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29/10/2009

Legerdemain

 

« À la vérité, son intention, en général, n'est pas [...] de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. » (Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations)

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« Hegel fait remarquer quelque part que, dans l'histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. » (Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte)

 

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En guise de paresseux interlude et de manière certes bien trop lapidaire, amusons-nous à mesurer une certaine évolution du capitalisme américain (et, ceteris paribus, occidental) ainsi qu'à contempler la nature de quelques-unes de ses acrobaties contemporaines les plus manifestes.

 

À cette fin, commençons par comparer deux des ses « doctrines » emblématiques et successives. Il est en effet bien connu que Ford payait les ouvriers qui produisaient ses voitures aux USA suffisamment cher pour qu'ils soient en mesure d'en acheter. La politique de Wal-Mart, quant à elle, consiste en ceci que le salaire des employés qui distribuent ses produits Made in China doivent être suffisamment bas pour leur interdire de facto de faire leurs emplettes ailleurs qu'à Wal-Mart. Il reste cependant à ces salariés la possibilité du crédit bancaire, si bien entendu ils préfèrent payer des intérêts plus élevés que ceux que leur demanderaient les loan sharks.

 

De même, on pourrait ensuite remarquer que depuis la faillite de Lehman Brothers, les banques ont la capacité d'emprunter des liquidités auprès de leur banque centrale à des taux plus bas qu’avant la « crise ». Toutefois, les taux d'intérêts proposés par les banques de détail aux entreprises et aux particuliers (si elles daignent prendre le risque de leur faire crédit) n'ont pas changé en proportion. « Mécaniquement », les marges des banques les plus « saines » augmentent alors, ce qui leur permet à la fois de se recapitaliser et d'afficher, pour l'instant, des bénéfices substantiels. Mais puisque l'on parle d'intérêts, n'oublions pas que les Etats en paient eux aussi — et à des taux moins intéressants que ceux qui sont consentis aux banques par les banques centrales « indépendantes » — lorsqu'ils empruntent sur les marchés financiers, qu'il leur faille en effet boucler leur budget, acquitter les intérêts de leur dette ou même renflouer les banques too big to fail... Un joli circuit où le contribuable fait masse.

 

Pareillement, on pourrait noter que les banques d'investissement qui, telles Goldman Sachs ou JPMorgan Chase, ont bénéficié du trop fameux bailout, ont pu, grâce à cette manne fournie par le contribuable, acquérir, suite au krach, des actifs à bas prix et spéculer sans entraves. En conséquence, avec le concours d'artifices comptables (passage du Mark-to-Market au Mark-to-Model) et la remontée des cours boursiers, ces banques dégagent — « mécaniquement » là encore — des bénéfices record (et, conséquemment, octroient des bonus généreux), puis se retrouvent finalement dans une position encore plus dominante qu’auparavant.

 

Corrélativement, il serait possible de constater que la note (en partie virtuelle certes, le quantitative easing de la Fed transférant une fraction de cette charge sur les détenteurs de dollars étrangers, et, en particulier, la Chine) que devra théoriquement acquitter le contribuable américain est colossale, et que, parallèlement, la capitalisation de son épargne-retraite (les 401(k) et consorts) a parfois fondu de près de moitié. Pour fermer le cercle, ne cachons pas qu'il est de plus en plus fréquent que les employés de Wal-Mart soient largement en âge d'être à la retraite. Mais soyons justes : la prime à la casse (cash for clunkers) a permis aux plus chanceux d'acquérir une Ford flambant neuve. Soyons clairs, aussi : ce sont bien pourtant les impôts des Américains qui, in fine, seront censés financer cette aubaine.

 

Semblablement, faut-il douter que la « croissance verte » (qui est pour l'instant ironiquement surtout celle du nombre de dollars créés ex nihilo — comme dirait Allais, l'économiste —, dollars qui pénalisent opportunément les créanciers des américains ainsi que les exportations européennes) puisse amortir l'un de ces chocs à venir qu'est celui de l'immobilier commercial US (cet imposant successeur des subprimes) et faire baisser un chômage galopant ? Ce serait sans doute là faire preuve de mauvais esprit, mais en tous cas pas de celui, encore foncièrement « optimiste », du peuple américain.

 

Finalement, la moralité de l’histoire est, comme toujours, banale et attendue : du point de vue délaissé de l'intérêt général, les limites du lobbying sont atteintes lorsque les lobbyistes — il suffit de consulter chaque curriculum vitae — sont de facto au pouvoir. Le très sérieux Simon Johnson, ancien du FMI, va même jusqu'à parler crûment d'oligarchie, tandis que Ron Paul, libertarien notoire, veut mettre le nez dans les bilans secrets de la Fed. S’il est vrai que cette « crise » et ses conséquences n’amélioreront certes pas le coefficient de Gini des USA, ces déclarations dénotent très probablement chez Johnson et Paul une certaine insensibilité à cet art pourtant méritoire qu'est la prestidigitation la plus classique.

 

 

Commentaires

Je note cette phrase de Trotsky, l' initié, déjà très lucide (ou très au courant de ce qui se tramait déjà depuis trop longtemps dans les coulisses des orfèvres de la City) sur cet autre illuminisme souterrain, ésotérique, lent, pervers, prompt à toutes les inversions: « Le fabianisme, le MacDonaldisme et le pacifisme jouent aujourd'hui le même rôle vis à vis de l'histoire du prolétariat. Ils sont la propagande principale de l'impérialisme britannique, et de la bourgeoisie européenne, si ce n'est de celle mondiale. » Nous pourrions sans doute ajouter l' humanisme, le protestantisme, le progressisme, le machinisme, l' hygiènisme, le racisme, le modernisme, le décolonialisme, l' eugénisme, le féminisme et plus récemment l' oecuménisme universel multicolore, l' hollywoodisme, le tourisme, le nudisme, le droit de l' hommisme, le mondialisme, l' écologisme, l' onusianisme, l' ONG-isme, l' euthanasisme, le terrorisme, le fanatisme, le spiritualisme et sans doute bientôt le messianisme apocalyptique, à la longue légion utérine des hérésies babyloniennes.

Précisons et résumons devant la Dokana spartiate: Némésis est bien mère des Dioscures.

Écrit par : "Everybody is my slave" | 30/10/2009

Et de nos jours, cher Karim, les pyramides sont partout. Même si, il est vrai, elles ne sont que "de Ponzi".

Écrit par : Anaximandrake | 30/10/2009

Oui, avec un fort mauvais oeil triangulé et cyclopéen. Pour la petite histoire, j' ai connu un homme que je peux considérer fièrement comme mon Magister. Ce génie inconnu (il en existe), civilement économiste, professeur d'université, ayant travaillé pour l' OTAN, architecte, chimiste, grand métrologue devant l' Eternel, égyptologue passionné, adorateur du Parthénon, chrétien enragé, solitaire et atypique figure à la face acétique comme sortie d'un temple d' Hermopolis, Belge de nationalité, royaliste et descendant de chouan vendéen, avait pour connaissance ce cher Allais, l' économiste, le physicien et surtout l'astronome pendulaire. En privé, en bonne compagnie et sous le couvert de la confidence, ce grand polytechnicien avait, semble-t-il, une conception fort étonnante du monde, une étrange obsession pour les éclipses et les pendules. Je me répète, cher Thomas, et vous comprendrez ma prudente Prudence: Némésis est bien mère des Dioscures. Et, comme vous le dites de manière si délicieusement philosophique, finalement, la moralité de l’histoire est, comme toujours, banale et attendue.

Écrit par : Allais effect | 31/10/2009

Petit complément, pour les Cvrieux de Natvre, tiré du très officiel site. Merci, Thomas, pour votre belle ouverture d' esprit.

Écrit par : Titus Bode | 03/11/2009

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