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26/03/2006

Sursum corda

« Nous ne connaissons pas le vrai si nous ignorons les causes. » (Aristote)

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Prima facie, la foi semble un ensemble incohérent ou non d’illusions. Mais ce n'est vrai que de la superstition qui est à la fois cause et effet de l'adultération du symbolique.

Il est en effet possible de définir la superstition comme l’établissement de routines, au sens informatique, inconscientes et douées d’efficacité pragmatique. Néanmoins, celles-ci ne sont ni reliées entre elles logiquement ni, a fortiori, axiomatisées. Leurs relations, en fait, ne sont que sémantiques. En effet, il s’agit de procédures imagées n’atteignant pas l’inconscient « profond » c’est-à-dire celui du logique pur.

Oui, l’émotion ne surgit qu'à partir d’un certain niveau de complexité, et en tant que manifestation de grandes chaînes signifiantes, trop longues pour être suivies pas à pas par la conscience, c'est-à-dire reproduites dans l'imagination. Non concaténées ni unifiées par l'inconscient, elles s'autonomisent et produisent un "bruit", une sorte de parasitage informationnel qui induit sporadiquement quelque pseudo-sujet, doublure mécanique et chaotique de l'individu obsédé.

Ultimement donc, puisque persona, le fou serait celui qui n'a pas de foi. Malgré tout phénoménologiquement un, ne serait-ce que relativement à l'étendue, il serait plus exactement un relaps continué, un insurgé abjurant toute foi, y compris en lui-même, c'est-à-dire sauf la foi en ses geôliers, en son Geôlier.

Au contraire, la vraie foi est adéquate à la raison. Car, tout comme le mot est, par l'une de ses faces, présence de la chose dans le langage, la foi est la présence de l'essence dans l'existence, de l'éternité dans le temps. Oui, elle est présence à soi de la puissance, c'est-à-dire actualité de la manifestation souveraine de son conatus.



Commentaires

Il faudrait définir la « cohérence » ou non cohérence des chaînes de symbolisations constitutives du soi. Si tout penser est un lier, et donc un je-lie, il semblerait alors que le fou ne vive que dans l’inconsistance permanente, son inaptitude à la formation d’ensembles complexes de significations articulées dans quelque horizon unifiant le vouant aux spasmes d’une perpétuelle désubstantialisation. Ni moi, ni soi, et donc pauvre en monde. Ainsi, l’illuminé monothéiste, fanatiquement superstitieux, n’a rien d’un fou en ceci qu’il s’intègre dans un système structuré de significations complexes qui le constituent mais qu’il maîtrise. Il vous faut donc distinguer son mode de lier que vous dites procéder par images ou sémantiquement, à quoi vous opposez le lier logique. Mais je ne vois pas qu’une foi puisse être dite vraie parce qu’adéquate à la raison. Toute foi consiste en un vécu intérieur d’une mise en présence de la chose, c’est-à-dire, au sens luthérien, d’une intériorisation affective active par le sujet de quelque vérité située au delà de toute médiation rationnelle ou conceptuelle. Je ne crois pas qu’il faille parler de foi, fût-elle dite adéquate à la raison, eu égard à votre spinozisme. Car la présence à soi de l’essence dans l’existence, de l’éternité dans le temps, est le vécu pour soi d’une science intuitive procédant d’une seule et même raison donatrice du sens de l’être, c’est-à-dire de la nécessaire nécessité de l’existence de Dieu. Spinoza ne distinguant ni volonté et entendement, ni idée et affect, il ne me semble pas possible de dissocier un mouvement de l’âme qui serait la foi d’un autre qui serait le penser, ou lier logique. Ce serait risquer l’accusation de subjectivisme, puisqu’il suffirait « d’avoir la foi » pour que l’essence soit, indépendamment de la connaissance par voie démonstrative dévoilant les liens de causalité nécessaire entre les idées. Mais peut-être ne vous placez-vous pas dans l’horizon du spinozisme.

Écrit par : Ju | 28/03/2006

Non, Ju, tout penser n'est pas un « je-lie », il est des pensées, processus, des liaisons et « relations », sans sujet. Le sujet n'en est ici que la conséquence ; il est produit, non producteur.

Comme dit Chesterton, le fou a tout perdu sauf la raison. En effet, les raisons du fou n'en sont pas moins des raisons articulées, enchaînées. La nosologie psychiatrique ou psychanalytique est là pour en témoigner. Ainsi, l'illuminé dont vous parlez n'est pas différent du paranoïaque ; tous deux sont mus par un système sémantique qui les dominent, tous deux surinterprètent à partir d'une position impermutable, et tous deux – étant admis cette double pétition de transcendance – peuvent être tout à fait être cohérents. Dans dans ces deux cas, il s'agit de « fluctatio animi » et non d' « animositas », c'est-à-dire de « fermeté d'âme ». En effet, la superstition a son principe de consistance hors de Soi, contrairement à la foi, la vraie, qui n'est pas folie en ceci qu'elle l'a en Soi.

Comme vous dites, Spinoza ne distingue (ou plutôt les distingue en raison pour dire qu'elles ne diffèrent pas en réalité) ni volonté et entendement, ni idée et affect, et l'on ne peut dissocier « un mouvement de l’âme qui serait la foi d’un autre qui serait le penser. » Il donc est à la fois foi et raison. Oui, c'est bien pour cela que la vraie foi est adéquate à la raison, et que l'on a raison d' avoir foi en la raison qui est bonne foi. Car le sceptique est de mauvaise foi, « il trompe et se trompe » (Sartre), et peut errer, nier et se nier à l'infini. Le sceptique, qui n'a confiance ni foi en rien si ce n'est en le doute, est, je le rappelle, qualifié par Spinoza d' « automate tout à fait dépourvu d'esprit ». Tout comme le sceptique, qui n'a foi qu'en le doute, le monothéiste, n'a foi qu'en une foi qui le suspends a priori.

Comme dit Anaximandrake en effet, « C'est la bêtise de toute religion : la foi comme strict envers du doute, corrélat de l'exclusion de leur sursomption. » Car, avec la religion, qui est fausse foi, on manque la vraie foi qui est certitude rationnelle, c'est-à-dire, selon Beckett, quasi certitude. Oui, tenir l'immanence, c'est y donner foi, s'engager en s'y engageant. La vraie foi est bonne foi, foi en ce monde-ci.

Comme dit Spinoza (E IV prop 72) :
« l'homme libre n'agit jamais par fourberie, mais toujours de bonne foi.
(Homo liber nunquam dolo malo sed semper cum fide agit.)
Démonstration :
Si l’homme en tant que libre, employait quelque mauvaise ruse, il agirait de la sorte par le commandement de la raison (car c’est à cette condition seule que nous l’appelons libre) ; et, par conséquent, employer une mauvaise ruse, ce serait vertu (par la Propos. 24). D’où il résulterait (par la même Propos.) qu’il serait plus utile aux hommes, pour la conservation de leur être, d’agir par mauvaise ruse que de bonne foi ; ce qui revient évidemment à dire qu’il serait utile aux hommes de s’accorder seulement en paroles, mais, dans le fait, de se mettre en opposition les uns avec les autres ; conséquence absurde (par le Coroll. de la Propos. 31). Donc l’homme libre, etc. C. Q. F. D.»

Écrit par : Anaximandrake | 28/03/2006

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