Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2007

Perinde ac cadaver

« Tout ce qui s’opère par le medium de la représentation, c’est-à-dire de l’intellect – celui-ci fut-il développé jusqu’à la raison – n’est qu’une plaisanterie par rapport à ce qui émane directement de la volonté. » (Schopenhauer)

*

« Les passions de mon voisin sont infiniment moins à craindre que l'injustice de la loi, car les passions de ce voisin sont contenues par les miennes, au lieu que rien n'arrête, rien ne contraint les injustices de la loi. » (Sade)

« Qui garde le tyran quand il dort ? » (La Boétie) 

 

61fa4d84c09279df2aa5bd2e863b4374.jpg

 

On appelle « éliminativisme » la doctrine réductionniste selon laquelle il n’existe rien de tel que les états mentaux. C’est une assomption de certains chercheurs en sciences cognitives, dont la démonstration reste à faire, et qui s'apparente plutôt à un idéal indéfiniment programmatique. Le modèle, ici encore, est celui de la physique. En effet, celle-ci explique la diversité des phénomènes qui tombent sous sa juridiction par des interactions légales fondamentales entre des entités élémentaires. La physique est donc, de jure, apte à rendre compte des phénomènes biologiques dès lors que l’on convient que tout vivant est finalement un composé de particules élémentaires interagissant entre elles. Ainsi, n’existe-t-il pas de lois biologiques qui ne puissent être finalement réductibles à des lois chimiques puis physiques. Notons que d’éventuelles lois « émergentes » ou  même « survenantes » se produisant à un niveau biologique resteraient des lois physiques. Bien entendu, cet empire de la physique ne va pas jusqu’à rendre tout concept biologique inutile. D’une manière générale et abstraction faite de phénomènes particuliers, les notions brutes de la physique fondamentale ne seraient d’aucune pertinence pour rendre compte des phénomènes spécifiquement biologiques, et ce ne serait-ce que pour des questions d’échelle. Ainsi, s’il fallait rendre compte d’un organisme et de ses modifications uniquement par le biais de ses fermions et de ses bosons, la tâche serait proprement interminable. En conséquence, même si, de facto, la biologie ne se réduit pas à la physique, en droit, elle le pourrait.

 

Notons bien que nous n’entrerons pas ici dans le débat de l’évolutionnisme. La théorie de l’évolution, en effet, constitue un paradigme heuristique bien plus qu’un concept proprement biologique et, moins encore, normatif. Ne parlons pas des avatars comme la sociobiologie qui transforme ce qui s’observe chez une espèce biologique, en quelque chose de souhaitable pour une autre. Nous ne croyons pas en effet que les fourmis devraient se doter de l’arme atomique ni que les termites auraient un intérêt immédiat à se rendre sur Mars. De même, il est bien évident que la prose légère qui voit dans l’évolution la sélection des « meilleurs » est une pure et simple plaisanterie. Sans rappeler, comme Calliclès ou Nietzsche, que les « faibles » se liguent rapidement contre le « fort », il est évident que tout processus adaptatif n’est qu’une adaptation à un milieu dont la modification, hasardeuse, ferait du « pire » d’aujourd'hui, le « meilleur » de demain, et, par gamètes interposées, le médiocre d'après-demain. Synchroniquement, la vue de l’aigle lui serait de peu d’utilité pour vivre comme une taupe, tandis que, diachroniquement, une apocalypse nucléaire ferait du scorpion le fleuron de l’évolution. Bref, s'il est possible de faire de l'adaptabilité une valeur, elle ne peut, sans absurdité, être un dogme à vocation idéologique. Finissons de digresser et abandonnons donc ici toute téléologie et, a fortiori, toute axiologie hâtive. 

 

L’éliminativisme donc, se verrait dans la situation où les tendances rangées sous sa bannière pourraient jouer pour le mental le rôle de la physique pour la biologie, à savoir qu’il s’agirait de faire des sciences du cerveau le meccano sous-jacent des états dits « mentaux ». C’est en cela qu’elle est réductionniste. Mais il ne s’agit pas seulement, tel un physicien qui pourrait assimiler la foudre à quelque flux électronique, de réduire le phénomène « conscience » à un effet, mais aussi, après l’avoir expliqué, d’en nier l’existence. La neurologie ne devrait pas seulement expliquer la psychologie, mais aussi en dissoudre l'objet. Une douleur ne serait plus qu’un modus loquendi. Déflationniste, l’ontologie serait donc ici neurologique. Finalement, l’état mental n’existerait pas réellement : pure fiction, la conscience devrait conséquemment être éliminée. Il suffira donc de classer un Dennett par exemple (qui conserve un grain de raison en sauvant in extremis les attitudes propositionnelles) parmi ces fous qui expliquent ce qui n’est pas par ce qui n'est pas censé exister : une espèce de métaphysicien dogmatique du genre capitopède, donc. Soulignons encore que la conscience, dans cette optique, n’est même pas une illusion puisque une illusion qui ne serait pas une illusion de la conscience, ne serait pas même une illusion. Autrement dit, une doctrine qui ne serait pas, aussi, une idée ou un ensemble mental, mais seulement une suite de symboles vides de sens, ne serait qu’un fait d’aliénation. Non plus donc un « fantôme dans la machine », mais moins encore : la conscience comme une absence qui fait de nous, selon les propres termes de Dennett, des « zombies ». On le voit, si cette conception de la conscience comme néant pourrait, présentée à la hussarde, sembler sartrienne, elle en diffère toutefois absolument, faute de dialectique, donc de pensée

 

Mais si la stricte voie éliminativiste paraît absurde, la voie réductionniste, quant à elle, apparaît plus raisonnable. Prima facie, pourquoi ne pas considérer que la conscience est un épiphénomène cérébral, donc que la neurologie est à la psychologie ce que la physique est à la biologie ? Pour une raison simple : cette hypothèse est incohérente. Car si le cerveau, ses protéines et ses protons sont bel et bien physiques, la conscience ne l’est pas. Point d’alarme : on n’invoque rien ici d’hors nature, ni encore moins de surnaturel. Car il est clair que le fait que la conscience soit à la fois naturelle et explicable dans son fonctionnement, ne revient pas à dire qu’elle est un phénomène physique. Pas de hauts cris : on ne se fait pas ici le chantre d’un quelconque spiritualisme. Oui, sachons demeurer matérialistes : si la conscience n’est pas physique, mais bien plutôt et comme on le soupçonnait depuis longtemps, tout bêtement psychique, rien n’empêche de la considérer comme une matière abstraiteA minima, soyons donc spinozistes et parallélistes, et voyons la pensée et l’étendue comme deux attributs de la nature qui expriment une seule et même réalité. Tout à l'heure, nous serons aussi cartésiens, mais seulement par provision. 

 

Qu’y a-t-il d’incohérent à réduire le mental au cérébral, de la même manière que l’on réduit le biologique au physique ? C’est ce que nous suggérions à l’instant : que l’on puisse considérer comme une explication satisfaisante voire scientifique une explication ramenant une cellule à un ensemble de molécules puis d’atomes puis de quarks et autres électrons, ceci est hors de doute. Mais que vaudrait une explication qui dirait que cette joie particulière est une libération d’endorphine ou encore une luminescence dans la cartographie IRM en temps réel ? Pas grand-chose, assurément. Car de telles modélisations ne rendent pas compte de l’expérience, et ne remplissent donc pas le réquisit fondamental de toute théorie à prétention scientifique. En effet, une chose est de faire l’expérience de remarquer que le sujet présente un myosis, que telle zone de son cortex est activée, et qu’il émet tel son ou prononce telle suite de mots, une autre est de subir le choc douloureux d’une lumière trop vive en hurlant à l’imbécile qui vous a mis un faisceau lumineux dans l’œil un florilège à la fois spontané et ornithologique. Ainsi (quelle découverte...) toute description complète et réelle d’un phénomène impliquant la conscience ne peut-elle faire l’économie ni de la dimension objective, ni de la dimension subjective. Mais ne nous réjouissons pas trop vite : il existe une objectivité de la subjectivité et une subjectivité de l’objectivité. La psychologie introspective et projective, sans avoir, et c’est heureux, à verser dans le psychologisme, est en mesure d’établir des régularités entre idées et affects ou même de débusquer en son sein rien moins que la logique dite classique. De même, la neurobiologie n’est douée que de la perception qu’autorise son dispositif expérimental, appareillage qui s’avère être en fait l’analogue d’une fonction-sujet rudimentaire.

 

Ne soyons pas en cet instant des cartésiens honteux, mais sachons en être des rapides. En effet, un cogito furtif suffit à discréditer toute tentative réductionniste. Point n’est besoin ici d’une hiérarchisation ontologique entre pensée et étendue ; disons juste avec Sartre : « Il n'y a pour une conscience qu'une façon d'exister, c'est d'avoir conscience qu'elle existe ». Nous ne devons pas en déduire un quelconque « sujet », mais uniquement un domaine que l’on peut qualifier, en accord avec l’usage traditionnel mais erroné, de subjectif. C'est un domaine que la psychologie égologique et la phénoménologie entre autres, il est vrai, voudraient bien s’arroger, et qu’il s’agira donc de redéfinir drastiquement, sachant qu’il est, on l’a dit, de part en part, non seulement réel, mais objectif, et quoique l'on ait affaire à des qualia. C’est bien ce à quoi, après ce pénible exposé liminaire, il nous faut maintenant en venir : qu’est-ce que cette matière abstraite

 

On sait que Spinoza, qui ne fut pas cartésien et ne fit qu’utiliser la koinè du cartésianisme, faisait l’économie de son cogito : « l’homme pense ». Le mental humain n’est plus cette appréhension de l’esprit comme simple à la manière de Descartes, mais un mode de l’attribut infini qu’est la pensée qui, à ce titre, est parallèle dans son ordre et sa connexion au corps et donc, par là même, au cerveau, mode de l’étendue. On devra donc bannir toute causalité entre l’esprit et le corps, mais seulement établir une concomitance. La relation causale a lieu dans chacun des attributs. Ainsi, à proprement parler, si l’excitation du nerf optique induit certaines modifications électrochimiques dans le cortex, elle ne produit pas la vision. Pareillement, tel inhibiteur de la recapture de la sérotonine ou tel alcaloïde engendreront sans conteste une altération de la chimie des synapses, mais pas un changement d'humeur, qu'elle ne fera qu'accompagner. Inversement, si la profération d'une phrase et la contraction volontaire du poing seront bien synchrones d'une activation de l'aire de Broca, de celle de tels centres nerveux et de la variation du taux de certains neurotransmetteurs et neuromédiateurs, elles ne les produiront aucunement.

 

Débarrassons-nous d’un corollaire : ne pas voir, contrairement à la pente d'un Philip K. Dick par exemple, en son semblable (hypocrite ou non), un automate dépourvu de conscience, relève d’un acte de croyance, et même souvent de foi. Le solipsisme n’est finalement qu’un égoïsme, d'ailleurs le plus souvent dépressif. Sachons donc ne pas accorder à autrui ce qui manifestement fait défaut à chacun, à savoir un Ego (ou Moi) autre qu'imaginaire, mais laissons-lui ce qu'il partage avec toute chose, id est une individualité. Quant à la conscience, c’est un pur champ intensif auquel il serait fort peu occamien de vouloir lui refuser toute participation, même minime. Certes, comme le fait remarquer finement Wittgenstein, l’esprit d’autrui est comme une boîte dans laquelle on juge un peu vite qu’il y a le même « scarabée » que dans la sienne. Outre les soupçons qui ne peuvent manquer d’advenir à l’esprit de ses lecteurs quant aux motifs obscurs de cette subtile chasse au « scarabée » de son voisin, disons simplement que s’y promène toutefois bien un « insecte » (ou parfois, avouons-le, un arachnide), fut-il indéterminé. Bref, il n’y a pas d’Autre puisqu’il n’y a pas de Moi ; l’autre étant, en droit, non pas comme moi, mais moi.

 

La conscience en tant que champ intensif est un en-soi. Mais cet en-soi est aussi un pour-soi. Celui-ci est fondamentalement, et à la manière leibnizienne, une perspective. Au sein du champ intensif, tout moi est un complexe d’intensités déterminé. Mémoire totale, ce champ est singularisé à chaque instant : le moi ou ego, en tant que résultante, est un cas du pour-soi. Or si l’esprit est un, donc la conscience unifiée, il ne peut être adéquatement conçu, on l’a vu, comme pur punctum, du moins au sens cartésien. L’esprit a des parties, dont la composition signe un régime affectif variant de joies en tristesses qui correspondent à une augmentation ou une diminution de puissance, au cours du temps. Et si l’ego est bien le produit instantané d’un tel processus, sa genèse est perpétuellement sous-tendue par ces réarrangements idéels, donc affectifs. La conscience unifiée, l’esprit, qui recueille des effets, est la conséquence d’un inconscient infiniment plus vaste et labile, qui s’avère être la conscience en tant que telle, mais sans sujet.

 

On assiste avec la tentative lacanienne de logicisation puis de mathématisation de l’inconscient, à sa dépotentialisation, qui, ceteris paribus, est comparable au traitement cartésien de l’étendue, et à son évacuation corrélative de la notion de force. Les mathèmes et nœuds de Lacan seraient les topiques freudiennes desquelles auraient été soustraites les pulsions, qui sont, rappelons-le, « nos mythes ». Mais chez Freud, comme l’ont montré Deleuze et Guattari, l’inconscient reste encore tout pénétré des catégories de la représentation : un théâtre en lieu et place d’une usine. Car, en fait, qu’y voit-on à l’œuvre ? Au-delà même du Witz freudien ou des métaphores et autres métonymies entre chaînes signifiantes que le tropisme linguistique de Lacan met en avant, se font et se défont des liens, des associations entre éléments eux-mêmes divisibles et susceptibles de connexions variables et divergentes. Aucune partie n’est atomique, c’est-à-dire qu’aucune hiérarchisation n’y est applicable. Une série d’éléments connectés  par un schéma narratif, tel qu’il arrive dans un rêve par exemple, sont en fait aussi des ensembles composés d’éléments, ad infinitum, ou du moins, et c’est le point, ad libitum.  Tel x, par ses éléments, entre donc aussi, comme on peut le voir grâce à la méthode de l’association libre ainsi qu’à celle de l’interprétation, dans un autre réseau qui en fera le porteur d’un tout autre sens. Si la narration établit un rapport R entre x,y et z, ils sont inintelligibles comme tels car, si l’on suit les autres séries, par exemple une série qui s’origine de z vers ses éléments, l’on finira par retrouver x, x dont le sens n’est pas homogène à sa première occurrence en R(x,y,z). Bref, ce n’est pas des éléments que l’on peut inférer le sens de leur mise en rapport. Ce qui compte ici, c’est leur relation. Et celle-ci est un affect, une force de déformation déterminée au sein du champ intensif ; elle se manifeste à l’occasion de la perception actuelle de x, y et z dans ce champ particulier. Ce qui prévaut ici, c’est davantage le modèle de la Recherche proustienne, une variation continue entre éléments qui se charge progressivement de son histoire.  D’une certaine manière, on peut alors affirmer que l’activité de l’esprit, en dernière analyse, n’a pas d’objet. Ou, plus exactement, pas d’objet adéquat, puisqu’il est acte pur. Il n’est tissé que de temps. Il est synthèse permanente : une histoire, pas une narration, fut-elle neurobiologique.

 

Reprenons. Si l’esprit, dont l’écume est consciente de soi, est bien fondamentalement une mémoire orientée, il peut bien, en première analyse, être vu comme un cône de Bergson dont la pointe est acte, et la base, pur inconscient ou virtualité essentielle. Force est de le constater, chaque cône a une topologie bridée. Son histoire induit des probabilités de passage variables entre différentes idées ou affections. Ici devenues nulles, là quasiment égales à un, comme dans le cas-limite du réflexe. On peut invoquer avec profit le modèle cartographique : certaines pentes ou denivelés dérivent de certains rapports entre cotes, même si la géomorphologie et la tectonique sont bien entendu ici nettement plus fluides (de moins en moins, toutefois, à mesure du passage du temps). Même le rêve à ses topoï. Et que dire des striures langagières ou des coulées que creusent les concaténations, habitus et raisonnements tout faits qui ont subi l’épreuve du feu... Si la logique de l’implication, par exemple, déclare une contiguïté, elle est en fait une idéalisation. La logique est celle des pensées les plus conscientes ; Gödel en a d'ailleurs fait les frais, corps et âme. On découvre bien plutôt des phénomènes que même les ressources des logiques exotiques et para-consistantes seraient bien en peine de décrire. Ainsi, tout événement, id est toute modalisation instantanée du moi, évoque-t-il un passé et ne se constitue que par lui. 

 

La matière de chaque cône-ego est commune, mais elle s'avère être une singularisation barycentrique (mathématisable en droit), en tant qu’actualisation. Il faut donc concevoir un autre niveau de modélisation : un champ intensif d’idées-forces constellés de singularités qui sont, chacune, un cas de ce champ. Chaque singularité est donc elle-même prise dans la topologie du champ commun induite par la force de déformation de toutes les autres. Bridée en elle-même, ses degrés de liberté le sont aussi par l’espace intensif commun. Il n’y a ici aucun code total et isolé, puisque la topographie générale est purement et simplement la conséquence de chacun des points massiques qui peuplent le champ. On assiste non pas à un ordre central, mais à un phénomène de rétroaction réticulaire généralisée. Non pas donc un pouvoir global, individualisé et surnuméraire, mais, selon l'expression de Foucault, des rapports de forces locaux. Cette deuxième limitation de la plasticité du cône se surimpose à la première : c'est l’ensemble mouvant de ce qu’il faut désigner ici comme non-Soi, et qui se révèle être sa pars reactiva. Elle est bien celle du cône-ego singulier en ceci qu’elle est sienne, en tant que partie constituante de la force totale, mais elle en diffère en ceci que cette déformation est passive. Cette puissance à la fois interne et extérieure, c’est le Socius. Présent intégralement en aucun, il pèse intégralement, bien qu'inégalement, sur chacun. Etant donné que le Surmoi qu’il instaure par dissociation n’est qu’un miroitement vide, un reflet de rien fictionnant l’Autre, on doit en déduire abruptement que le Socius n’est en fait – c'est l'évidence même – rien d’autre que la non-maîtrise du Soi.

 

 

Thomas Duzer 

Commentaires

Merci, tout simplement, Magister.

Écrit par : Eurydice | 09/11/2007

"Le mental humain n’est plus cette appréhension de l’esprit comme simple à la manière de Descartes, mais un mode de l’attribut infini qu’est la pensée qui, à ce titre, est parallèle dans son ordre et sa connexion au corps et donc, par là même, au cerveau, mode de l’étendue. On devra donc bannir toute causalité entre l’esprit et le corps, mais seulement établir une concomitance."

"CONCOMITANT, ANTE, adj. Didactique. [En parlant d'un fait] Qui se produit ou se présente en même temps qu'un autre fait considéré comme principal, ou qui lui succède immédiatement."

C'est très étonnant, hier soir, avant de m'endormir, je me suis trouvé à mi-chemin de ma énième relecture du "Le scarabée d'or". Je viens aussi de finir " Sahara l' esthétique de Gilles Deleuze" de Mireille Buydens (Vrin). Beaucoup de zones d'ombres (le passage du plan coloré pur à la ligne me fait un peu rigoler) et un panorama sasissant de l'oeil de l' homme Deleuze.

Pour faire écho, sous un "autre angle" (monadique) à vos propos:
Il y a ce passage: ce passage exactement (p 79...).

"Peut-on dès lors parler d'une complémentarité entre la forme et l'aformel, le molaire et le moléculaire, la structure et la ligne ? Nous ne le pensons pas. Suivant la profonde analyse de cette notion effectuée par Jean Paumen, nous considérons en effet que deux termes ne sont complémentaires que pour autant qu'ait été radicalement récusée toute primauté de l'un des termes sur l'autre terme. Une telle récusation des primats suppose à son tour que soit reconnue à chacun des termes un même rang de dignité heuristique et axiologique: " Ne serait-ce pas, en effet, fausser l'esprit du recours aux complémenaires que de se décider à reporter tout le poids de l'obscurité et de la confusion sur l'un des thèmes et à concentrer le bénéfice de la luminosité et de la netteté sur l'autre thème? A ce compte, l'un des thèmes aurait pour seul office de préserver ou de consolider la fonction opératoire de l'autre thème et l'on se trouve incliné à prévilégier, malgré que l'on en ait, l'un des deux thèmes au dépens de l' autre." N 'est ce pas à une démarche similaire que nous assistons chez Deleuze? Certes, il ne s'agit pas d'octroyer toute la clarté à une terme et toute la confusion à l'autre, mais ce qui revient fondamentalement au même, toute la "créativité" (toute la fluidité, toutes les vertus libératrices) à l'un des deux termes, et toute la carcéralité (tout le despotisme, toute la rigidité) à l'autre terme. L'égalité est alors incontestablement rompue, en fait sinon en droit, et l'on ne peut valablement soutenir que le refus des primats ait été respecté. Aussi doit-on conclure pour Deleuze, comme Paumen concluait pour Bergson: "Comment expliquer(...)que les très nombreux termes avec lesquels Bergson a opéré, de 1889 à 1934, ne s'imposent jamais à nous comme des couples complémentaires? Jusque dans la disposition des termes qui les composent, ces couples s'ordonnent, les uns par rapport aux autres, selon les lois d'une implacable symétrie ; dans chacun des couples, l' un des termes est marqué d'un coéfficient de positivité, l'autre d'un coefficient de négativité", d'où il résulte que, en dépit des apparences (la symétrie des couples), la complémentarité ne peut, ni pour l'un ni pour l'autre, être alléguée."

(et ( entre autres) p173)
Deleuze parle: "La seule manière de ranger les deux problèmes, de la peinture et de la musique, c'est de prendre un critère extrinsèque (CRITERE EXRINSEQUE?) à la fiction d'un système des beaux-arts, c'est comparer (COMPARER? COMPARER PAR QUOI? UN JUGEMENT CHEZ DELEUZE? une DISTANCE? un ETALON? une STRUCTURE?) les forces de déterritorialisation des deux cas.Or il semble que la musique ait une force déterritorialisnte beaucoup plus grande, beaucoup plus intense et collective à la fois, et la voix une puissance d'être déterritorialisé beaucoup plus grande aussi."

Mireille Buydens: "... le peintre apparaît plus engoncé dans la matière que ne l'est le musicien: il travaille avec de l' huile, des pâtes colorées, qu'il étale et triture avec des pinceaux, des truelles, des chiffons. C'est un travail sur le matériau, destiné à capter les forces de la terre: plissement des montagnes chez Cézanne, spasme de la viande chez Bacon, force de germination d'un tournesol chez Van Gogh... La sensation est atteinte en sucitant la présence brute de la matière, l' immédiateté haptique des lignes et des couleurs. La peinture est un corps à corps: du peintre avec la chair du monde, de la toile avec notre oeil et tous nos sens. En musique, par contre, la proximité est assurée d'une autre manière: le son n'est pas épaisseur, pas de matérialité ; c'est une pure intensité. Le musicien travail la texture la plus désincarnée qui soit: le temps et l'onde sonore. Il tisse dans l'éther les hauteurs et les durées, les timbres et les intensités: cathédrales spirituelles... aussi peut-on parler de corps sonores dans la musique, où même de corps à corps immatériel et désincarné, ou ne subsiste pas "un seul DECHET de matière inerte et REFRACTAIRE à l'esprit." (Deleuze citant Proust à la fin, ça fait un peu Messe je trouve)

En attendant l'"étalon-quanta" concomitant à l'"étalon-qualia" du musicien,
j' attends avec grande impatience votre texte sur Xénakis.

Je suis heureux que vous voir apprécier Hopper, l' un des derniers grands peintres de l'espace de la REprésentation et du récit (n'en déplaise à l' empirisme transcendental planiforme et plein de lignes de fuites, axonométrique pour faire simple). Votre rapprochement avec Vermeer...

Bien à vous Thomas. (même si vous me coupez le sifflet)

Écrit par : Orphée | 09/11/2007

Depuis le Paradis, je vous salue tous les deux.

Quant à la question de la "concomitance", Karim-Orphée, et à la notion de "principal" impliquée par cette définition (voyez les autres...), il convient de bien insister sur le "considéré comme". Tout dépend de la focalisation, nécessaire, de l'observateur. En effet, il n'y a dans mon propos aucune suréminence de la série cérébrale sur la série mentale, i.e., comme je le dis ci-dessus, pas de supériorité ontologique de la pensée ou de l'étendue. Répétons-le également : la causalité est interne à chaque série, et non pas "croisée".

Je précise en outre que ce texte sur l'UPIC de Xenakis est de Mackay ; ce que je présenterai ici en sera ma traduction en français.

De plus, l'empirisme transcendantal guattaro-deleuzien n'est pas "planiforme". Il y a "mille plateaux" d'intensités différentes ; le planomène est le plan de leur immanence commune et réciproque.

Cordialement,

Écrit par : Anaximandrake | 09/11/2007

Pour info – et plus prosaïquement :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vendredis/

Écrit par : sk«צלב»ns | 09/11/2007

Merci pour le lien. Il est toutefois dommage que n'y soit pas évoqué tout de go le délectable problème de Gettier. Et puis : un "déclin de l'idéal encyclopédique" ? Il semblerait plutôt que prolifèrent les tire-au-flanc.

Sinon «צלב», c'est de l'albigeois ?

Et au fait, le 'Traité' de Wahl ?

Écrit par : Anaximandrake | 09/11/2007

La plus élémentaire pudeur intellectuelle me contraint de taire le sort momentanément fait au « Wahl ».

Écrit par : sk«சிலுவை»ns | 09/11/2007

Complexe ...

Écrit par : Tietie007 | 12/11/2007

J'avais lu "il n’existe rien de tel que les états mentaux" dans le sens où l'on dirait : "rien de tel qu'un bon bordeaux !"

Écrit par : Alina | 14/11/2007

Certes, et sans 'restriction mentale' ! A l'opposé de celle de l'éliminativiste, c'est la bonne lecture ; une sorte de schibboleth de la signification.

Écrit par : Anaximandrake | 14/11/2007

Novice aux pays des bloggers, c'est en naviguant que j'ai découvert vos contrées. Souvent, le fil et le temps étant trop courts, j'ai dû rebrousser chemin avant de m'avancer plus loin dans votre labirynthe. Bien que philosophe amateur - mais amateur de philosophie - je vous félicite pour la qualité et la richesse de vos textes.
Bravo et merci.

Écrit par : Sheffer Peppard | 16/11/2007

Merci pour l'info.

Écrit par : Anaximandrake | 19/11/2007

Les commentaires sont fermés.