (Interview)
ANDERS KRISTIAN MUNK
Dice-Like and Distributed: Time Machines, Space Engines and the Enactment of Risk Markets
NICK LAND
Transcendental Risk
MILAN ĆIRKOVIĆ
The Greatest Gamble in History
JOHN COATES, MARK GURNELL, ZOLTAN SARNYAI
From Molecule to Market
NICK SRNICEK AND ALEX WILLIAMS
On Cunning Automata: Financial Acceleration at the Limits of the Dromological
SAM LEWITT
Notes from New Jersey
ELIE AYACHE
The Writing of the Market (Interview)
JON ROFFE
From a Restricted to a General Pricing Surface
SUHAIL MALIK
The Ontology of Finance: Price, Power, and the Arkhé-Derivative
QUENTIN MEILLASSOUX
Mallarmé's Materialist Divinization of the Hypothesis
SEAN ASHTON / NIGEL COOKE
Mr Heggarty Goes Down
GEGENSICHKOLLEKTIV
CAUTION
FERNANDO ZALAMEA
Peirce's Tychism: Absolute Contingency for our Transmodern World
MICHEL BITBOL
Quantum Mechanics as Generalised Theory of Probabilities
ELIE AYACHE
A Formal Deduction of the Market

 

* *

 

Rappels :

 

- La Militarisation de la Paix

- Fatwa on Terrorism

- Πολιτεία

 

 * * *

 

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09/02/2014

Constantia Apollinaria

« [E]prouver simultanément ces trois choses : élévation, lumière profonde et chaude, et volupté de la suprême justesse logique. » (Friedrich Nietzsche)

 

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« [N]ous tenons notre couronne du ciel seul » (Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht)

 

24/12/2013

Combinatio nova

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« Une nouvelle image de la pensée signifie d'abord ceci : le vrai n'est pas l'élément de la pensée. L'élément de la pensée est le sens et la valeur. Les catégories de la pensée ne sont pas le vrai et le faux, mais le noble et le vil, le haut et le bas, d'après la nature des forces qui s'emparent de la pensée elle-même. Du vrai comme du faux, nous avons toujours la part que nous méritons : il y a des vérités de la bassesse, des vérités qui sont celles de l'esclave. » (Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie)

 


« La vérité à tous égards est affaire de production, non pas d'adéquation [...] Fonder, c'est métamorphoser. Le vrai et le faux ne concerne pas une simple désignation, que le sens se contenterait de rendre possible en y restant indifférent [...] Chaque fois qu'une proposition est replacée dans le contexte de la pensée vivante, il apparaît qu'elle a exactement la vérité qu'elle mérite d'après son sens, la fausseté qui lui revient d'après les non-sens qu'elle implique. Du vrai, nous avons toujours la part que nous méritons nous-mêmes d'après le sens de ce que nous disons. Le sens est la genèse ou la production du vrai, et la vérité n'est que le résultat empirique du sens. » (Gilles Deleuze, Différence et répétition)

 


« Ce qui nous gênait, c'était qu'en renonçant au jugement nous avions l'impression de nous priver de tout moyen de faire des différences entre existants, entre modes d'existence, comme si tout se valait dès lors. Mais n'est-ce pas plutôt le jugement qui suppose des critères préexistants (valeurs supérieures), et préexistants de tout temps (à l'infini du temps), de telle manière qu'il ne peut appréhender ce qu'il y a de nouveau dans un existant, ni même pressentir la création d'un mode d'existence ? Un tel mode se crée vitalement, par combat [...] Car celui-ci se crée par ses propres forces, c'est-à-dire par les forces qu'il sait capter, et vaut par lui-même, pour autant qu'il fait exister la nouvelle combinaison. » (Gilles Deleuze, Critique et clinique)

 

 

04/12/2013

Qui-vive

« L’un est composé de toutes choses, et toutes choses sortent de l’un » (Héraclite)

 

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« l'Un se dit du multiple en tant que multiple » (Deleuze)

04/10/2013

De omni re scibili et quibusdam aliis

 

« Or le monde n'est ni signifiant ni absurde. Il est, tout simplement. » (Robbe-Grillet)

 

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« La vie, quant à elle, est bien au-delà de tout réveil. La vie n'est pas conçue, le corps n'en attrape rien, il la porte simplement » (Derrida)

 

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« Le possible ne préexiste pas, il est créé par l'événement. C'est une question de vie. » (Deleuze & Guattari)

03/10/2013

Sequere deum

« Plus une âme est innocente moins elle hésite. » (Maritain)

 

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« L’impossibilité est infiniment plus grande lorsqu’on veut se représenter "l’être" comme l’universel opposé à n’importe quel étant. » (Heidegger)

 

02/10/2013

Νεφέλαι

« Dans un environnement fluide et mouvant, les vérités éternelles restent des idées en l'air » (Zygmunt Bauman)

 

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« Un paradoxe véridique enferme une surprise, mais la surprise se dissipe vite tandis que nous considérons la preuve. Un paradoxe falsidique enferme une surprise, mais nous la voyons comme une fausse alerte quand nous corrigeons la faute sous-jacente. Une antinomie, cependant, enferme une surprise que rien ne peut accommoder sinon la répudiation d'une partie de notre héritage conceptuel. » (Willard van Orman Quine)

 

01/10/2013

Medicus curat, natura sanat

« La pulsion de mort c’est le réel en tant qu’il ne peut être pensé que comme impossible. C’est-à-dire que chaque fois qu’il montre le bout de son nez, il est impensable. Aborder cet impossible ne saurait constituer un espoir, puisque cet impensable c’est la mort, dont c’est le fondement du réel qu’elle ne puisse être pensée. » (J. Lacan)

 

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« Car je ne me pense comme mortel qu'à penser que ma mort n'a pas besoin de ma pensée de la mort pour être effective. » (Q. Meillassoux)

 

27/09/2013

Sum ergo cogito

« La pensée est toujours représentée comme un édifice plus ou moins habitable, chacun parle de cet édifice de la pensée où se pressent les philosophes et leurs fidèles, tous plus ou moins agités, ne cessant d'entrer et de sortir. Mais on ne peut pas représenter la pensée. Pour moi, c'est cela, ma pensée : des vitesses que je ne peux pas voir. » (Thomas Bernhard)

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« Esprit inculte, cœur corrompu, & toi profane, qui jamais ne fis la cour aux Nymphes d'Hélicon, & ne vis jamais leurs brillantes Orgies, éloigne-toi de ce noble Théâtre, qu'il te suffise de le louer. » (Aulus Gellius)

 

26/08/2013

Requiescat in pace

« L’Honneur est-il dans l’obéissance absolue au pouvoir légal, ou dans le refus d’abandonner des populations qui allaient être massacrées à cause de nous ? J’ai choisi selon ma conscience. J’ai accepté de tout perdre, et j’ai tout  perdu. (…) Je connais des réussites qui me font vomir. J’ai échoué, mais l’homme au fond de moi a été vivifié. » (Hélie Denoix de Saint-Marc, L’aventure et l’espérance)

 

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« Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie…

En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique. On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.

Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger. Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.

Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.

Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : “ L’Armée nous protégera, l’armée restera “. Nous pensions à notre honneur perdu.

Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire. Le général Challe m’a vu. Il m’a rappelé la situation militaire. Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu’il était venu pour cela. Il m’a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur. Alors j’ai suivi le général Challe. Et aujourd’hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres.

Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l’obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos provinces natales.

Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril, à treize heure trente, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.

Terminé, Monsieur le président. »

 

(Déclaration du commandant Hélie Denoix de Saint Marc devant le haut tribunal militaire, le 5 juin 1961)

 

26/06/2013

Ἄργος

« La formule abstraite du Panoptisme n'est plus "voir sans être vu", mais "imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque". » (G. Deleuze)

 

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Ce texte constitue notre traduction de l'éditorial d'Alex Berenson paru le 25 juin 2013 dans le New York Times et intitulé Snowden, Through the Eyes of a Spy Novelist.

 

***

 

Snowden, vu par un auteur de romans d'espionnage

par Alex Berenson

 


Aux yeux d'un auteur de romans d’espionnage – ce que je suis – l’histoire d’Edward J. Snowden est exemplaire. Un homme mû par son ego et son idéalisme – qui pourrait les distinguer ? – quitte son travail et sa petite amie. Il décide de divulguer au monde l’advenue du Panoptique. Ses maîtres se jurent de le punir, et il part pour Moscou dans un effort désespéré de trouver un refuge. En réalité, il arrive dans le pays le plus dangereux qui soit pour un dissident, là où les autorités les éliminent impitoyablement en les aspergeant de polonium. Pour l’instant, il est en sécurité : il est utile à ses nouveaux amis russes. Mais s’ils changeaient d’avis…


J’aimerais être l'auteur de ce synopsis.


Mais M. Snowden n’est pas un personnage de roman : il est un individu bien réel. Et je suis fort marri de voir le cours de sa vie totalement bouleversé.


Il y a deux semaines, cette affaire avait des airs de farce. Malgré le raffut causé par ses premières révélations, tous ceux qui s’intéressaient à ces sujets savaient pertinemment que la NSA était à l’écoute des communications électroniques, et ce à l’échelle mondiale. Dans mes romans, les personnages considèrent d’ailleurs comme un fait acquis que tous les courriels qu’ils enverront seront lus, et tous leurs coups de téléphone écoutés.


Ce que M. Snowden semblait d’abord vouloir – et à raison – était de forcer ces espions électroniques à répondre clairement aux questions suivantes : sauvegardez-vous les courriels, les échanges Skype et autres communications électroniques ? Et qu’en est-il des appels téléphoniques ? Pour combien de temps ? Qui a accès à ces données, et un mandat en bonne et due forme est-il requis dans chaque cas ? De quelle manière les appels entre citoyens américains sont-ils traités ? Etc. En dépit de nombreuses promesses de clarification de la part de la Maison Blanche, les réponses à ces questions demeurent obscures.


Apparemment, M. Snowden a donc rendu au monde un fier service. Mais la semaine dernière, ses anciens employeurs et lui-même ont commis des erreurs tactiques, de telle sorte que son histoire devient plus compliquée. Au début, M. Snowden n’était pas un espion, et le qualifier ainsi est absurde. Car les espions ne divulguent pas leurs secrets gratuitement.


Pensait-il qu’il serait considéré comme un héros ? Peut-être. En tous cas, selon ce qu’écrivait Keith Bradsher du Times, il semble qu’il croyait qu’il aurait été autorisé à rester tranquillement à Hong Kong pendant que le monde digérerait ses révélations.


Compte tenu de la manière dont le gouvernement Obama poursuit en justice les auteurs de telles fuites, il était bien optimiste de la part M. Snowden d’escompter un futur sans ennuis. De fait, la fureur de Washington et du monde du renseignement s’est révélée sans limites. Le député Peter T. King, un Républicain de l’État de New York, un converti sinon enthousiaste, du moins de la dernière heure, a qualifié M. Snowden de « transfuge ». Le sénateur Bill Nelson, un Démocrate de Floride, a déclaré que M. Snowden avait commis un « acte de trahison ». Les procureurs fédéraux ont préparé une inculpation dans les règles. La Maison Blanche a demandé à Hong Kong de rapatrier Snowden – et, étonnamment, semblait penser que leur demande d’extradition serait traitée comme n’importe quelle autre. « Nous vous envoyons les papiers, et vous l’extradez, d’accord sheriff ? »


Confronté à la perspective de passer des décennies en prison, M. Snowden a paniqué. Au lieu d’attendre que Hong Kong ou ses maîtres de Pékin décident de son sort, il est parti pour Moscou avec ses ordinateurs portables sous le bras. Il a donc maintenant l’opportunité de voir de près une dictature molle (quelle jolie expression…) Dimanche, WikiLeaks, ces naïfs de bonne volonté qui « aident » M. Snowden, ont déclaré que l’aéroport Sheremetyevo ne serait qu’une étape du voyage. Mais il est improbable que les autorités russes le laissent partir avant d’avoir appris tout ce qu’il sait. Lors de ses entretiens à la presse, M. Snowden a déclaré qu’il possédait encore de nombreux secrets dans ses disques durs, et il n’y a aucune raison de ne pas le croire. Il a déjà divulgué des détails au sujet de l’espionnage anglo-américain d’une conférence qui s’est tenue à Londres en 2009.


M. Snowden s’est mis dans une situation terrible. Moscou le protégera certainement aussi longtemps qu’elle désirera irriter Washington. Mais lorsque les Russes auront fini de fureter dans ses ordinateurs portables, il sera devenu de facto leur espion, qu’il le veuille ou non. Et Pékin a sûrement fait la même chose. Certains officiers des renseignements pensent en effet que les espions chinois ont copié les disques durs de M. Snowden durant son séjour à Hong Kong.


Nous avons traité un lanceur d’alerte comme s’il était un traître – et donc l’avons rendu tel. Beau travail ! Quelqu’un à la Maison Blanche (ou à la CIA ou à la NSA) a-t-il considéré la possibilité de prendre l’avion pour Hong Kong et de traiter M. Snowden comme un être humain, de lui donner l’opportunité de témoigner devant le Congrès et lors d’un procès équitable ? Il serait peut-être finalement allé voir tout de même le président Vladimir Poutine, mais au moins il aurait pu faire autrement. Les gardiens des secrets y auraient gagné eux aussi : une audition devant le Congrès aurait été un prix modeste à payer pour ramener M. Snowden et ses précieux disques durs sur le sol américain.


Il est possible de voir ces dernières semaines comme une tragédie pour M. Snowden – qui paraît avoir été motivé par des raisons parfaitement louables et qui se trouve maintenant pris dans l’alternative entre une vie en exil ou une vie en prison – mais aussi comme un immense dommage que s’est auto-infligée la communauté américaine du renseignement. Si les chefs de l’appareil étaient vraiment prêts à un débat honnête au sujet de l’étendue de leurs pouvoirs, M. Snowden n’aurait peut-être pas fini à Moscou, mais à Washington, sa petite amie à ses côtés sur les marches du Capitole, avec devant lui quelques années en prison avant de devenir consultant à l’Electronic Frontier Foundation.


Bref, on aurait assisté à un dénouement digne des productions hollywoodiennes. Mais le monde réel est impitoyable.


10/06/2013

Impressionismus

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Plus de détails ici.

 

 

01/01/2013

Imperium

« [E]prouver simultanément ces trois choses : élévation, lumière profonde et chaude, et volupté de la suprême justesse logique. » (Friedrich Nietzsche)

 

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« [L]a marque que nous autres, Hohenzollern, nous tenons notre couronne du ciel seul, et que c'est au ciel seul que nous avons de comptes à rendre. » (Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht)

31/12/2012

Capax infiniti

« J'aime le pouvoir car il donne ses chances à l'impossible. » (Gaius Julius Caesar Augustus Germanicus)

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« Bien sûr ! Puisque certitude et essence objective sont une seule et même chose. » (Benedictus de Spinoza)

28/11/2012

Auctoritas principis

 

« Les hommes de peu de mots ont besoin de peu de lois » (Charilaos)

 

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« [T]rue, or very nearly true » (Newton)

 

20/11/2012

Περί βασιλείας

« Zeus, le législateur universel, qui est vénérable et honorable grâce à la prééminence magnanime de la vertu [...] Il est aussi éminemment terrible, punissant l'injuste, régnant et légiférant sur toutes choses. Dans une main il tient la foudre, comme symbole de sa formidable excellence. » (Diotogène)

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19/11/2012

Absurdum

L'avantage de la bonne indexation des contenus hébergés par blogspirit ne compense guère l'instabilité de la plateforme blogspirit et l'incompétence de son service client.

L'agencement des liens internes à ce blog ayant été endommagé par la faute d'une incohérence technique liée à l'évolution de la plateforme blogspirit (modification d'anciennes urls etc.), il convient, pour le lecteur bloqué par un éventuel "lien mort" lors de la navigation sur ce blog, de modifier manuellement l'url invalide dans la barre d'adresse en substituant "-" à "_" ou inversement selon le cas. Notons que Blogspirit n'a pas même tenté de réparer sa bêtise via un script idoine.

Nervus probandi

«Pourquoi les règles ne peuvent-elles se contredire ? Parce qu'alors elles ne seraient pas des règles.» (Wittgenstein)

 

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 «[L]orsqu'une propriété y s'ensuit d'une propriété x, alors de l'absurdité de y s'ensuit l'absurdité de x. Ainsi, nécessairement, puisque la vérité implique l'absurdité de l'absurdité, l'absurdité de l'absurdité de l'absurdité implique l'absurdité.» (Brouwer)


12/10/2012

Natura Naturans

 

«  [C]et exercice transcendant qui rend possible une violente réconciliation de l'individu, du fond et de la pensée. » (Gilles Deleuze)


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« D'abord admettre tout ce qui est purement "automatique" : à partir du démontage de l'automate ne pas reconstruire un "sujet". Dès lors que le perspectivisme est la propre illusion de cet automate, lui donner la connaissance de cette perspective illusoire, la "conscience de cette inconscience", c'est créer du même coup les conditions d'une nouvelle liberté, une liberté créatrice. » (Pierre Klossowski)


10/10/2012

Animi limina

 

« L’humanité se situe en dehors de l’économie politique, l’inhumanité au dedans. » (Karl Marx)

 

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« Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant, je préfère rester fasciste, bien que ce soit baroque et fatigant. »  (Roger Nimier)

 


 

Two Fingers - Fools Rhythm - Ninja Tune XX (Vol. 1)

podcast

 

 

Coil - Red Birds [...] (Musick to Play in the Dark, Vol. 1)

podcast

 



Motorbass - Visine (Pansoul, Disc 2)

podcast

 

09/10/2012

Arbiter elegantiarum

« [M]ystique et cérébral, capable de verser à dose égale l'effroi ou la sympathie » (Jean-Paul Enthoven, Les enfants de Saturne)

 

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« On l’a déjà dit plus haut, mais on ne se lassera point de le répéter : ce qui fait le dandy, c’est l’indépendance. Autrement, il y aurait une législation du dandysme et il n’y en a pas. Tout dandy est un oseur, mais un oseur qui a du tact, qui s’arrête à temps et qui trouve, entre l’originalité et l’excentricité, le fameux point d’intersection de Pascal.» (Jules Barbey d'Aurevilly, Du dandysme et de George Brummell)

 

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« [C]es districts de l'âme où se ramifient les végétations monstrueuses de la pensée. »  (Joris-Karl Huysmans, A Rebours)

 

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« Virtuosité, car il s'agit d'exécutions [...] Terrorisme dandy.» (Gérard-Julien Salvy, Raymond Roussel une fois mort)

 

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« On doit être un logicien ou un grammairien rigoureux, et être en même temps plein de fantaisie et de musique. » (Hermann Hesse, Le Jeu des perles de verre)

 

 

Franz Schubert, String quartet in D minor  †  (Presto)


podcast

 



07/10/2012

In Musica

« Ceux qui voient la moindre différence entre l'âme et le corps ne possèdent ni l'un ni l'autre.» (Oscar Wilde)

 

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« Il est une forme d'intelligence que l'on met rarement en évidence, et qui tient à la fois de l'intelligence abstraite et de l'intelligence intuitive : c'est l'intelligence que l'on pourrait appeler combinatoire, celle qui s'exerce aux échecs ou dans l'intrigue. » (Emmanuel Mounier)

 

 

« Il écrivait à la diable pour l’immortalité. » (François-René de Chateaubriand)

 

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Franz Schubert, String quartet in D minor    (Allegro)


podcast  

 

05/10/2012

De Bello Civili

« II n’y a qu’une chose sage, c’est de connaître la pensée qui peut tout gouverner partout. » (Héraclite, tr. P. Tannery)

 

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« On nous a traités de fascistes ; nous ne le serons jamais assez, tant nous sommes conscients, nous au moins, que le fascisme n'est pas celui des autres seulement. Les groupes et les individus contiennent des microfascismes qui ne demandent qu'à cristalliser. » (Deleuze & Guattari)

 

04/10/2012

Emissarius aries

 

« Il ne promet ni ne fait entrevoir. Il se contente de donner mais à profusion. » (Albert Camus)

 

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« Discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscient » (Édouard Dujardin)

 

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« Au fond d'ailleurs, Materazzi est à Zidane ce que l'histoire de la philosophie est à la philosophie. » (Anaximandrake, 27 juillet 2006)

 

27/09/2012

Secundum logicam verborum

« Si les historiens n'étaient pas des enfants, ils comprendraient que ce n'est pas une petite affaire que de prononcer ces mots : un siècle, un pays. » (P. Valéry, Les principes d'an-archie pure et appliquée)

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Bien sûr disposés en désordre (c'est-à-dire selon un autre ordre), et en hommage combinatoire à Pierre Ménard, voici, par nous impitoyablement sélectionnés, agencés puis soumis au concept, quelques-uns des principes d'an-archie pure et appliquée de Paul Valéry, «lumineusement venus à l'esprit comme le corps était dans le bain à Alger, [...] que des enfants riaient dans le jardin bourré de palmes molles et fermé de pins très sombres jusqu'à la crête.»  (Paul Valéry, Algérie, le 23 avril 1936). Notons que les dernières pages de ce carnet de petit format, de 184 pages et feuillets encartés, portent quant à elles les dates d'avril et de septembre 1938, et font en particulier référence à la crise de Tchécoslovaquie.

*

☆ « Anarchiste » c'est l'observateur qui voit ce qu'il voit et non ce qu'il est d'usage que l'on voie.

☆ L'Europe a beaucoup dû à la tempérance de son site très équilibré entre le dur et le mol. Mais qu'est-ce que sa superficie par rapport à l'étendue des terres terribles ?

☆ Les peuples sont d'autant plus forts que leur pays est plus ingrat. Ou bien ils périssent dans la misère.

☆ Le riche est un homme auquel tous les pauvres donnent un sou.

☆ Il n'est dû à qui que ce soit que dans la mesure où il est reçu de lui.

☆ Les gens de la droite ont toujours manqué de ce qu'il faut d'esprit pour paraître avoir du cœur. Les gens de gauche ne savent ni construire ni conserver.

☆ Un vrai politique n'a égard aux passions ordinaires, il repousse la jalousie, la rancune et se moque des individus, – de lui-même – surtout.

☆ Nul ne doit être cru ni suivi à cause de sa place, de sa puissance fictive.

☆ La liberté de l'esprit est incompatible avec quelle tradition que ce soit.

☆ Un homme – esprit – se dresserait à ne jamais tenir une opinion pour autre chose qu'une opinion.

☆ Plus noble est un noble moins il est monarchiste.

☆ Et aristocratie signifie ici suprématie réelle, en acte, et non convention, tradition, hérédité.

☆ Je suis pour l'aristarchie – car elle ressort de la nature des choses dès qu'il y a trois hommes en présence et une circonstance – la hiérarchie des valeurs de l'instant éclate.

☆ Rares sont ceux qui demeurent dans les mêmes vérités à toute heure et en toutes présences.

☆ Qui peut tuer donne du sérieux à toute comédie.

☆ Le type Armée est une forme limite. C'est une société simplifiée et unifiée au maximum.

☆ Seul et peuple en un – chargé de l'événement et de la durée.

☆ Tout mystique est un vase d'anarchie.