28/02/2009
Clausula generalis
« La Logique, si elle est effectivement la discipline de la vérité, est, en même temps et indissolublement, science de l'Être et science de la Pensée. Et son contenu articulé ne peut être que la Pensée s'articulant en tant qu'elle est pensée de l'Être et l'Être s'articulant en tant qu'il est pensé. » (Châtelet)
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« Ce n'est pas comment est le monde qui est le Mystique, mais qu'il soit. » (Wittgenstein)
Une Gedankenexperiment élémentaire nous apprend ceci : tout ce qui est effectivement, est, sans contradiction aucune, concevable comme contingent. Tout étant peut se penser comme pouvant être autre, et, essentiellement, comme pouvant ne pas être. En effet, rationnellement parlant et selon la distinction leibnizienne : le contraire d’une vérité de fait est possible, tandis qu’est impossible celui d’une vérité de raison. Quant à cette dernière, notons en passant que, théoriquement, deux options s’opposent : le contraire des vérités de raison peut soit être dit effectivement impossible, soit seulement impensable. Mais quoi qu’il en soit, aucun étant ne peut être conçu comme ne pouvant pas ne pas être, donc comme étant nécessaire : il existe toujours un monde possible qui l’exclut. Postulons donc que tout étant est radicalement contingent, et, informellement, examinons les implications de cette affirmation.
Remarquons d'abord que, pour être, chaque étant doit être lui-même, et donc doit nécessairement être tel qu’il est. Si, par hypothèse, il n’est pas nécessaire qu’il soit, une fois qu’il est, il doit nécessairement être ce qu’il est pour être un étant. En conséquence, pour être, il nécessaire qu’il soit identique à lui-même ; le principe d’identité vaut pour chaque étant. Autrement dit, s’il y a A, A est nécessairement A, même s’il se pouvait qu’il y ait non-A. En effet, être quelque chose c’est aussi ne pas être autre chose. Cette clause est à la fois la condition du discours doué de sens ainsi que celle de la perception. On a affaire à une nécessité de fait, une nécessité d’ordre ontique, une nécessité relative qui, a priori, n’est donc pas absolue. Ce n’est certes pas une condition ontologique, i.e. un réquisit qui porte sur l’être en tant qu’être. Car, on l’a dit, tout étant pouvant ne pas être, aucun étant particulier n’est alors nécessaire.
Sans bien sûr l’oublier, laissons donc de côté l’être en tant qu’être, et tournons nos regards vers l’apparaître, i.e. vers les phénomènes. Ceux-ci se manifestent dans l’espace du pensable, et donc du possible logique. Leur consistance est celle des principes logiques fondamentaux que sont l'identité et la non contradiction. Car, c’est ainsi, n'apparaissent jamais des cercles carrés, ni d’idées adéquates de telles « entités ». Oui, cette condition d’intelligibilité est à la fois celle de leur essence et celle de leur existence. Ce qui, à proprement parler, est pensé, a une forme logique. Tout ce qui est logiquement consistant a une existence possible, autrement dit une essence. Il suffit donc de concevoir un étant non contradictoire pour qu’il soit. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est un étant effectif, c’est-à-dire qu’il existe de manière actualisée. Non, mais il a une essence. Il pourrait être un étant actuel s’il avait l’existence. Il n’existe donc pas nécessairement, toutefois il est en quelque manière. On ne dira pas qu’il est « en puissance », mais plutôt qu’il est séparé de la puissance actuelle, qu’il est doué de virtualité. Il n’existe donc pas à la manière d’un étant effectif, comme un degré de puissance actuelle, mais comme un virtuel. Il est, pour ainsi dire, de la puissance en puissance. Et la pensée, éminemment, est le lieu du virtuel. Ainsi, tout ce qui est logiquement pensé peut-il exister, et donc aucune idée accordée aux préceptes logiques n’est-elle stricto sensu impossible. En effet, ce dont une idée est l’idée est possible, et l’essence représentée par l'idée, pour être elle-même, est nécessaire.
Bref, si cet idéat qu’est un étant est à la fois contingent, mais aussi doué de puissance réelle puisqu’existant, l’essence pure, quant à elle seulement virtuelle, est au contraire nécessaire. En effet, cette dernière ne peut pas être autre qu’elle est, sans n’être pas. Un étant actuel, c’est-à-dire un existant, est parfaitement concevable comme n’étant pas, alors que son essence est inconcevable en tant qu’autre qu’elle-même. Or exister, c’est pouvoir être autre. En ceci, la nécessité s’avère impuissance. En effet, exister requiert de pouvoir ne pas exister, raison pour laquelle l’essence, nécessaire, peut n’être pas celle d'un étant actuel. On l’a dit, ce qui caractérise les essences est la virtualité ; ce qu’une chose est, ce n’est pas qu’elle existe, puisqu’elle peut exister, ou pas.
Il faut alors affirmer que la contingence ne s’oppose pas absolument à la nécessité, mais la complète. L'étant effectif est double. En tant qu’il a une essence, i.e. étant ce qu’il est et n’étant pas ce qu’il n’est pas, il est nécessaire. Mais en tant qu’il a une existence, il peut être altéré et peut ne pas être (un étant). En ce sens, la contingence serait bien le signe même de l’existence. L’étant n’est pas pour autant contradictoire, mais il peut être contredit (point de vue logique) ou détruit (point de vue de la puissance). Notons que nier la position de A que l'on définirait comme un « cercle carré » serait nier l’ « endo-consistance » de A, sa possibilité même. Au contraire, nier qu’il pleuve, ce n’est pas nier la pluie en soi, mais la réalité de son occurrence en tel point de l’espace-temps.
Oui, fondamentalement, la contingence est relative au temps. Etre un étant, en effet, c’est être temporel, c’est être dans le temps. Plus exactement, c’est pouvoir ne plus y être. Au contraire, une essence n’est pas temporelle puisqu’elle ne peut pas devenir sans n’être pas ce qu’elle est, donc sans n'être pas. L’essence est indépendante du temps ; éternelle, elle l’est en ceci que son mode d’être intrinsèque (la vérité, le fait de sa consistance logique) est justement de pouvoir être dans le temps, tout en demeurant inaffecté par lui. Sa pensabilité, soit donc son caractère non contradictoire, garantit en effet sa virtualité.
A priori, les essences pourraient toutefois ne pas être nécessaires en soi puisque leur nécessité ne dérive ici que de la structure spécifique de cet étant qu’est l’être humain. L’intelligibilité des étants actuels est en effet corrélative de la nécessité des essences. Oui, il est nécessaire que les essences le soient pour que celles-ci soient intelligibles. On ne peut toutefois pas en déduire qu’il est nécessaire qu’elles le soient pour être. Le fait d’être quelque chose pour un intellect n’est pas le fait d’être en soi. En réalité, on doit alors déclarer qu'il est possible que l'être ne se reduise pas à la pensabilité, et donc que le possible pour moi, dans lequel se déploient les étants, se distingue de jure du possible en soi — même s'il est possible qu'ils soient de facto superposés. En tous cas, dans ce contexte, affirmer que la logique régit l'être et lui impose ses principes entrerait en contradiction avec la contingence attribuée aux étants et donc, en particulier, à la pensée.
Car, ne l’oublions pas, c’est sous la forme d’idées que les essences apparaissent à l’esprit. Et les idées se manifestent sous forme d’étants spéciaux, intrinsèquement représentatifs. Bien sûr, en tant qu’elles sont des étants actuels, les idées sont dans le temps. C’est pourtant leur caractère mental qui leur donne un statut intermédiaire. En effet, contrairement aux essences elles-mêmes, elles ont une existence, un être-dans-le-temps. Elles ne sont pas virtualité, mais puissance actuelle de représentation de l'actuel et du virtuel. Et en ceci, elles sont, comme tout étant actuel, possibles ; les idées sont contingentes, donc peuvent être autres. Or être intelligible c’est être non seulement identique à soi, mais aussi ne pas être autre chose — que ce soit de facto ou de jure. Et de fait, les essences sont intelligibles, c’est-à-dire sont concevables sous forme d’idées, bien que celles-ci, contrairement aux essences, ne soient pas intégralement nécessaires en tant que telles.
Par conséquent, assertons que ce qui demeure non seulement inintelligible, mais aussi inexplicable dans cette optique « contingentielle », c’est, ontologiquement, le fait même de l’intelligibilité. Au contraire, poser la nécessité absolue en rend raison, car de celle-ci se déduit le primat ontologique de l'être sur la pensée.
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