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14/03/2005

Ludions

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Il est remarquable que Descartes déclare qu'aucune vérité philosophique ne peut être incompatible avec la vérité des dogmes révélés. Il dit soutenir la « cause de Dieu » et affirme l'obligation qu'a un chrétien d'employer la raison pour lutter contre les négations des libertins. De plus, les Méditations Métaphysiques recherchent ostensiblement l'approbation des théologiens. La métaphysique cartésienne serait-elle "stratégique"? : « Je vous dirai entre nous, que ces six méditations contiennent tous les fondements de ma physique, mais il ne faut pas le dire » écrit Descartes à Mersenne.

Quoi qu'il en soit, comme le dit Gueroult, chez Descartes, Dieu est certes l'objet de la plus claire et de la plus distincte des idées, mais cette idée nous la fait connaître comme incompréhensible.

Spinoza, quant à lui, empruntant à cette occasion la voix de Louis Meyer (préface des Principes de la Philosophie de Descartes), refuse de s'associer à cette affirmation du cartésianisme que « telle ou telle chose est au-dessus de l'humaine compréhension. » En effet, lit-on dans la préface du Traité théologico-politique, « le grand secret du régime monarchique et son intérêt profond consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte dont on veut les tenir en bride, de sorte qu'ils combattent pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut. »

Une telle audace, corrélative de son exigence d'intelligibilité absolue, lui permet de découvrir un territoire inconnu.

Philosophe sans Cogito, Spinoza se contente de cette affirmation liminaire : « l'homme pense ». Mais il démontre ensuite que la conscience psychologique se révèle être le site d'une illusion contre laquelle le Cogito ne peut nous prémunir. Essentiellement, elle nous coupe des causes et ne perçoit que des effets. C'est ce tropisme structurel qui explique que la conscience s'érige en cause première et, en conséquence, croit étendre son empire sur le corps. « C'est ainsi qu'un petit enfant croit désirer librement le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d'ébriété aussi croit dire par un libre décret de l'âme ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu. » (Ethique, III, 2, scolie). De là suit logiquement la fiction d'un Dieu à l'image de l'homme tel qu'il se conçoit, c'est-à-dire doté notamment d'entendement et de volonté. « Si le triangle parlait, il dirait que Dieu est éminemment triangulaire » (lettre LVI à Boxel) « [...] car ceux qui ignorent les vraies causes des choses confondent tout, et c’est sans aucune répugnance d’esprit qu’ils forgent des arbres parlant tout autant que des hommes, et des hommes formés de pierres tout autant que de la semence, et imaginent que n’importe quelles formes se changent en n’importe quelles autres. De même aussi ceux qui confondent la nature divine avec l’humaine attribuent aisément à Dieu des affects humains, surtout aussi longtemps qu’ils ignorent aussi comment les affects se produisent dans l’esprit. » (Ethique, I, Prop. VIII, sc. II)

De fait, la théologie maintient la conscience psychologique dans ses illusions anthropomorphiques en donnant à Dieu des prédicats anthropologiques et en faisant de l'homme « un empire dans un empire ». Spinoza propose donc de mettre le corps au premier plan ainsi qu'une théorie de l'affectivité apte à rendre compte de la conscience et de ses illusions. Pour Spinoza, ce n'est ni l'entendement ni la volonté qui définissent l'homme. Leur scission n'a d'ailleurs pas de sens puisque cela reviendrait à s'imaginer nos pensées comme des « tableaux ». C'est en réalité d'une unique instance qu'il s'agit : la vraie nature de la pensée n'est pas représentative.

Au contraire : « le désir est l'essence même de l'homme ». C'est pourquoi la théorie spinoziste de l'affectivité met l'accent sur ce constat : la pensée est plus vaste que la conscience et ses représentations. « Comme s'il s'agissait de lignes, de plans ou de corps », Spinoza exhibe donc la logique des passions et, en creux, le fonctionnement de l'inconscient. En effet, bien que ce terme ne soit jamais employé comme substantif, le champ lexical qui lui correspond est souvent présent dans les scolies et démonstrations cruciales de l'Ethique.

Même si les hommes sont ignorants des causes qui les déterminent, il n'en reste donc pas moins que des parties de l'âme sont déterminées par des causes extérieures : il y a des raisons qui nous structurent à notre insu.

« D’où il appert que les causes extérieures nous agitent de bien des manières, et que, comme les eaux de la mer agitées par des vents contraires, nous sommes ballottés, inconscients de notre sort et de notre destin. » (Ethique, III, P LIX, scolie)

 

 

 

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