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30/09/2005

Nihil obstat

« Ainsi la mort nous apporte la question de ce qui nie le discours, mais aussi de savoir si c'est elle qui y introduit la négation. Car la négativité du discours, en tant qu'elle fait être ce qui n'est pas, nous renvoie à la question de savoir ce que le non-être, qui se manifeste dans l'ordre symbolique, doit à la réalité de la mort. » (Lacan, Ecrits)

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« La rhétorique procure à celui qui l'exerce le plus grand bien qu'on puisse souhaiter : être libre soi-même et dominer tous les autres. » (Platon, Gorgias)

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« On ne fait pas plus vaniteux et haineux que les inférieurs qui veulent leur revanche. » (Naipaul, Semences magiques)

 

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Kant, dans son Essai sur les grandeurs négatives (1763), distingue l'opposition réelle de l'opposition logique. Il approfondit ainsi sa critique du syllogisme amorcée dans Die falsche Spitzfindingkeit der vier Figuren des Syllogismus (1762). L'affirmation et la négation simultanées du prédicat d'un sujet aboutissent à l'opposition formelle qu'est la contradiction. Celle-ci produit ce qu'on nomme classiquement nihil negativum. Il s'agit d'un néant de pensée ou plutôt de la présence de sa défection, c'est-à-dire d'un pur impensable. En revanche, l'opposition réelle, même si on y assiste à la négation d'un terme par un autre, a pour conséquence non pas un rien mais un concept pensable. Ici, Kant a pour référent le modèle de l'action physique et celui de la composition de type algébrique. Le conflit réel n'a donc pas pour ressort la dialectique de l'être et du néant. Deux forces qui s'affrontent ne s'annulent au cours de leur opposition que du point de vue de leur résultante. Le "zéro" n'y est qu'un "rien relatif".

 

Ainsi peut-on différencier la privation de la contradiction. En effet, selon la catégorie du nihil privativum, les deux forces opposées sont positives, tout comme est réel le résultat de leur composition. Nous sommes loin de Hegel. La négation n'a pas chez Kant de valeur ontologique. En ce sens, Kant est un "demi-parménidien" orthodoxe : le non-être n'est pas.

 

Mais un "demi-parménidien'' seulement. Car ces considérations de la période précritique préparent l'avènement de la philosophie transcendantale. En effet cette dernière forclôt toute zone d'indétermination entre langage et réel ; elle tranche les liens dits dogmatiques par l'exclusion du non-être considéré comme présence. De manière implicite, dès 1763, c'est bien la ruine de l'argument ontologique.

 

En effet, que Dieu soit perfection absolue, c'est-à-dire non privation, implique que l'on ne peut concevoir en lui aucune limitation interne. Or, on l'a vu, ce qui pour Kant détermine la consistance d'une pensée relève de la logique du rien relatif. L'ens realissimum n'est donc rien qu'une pensée puisque l'être de la négation est ens rationis.

 

Au-delà du kantisme, un pas encore. Contrairement à l'assertion hégélienne, le maître absolu ne peut pas être la mort puisque le principe de consistance de l'Ego est Dieu en tant qu'être suprêmement individué. On peut donc en conclure logiquement que le conflit réel n'est "dialectique" que pour l'esclave. Oui, pour ce dernier, bien peu stoïque, la mort n'est pas rien et l'être n'est que discours.

 

 

 

Commentaires

« On ne fait pas plus vaniteux et haineux que les inférieurs qui veulent leur revanche. » (Naipaul, Semences magiques)

Oh que c'est bon de lire cela...
Fort tout simplement. Merci !

Écrit par : mimidup | 30/09/2005

Merci pour cette démonstration, qui aboutit au constat, si j'ai bien compris, que pour l'être libre la mort n'est rien.
Si pour l'esclave la mort n'est pas rien, les obsessions et délectations morbides sont donc le signe de l'esclavage. Tel est bien mon sentiment. C'est pourquoi malgré la statue de la Liberté, malgré "Liberté Egalité Fraternité" les pays riches et "libres" sont habités par de moins en moins de personnes libres.
La mort n'est rien, je suis d'accord avec vous Anaximandrake, et cependant il peut tout de même être bon de se la représenter comme quelque chose. La mort n'est rien, c'est pourquoi nous devons l'inventer. Beaucoup se fabriquent un "bardo", un entre-mort-et-vie où se replier pour la vie comme dans un cocon. Moi j'aime l'idée de la beauté et de la grandeur de la mort, en miroir de celles de la vie. J'aime la voir, également ennemie et alliée, comme Rilke dans son "Livre de la Pauvreté et de la Mort" : "le fruit qui est au centre de tout c'est la grande mort que chacun porte en soi".
Je crois qu'il faut, tout en la tenant à la distance qu'il convient, aimer la grande mort. Et qu'on ne peut pas, sinon, aimer la grande vie. Vouloir être à sa façon Achille, ou Jésus !

Écrit par : Alina | 01/10/2005

A quoi reconnaît-on le maître ? Il appelle ses disciples « mes amis », il invite à danser avec lui sur la corde raide, il est en perpétuel devenir. Sans doute le maître est-il l’invitant par excellence, celui dont l’invitation est pure car elle ne procède pas d’un manque mais du souverain désir. Le maître invite à comprendre, à aimer, à vivre et à jouir de la vie. S’il danse seul, ce n’est pas par goût de la solitude mais par goût pour la danse. S’il brille ce n’est pas parce que le monde est ténèbres autour de lui, moins encore pour éloigner les parasites qui ne pourraient supporter son éclat, mais parce qu’il est lumière. Soleil, astre, en révolution.

Lune celle qui réfléchit la lumière du soleil et tourne autour des choses terrestres. Affranchi celui qui devient son propre maître et de terre se fait soleil.

L’on pourrait définir la grâce comme la prolifération spontanée d’un désir pur. Le désir absolument pur est l’apanage du dieu, mais le maître côtoie la limite, vers laquelle il invite les disciples qui désireraient devenir maîtres. Il entraîne en corps, met en danger, informe le disciple (et se laisse réciproquement informer par lui) par sympathie.

Quel est le risque ? Narcisse se contemplant ne pouvait tomber de haut, pourtant sa chute lui fut fatale. Des hauteurs de la corde raide le vertige devient aussi dangereux que le narcissisme. D’autant plus que le vertige procure une sensation ambivalente qui peut être prise pour du plaisir (contrairement au sentiment de se noyer qui est assez clairement angoissant), alors que le frisson est celui d’une peur qu’on risque gros à tolérer. Séduction de la sirène, en quelque sorte.

Écrit par : Amanda | 03/10/2005

Un tel maître me fait rire. Si vraiment il ne manque de rien, pourquoi se démène-t-il tant à inviter ?
Si vraiment le maître ne manquait de rien, il ne manquerait à personne, non plus.

Écrit par : Alina | 03/10/2005

Au passage, question Alina : quand tu lis le prologue de Zarathoustra , éprouves- tu le même besoin d'ironiser ? Sinon, pourquoi ta réaction ?

Écrit par : X | 04/10/2005

Un maître peut-il vraiment ne manquer de rien? Son désir est certainement plus noble, étant affecté par des choses plus fines. Toutefois il reste lié à son monde, et continue d'y vivre, même en "côtoyant la limite". La solitude du maître ne peut pas alors être un choix, mais plutôt une conséquence involontaire de l'éclat aveuglant, comme cela a été dit. Il est facile de remplir le vide que représentent les aspirations de ceux auxquels il manque quelque chose; il est plus difficile, plus rare surtout, de s'acquitter de cette tâche dans une perspective charitable. Ne pas abandonner de champs aux discours des rhéteurs manipulateurs: c'est là que réside toute la noblesse de l'entreprise.

Écrit par : antares | 04/10/2005

Je n'ironise pas, je suis tendre. Je suis compassionnelle envers les hommes et les femmes, envers nous qui souffrons et de temps en temps, tels des enfants, nous rêvons tout-puissants et libérés du besoin d'autrui. Or sans sujets le roi est encore moins que ses sujets. Le vrai maître est le roi qui sait vivre et mourir nu, mais il pourrait aussi bien être une pierre.
Zarathoustra est le personnage d'un poème, non un être humain. Nous qui parlons ici, nous sommes tout de même des êtres de chair, derrière nos écrans, même si nous ne signons que d'une lettre ?
Etre maître n'a aucun intérêt à mon sens. Pas même maître de soi. Aucun intérêt parce qu'il n'y a là que vanité et surtout mensonge. La meilleure maîtrise que nous puissions avoir, c'est celle de savoir que nous ne sommes pas maîtres.

Écrit par : Alina | 04/10/2005

Rire tendrement, Alina?
Méfiez-vous de la compassion, dangereuse d'autant plus qu'elle commence par se porter sur le Moi que l'on console comme un orphelin, l'animal à abattre...

Écrit par : Amanda | 05/10/2005

Ne vous en faites pas pour moi, Amanda ! Mon petit Moi s'est laissé pousser tout plein de plumes, sur lesquelles tout glisse !

Écrit par : Alina | 05/10/2005

Quel "nihil" ?
La mort pour l'esclave, ça n'est pas rien, il en fait toute une histoire.
Ni la mort ni l'existence ne font partie de l'essence. Cependant la mort est nécessaire au sens d'inévitable. Elle relève de la mauvaise rencontre ; elle est la conséquence du fait qu'il est donné dans la nature infinie des forces contraires et composées qui sont physiquement supérieures à la nôtre et donc sont capables de retirer à notre essence l'existence c'est-à-dire de s'approprier les parties extensives qui étaient subsumées sous le rapport caractéristique de notre singularité. L'essence n'est pas détruite pour autant, elle est mais cesse d'exister, c'est-à-dire d'être actualisée.
L'aristocratisme est attention à l'actualisation de la puissance au mépris de la mort tandis que la servitude l'est à la mort et à ses manifestations au mépris de la puissance.
Or, l'essence est puissance...
La servilité est essentiellement logorrhéique, persuadée que la parole est substituable au réel c'est-à-dire qu'elle n'est pas parole d'alliance mais de jugement et donc de conjuration, bref, qu'elle ne relève pas du symbolique. Il n'est donc pas hasardeux que le rhéteur ne puisse - pour son plus grand profit - que présenter la contradiction au fondement de son ontologie.

Écrit par : Anaximandrake | 05/10/2005

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