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27/11/2007

Sotie, sur Rosset

« Dans ce qui est transitoire – or, tout l’est –, recueillons avec nos sens des essences et des intensités. Où chercher le réel ? Nulle part, certes, si ce n’est dans la gamme des émotions » (Cioran)

*
« Que l’angoisse dévoile le Néant, c’est ce que l’homme confirme lui-même lorsque l’angoisse a cédé. Avec le clairvoyant regard que porte le souvenir tout frais, nous sommes forcés de dire : ce devant quoi et pourquoi nous nous angoissions n’était "réellement"… rien. En effet : le Néant lui-même – comme tel – était là. » (Heidegger)

« Dans l'ironie, l'homme anéantit [...] ce qu'il pose, il donne à croire pour n'être pas cru, il affirme pour nier, il nie pour affirmer, il crée un objet positif mais qui n'a d'autre être que son néant » (Sartre)

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Récemment (et d’ailleurs aussi, çà et là, plus anciennement), nous évoquions l’œuvre admirable de Clément Rosset et, en particulier, en dialogue avec l’Atelier Rosset (qui, après la lecture de ce qui suit – nous l'espérons – ne nous en voudra en rien), sa conception du tragique et de la joie. Et puisque, ici et , on débat avec force de sa philosophie, essayons d’en éclaircir quelques points fondamentaux.


Naguère, il nous a donc paru possible d'y porter le fer d'une critique nietzschéenne de type généalogique et, subséquemment, de s’étonner de l’étrange insistance de Rosset sur le réel tel qu’il est, davantage qu'à propos du réel tel qu’il devient ou, a fortiori, tel qu’il peut devenir. Avec un grain de sel, on s'amusera donc à tenter ici, après avoir posé quelques axiomes rossétiens et, en passant, écarté quelques erreurs d’interprétations courantes, de pousser jusqu'à ses ultimes conséquences la philosophie de Rosset, au risque ludique d'en proposer une extrapolation paradoxale ou même un surgeon aberrant. Nous essaierons de le faire sur un terrain qui n’est a priori pas le sien afin de comprendre rétrospectivement pourquoi c’est précisément en ce lieu philosophique – celui duquel on tente de la déloger – qu’elle a établi son camp.

D’obédience parménidienne, Rosset l’est en ceci qu’il assimile volontiers l’être de Parménide au réel. Du point de vue génétique, ce « réel » – nous le verrons – est doué des caractéristiques du réel lacanien. Pour Lacan en effet, il est « ce qui revient à la même place » (Séminaire XI), « une impasse de la formalisation » (Séminaire XVII), et même ce qui « existe comme impossible » (Séminaire XXII). Parallèlement, il appert que l'étymologie nous entraîne vers le domaine autonome des choses qui, bien qu'hors d'atteinte au sens strict, s'avère cependant, selon Rosset, plus accessible par les sens que par l'intellect.

Ecoutons la litanie de Rosset. Le réel est réel, et seul le réel l’est, n’étant d’ailleurs rien d’autre que réel. Mais alors, pourrions-nous répondre, cette tautologie qui caractérise le réel, n’est-elle pas finalement platonicienne ? Car qu’est-ce que l’Idée ? L’Idée, c’est la chose en tant que pure. On le sait : seule la Justice et juste, le Courage, courageux, etc. Or Platon est bien réaliste, puisque les Idées sont la réalité même, tout le reste étant icône, ou pire, idole, simulacre. Rosset peut-il, malgré son évident désir, échapper à la métaphysique, et pas seulement à celle déconstruite puis remontée, pratiquement, par Kant, mais surtout à celle des arrière-mondes, dénoncée par Nietzsche ? Et s'il y parvient, à quel prix ? Il conviendra de le déterminer avec soin.

Donc, qu’est-ce que cette illusion que Rosset s’emploie à combattre sur tous les fronts où elle se présente, la fleur au fusil, prétendant remplacer le réel ? Classiquement, l’imagination est la réalité de l’image, et l’illusion, sa confusion avec le réel ainsi que l’évacuation concomitante d’icelui, par exemple sous forme de dénégation. Dans l’illusion, il n’y a pas plus que dans le réel, mais quelque chose en moins, nommément le réel lui-même. D’ailleurs, tout comme Lacan, Rosset argue avec brio de ceci : ce qui est expulsé du réel revient sous forme d’hallucination. C’est un fait : dans les livres de Rosset, on rencontre à chaque page des personnages qui, tels ces poètes bannis par Platon, tentent de substituer une autre réalité au réel, ou s'ingénient à en fabriquer des « doubles », sortes d'indues duplications. Ainsi Boubouroche, ainsi le métaphysicien d'Epinal ou celui de Königsberg, ou encore Narcisse et Œdipe. Car s’il y a bien une réalité de l’illusion, on le voit, l’illusion peut être dite irréelle en ceci qu’elle ne fait que participer du Réel, le singeant pour prendre sa place, consciemment ou non, et faisant de l’image, non l’image du réel, mais le réel lui-même. Bref, la proie est lâchée pour l’ombre. Les raisons psychologiques en sont certes multiples, mais fort compréhensibles : l’ombre d’un succès, par exemple, est souvent préférée à l'éclat d’un échec. Dont acte.

Si l’on a pu, suivant en ceci la suggestion de Rosset, identifier l’être parménidien au réel rossétien, nous devons, selon la pente platonicienne mentionnée plus haut, l’identifier maintenant au Bien platonicien lui-même. Car le réel, finalement, n’est-il pas « au-delà de l’être » ? Une illusion est une illusion, un arrière-monde est un arrière-monde, mais seul le réel est réel. Et, à tout prendre, n’est-ce pas le réel qui « fait être » ? Le réel n'est-il pas ce qu'on découvre en sortant péniblement de la Caverne remplie d'illusions et de prestiges ? Il semble de même que l’être de l’illusion, en effet, ne provienne que du réel, sans pour autant s’y identifier. Car si le réel est un, il est surtout unique. Irreprésentable, le réel n’est que lui-même ; il n’est pas identifiable à quelque chose d’autre. C’est en ceci que le « réel est idiot », hapax ou pure singularité. Is dem et non pas idem : le réel est identique à soi, pas à un autre. Ce qui se dit aussi : la singularité exclut l’égalité.

En toute rigueur, il n’est en fait pas possible de dire que le réel est réel, car ce redoublement même est illusoire. Pour Rosset, si le sens de « réel » est obvie, sa référence est profondément obscure : « plus le sentiment du réel est intense, plus il est indescriptible et obscur », dit-il dans L'objet singulier. Non formalisable autant qu’hasardeux, le réel peut bien être dit, si l’on veut, « impossible » : il ne peut pas ne pas être, puisqu’il est effectivement. C’est en ce sens que les illusions des personnages raillés par Rosset sont ainsi qualifiées. Toutefois, ce n’est pas parce que l’on présenterait le réel qui les disqualifierait. Au contraire. C’est plutôt parce qu’on peut faire la preuve de leur irréalité, et non parce qu’on leur substitue une réalité vraie, du moins selon la règle de l’adequatio rei et intellectus. On le voit, Rosset est en l’espèce rien moins que dogmatique. Sa promotion du réel n’est pas celle de la Vérité. Il faut bien y insister car on assiste souvent à un tropisme rhétorique facile qui consiste à faire de Rosset, ou de ces citations, un adjuvant au dogmatisme. Il s’agit donc de ne pas confondre « le réel est réel » et « business is business ». Pour lui, il s’agit non pas de pointer tel réel, mais tels irréels. Par conséquent, à charge pour l’ « illusionné » de prouver qu’il ne l’est pas, même si on devra toutefois ne pas transiger sur ce lemme : le réel est réel, et rien d’autre. Ainsi un sartrien pourra-t-il, en ce sens, être dit de mauvaise foi, et même – pourquoi pas ? – qualifié de « salaud » puisque sa conscience « est ce qu'elle n'est pas et n'est pas ce qu'elle est ».

En fait, on verrait presque en Rosset un sectateur de la théologie négative. Pour lui, le réel n’est pas un étant, mais, à l’instar des Idées de Platon et surtout de l’Un-Bien, il s’avère être un véritable principe de sélection. « Sentiment » indicible, le réel est la seule lucidité dans la mesure où, pour Rosset, toute interprétation est déjà délire d’interprétation. En fait, le problème du réel, c’est bien que l’on n’en peut rien dire ; notons toutefois que la voie de Rosset diffère nettement de celle de Wittgenstein. De fait, du réel, on ne peut même pas dire qu’il est réel, n’étant pas, stricto sensu, un objet, ni même identifiable à un mot. Et d'ici à l’assertion suivante, il n’y a alors qu’un pas : le réel est soustrait à la forme de l’objectivité. On pourrait par conséquent le qualifier de subjectif, avec les implications qui en dérivent, comme ce dictum de Badiou (amarré, quant à lui, à la mathématique comme ontologie et au caractère événementiel des vérités) selon lequel le réel reste une catégorie du sujet. Et reconnaissons-le, il arrive parfois que Rosset, au cours de quelque exercice vraisemblablement exotérique, assimile le réel à la simple évidence perceptive, modelée par la vulgaire forme de la récognition.

Bien entendu, ce faisant, on s'éloigne du punctum saliens de sa rigoureuse doctrine puisque toute perception sensible est, de jure, hallucinatoire, et nécessite donc un traitement intellectuel ad hoc, réquisit indispensable pour qu'elle puisse être une perception certifiée du « réel » ; le réel pur et simple étant, on le sait, au delà de toute expression adéquate. Bien sûr, au plan pratique, une prudence toute aristotélicienne devra prévaloir. Par exemple, la perception de cette voiture qui me fonce dessus sera considérée, par provision, comme la perception d'une voiture réelle. Ici, Rosset se fait à la fois moins grossier, mais aussi plus radical que Lacan pour lequel « le réel, c'est quand on se cogne ». En effet, théoriquement, la supposée voiture – qui n'est encore qu'une perception non autorisée – devra être considérée comme une illusion possible, un mirage insidieux couvrant d'un voile pudique un éventuel camion (ou même un train fantôme inoffensif), avant que n'intervienne la gymnastique empirique de la sensation, optique puis haptique, suivie de l'exercice dubito-méditatif qui convient. Ce dernier, au besoin, est dûment réfutatif si est par exemple avéré que la voiture que l'on croit voir n'est considérée et admise que comme un train fantôme déguisé parce que l'on y a vu son épouse embrasser le croque-mort, donc seulement pour nous faire peur puis rire, alors qu'il ne s'agit en fait que d'une voiture qui vise le trépas du routier qui partage le passage piéton. Ce n'est qu'après ces formalités que peut finalement s'épanouir le sentiment du réel, seul souverain ; sentiment qui sera ensuite à même de délivrer (ou pas) à la perception son bon de réel. En l'espèce, on a affaire à un art subtil, pas à une science ; raison pour laquelle Rosset s'appuie le plus souvent sur des exemples littéraires, l'omniscience de l'auteur convoqué vis-à-vis, sinon de ces personnages, du moins des situations qu'il narre, étant fort commode pour appuyer solidement ses démonstrations philosophiques.

Seuls les mathèmes se transmettant intégralement, nous soupçonnons que c’est d’ailleurs pourquoi Rosset se déclare impuissant à convaincre la bêtise de l’effective idiotie du réel. Ajoutons, avec Deleuze, que l’on a la part de vérité que l’on mérite en fonction de sa manière de penser. Et Rosset, à l’instar de Nietzsche, a en vue la noblesse du tragique, inaccessible aux âmes basses. C’est à cette aune que les vérités de la bêtise doivent être mesurées puis qualifiées d’illusoires. La vérité devient alors « dévoilement », mais plus à la manière de Schopenhauer qu’à celle de Heidegger. Oui, la Vérité de l’être n’est pas révélée, mais l’illusion dévoilée, id est la structure des voiles de Mâyâ exhibée. La chimère est désintégrée, contrainte qu'elle est de passer sous les fourches caudines de la vérité soustractive de la tautologie, qui, platoniquement là encore, obtient dans Le démon de la tautologie le statut de « modèle de toute vérité ».

Sans en référer au fameux aphorisme selon lequel « le réel tel qu'il est, c'est une idée d'âne », disons malgré tout que c’est peut-être ici que le bât blesse. Si les illusions s’écroulent lorsque l’on montre, au cas par cas, qu’elles sont les substitutions des images au réel, le réel est ce qui reste ou, selon l’expression de Lacan, ce qui « revient à la même place », qu’on y accorde créance ou non.  Il est donc ce qui est inexorablement tel et quoique l’on ne puisse dire ce qu’il est, en tant que tel. Il y a chez Rosset non pas l’assertion d’une vérité autre que celle de la tautologie du réel, mais une lutte héroïque contre le mensonge. On peut donc à bon droit parler d’une « volonté de vérité », qui, conséquemment, est en droit vulnérable aux coups du marteau nietzschéen de la « volonté de puissance ».

En effet, avec Rosset, c’est bien toute croyance qui, de facto, est détruite, le réel n’en nécessitant aucune. Car le réel, dans cette optique, s’il est hasardeux, est bien plutôt homogène au passé. Il est inéluctable parce qu’il est devenu nécessaire. A savoir : il ne peut plus être autre. Tout comme le passé, le « réel » serait ce qui ne laisse pas le choix. Mais il faut remarquer que le passé est l’unique « ek-stase » du temps qui puisse être dite telle. Le présent instantané, quant à lui, est simplement une modalité qui s'exprime par le sentiment du réel, ou celui de l’illusion. Mais la réalité de l’avenir, c’est le possible, possible qui se trouve être sur un pied d'égalité avec le réel qu’il sera. Comment, dès lors, parler du devenir, c’est-à-dire de la création, entre autres, du réel ?

Si le réel n’est que réel, il ne peut pas changer. Pour changer, il faudrait qu’il ne soit plus le même qu’il est. Il doit donc être autre que ce qu’il devient. La tautologie dont Rosset gratifie le réel est donc bien plutôt une contradiction. Avant d'en explorer les conséquences, intéressons-nous d'abord aux raisons de cette faille logique. Force est donc de constater que du réel, à l’instar de l’imaginaire et du symbolique, desquels on peut affirmer qu'ils sont réellement (et respectivement) imaginaire et symbolique, on peut dire qu’il est réel, mais pas juste qu’il est. Sinon, l'on risquerait de s'acoquiner subrepticement avec le fidéisme, voire avec le dogmatisme, bref, selon le lexique même de Rosset, de poser un A' en lieu et place du A. C'est en effet la limite de l'alliance rêvée de Rosset avec Parménide. Car seul l’être est, tout court. A donner une prééminence ontologique au réel, Rosset fait du réel une Idée au sens de Platon. Il est vrai, il réorganise la hiérarchie Idée, icône, idole. Pour lui, le « vrai » lit, le lit réel, ce serait le lit qu’on voit et touche, celui dans lequel on dort, l’icône serait l’idée de lit ou son image mentale, tandis que le simulacre serait le rêve de lit, et non le lit dans lequel on rêve. Mais il n’empêche que par ordre décroissant d’éminence, on obtient cette hiérarchie : réel, symbolique, imaginaire. Ce qui est doit se soumettre à ce qui est vraiment, c'est-à-dire au « réel » en tant qu'étalon vide, car instable autant qu'évanescent. De même, il apparaît pour le moins étrange que le majesteux verbe « être » soit subordonné au nom « réel », qui n'est en quelque sorte rien qu'un adjectif substantivé, un qualificatif juridique promu sur le tard. C’est là un point commun du rossétisme avec la métaphysique la plus classique.

C’est bien pourquoi la philosophie de Rosset est une philosophie morale, et non pas une éthique. Car du point de vue de la volonté, la réalité objective d’une idée ou d’un phantasme est de même dignité que la simple identité à soi du pur réel, d'ailleurs inconnaissable. C'est pour cette raison que ce dernier est incapable de se constituer comme une fin objective de la volonté, mais en représente plutôt l'anéantissement. Comme nous le suggérions plus haut, il paraît difficile de concilier la nécessité de la croyance, donc du projet, avec un réel qui, pour devenir identique, doit le rester. Le réel sera réel, mais pour être réel, il devra être tel ou tel, et donc pourra être autre. Rationnellement, rien ne permet de distinguer entre un possible qui ne s’actualisera pas, et celui qui adviendra réellement. Ainsi, au contraire de Rosset, le réel doit aussi être dit possible, et même virtuel.

En effet, le réel est intrinséquement double : il est indissociablement actuel et virtuel. L'exemple de l'alcoolique, cher à Rosset, est inapproprié : ce que le Consul de Lowry perçoit, ce n'est pas le réel, mais le présent pur, l'actuel. Le soûlographe se délivre du tourment des possibles en substituant à la pure possibilité la virtualité du réel actualisé. Ce qui revient à troquer la puissance réelle contre l'illusion de la puissance. Contrairement à ce qu'en dit Rosset, l'ivresse fait voir double, même si l'homme pris de boisson croit voir « un », au lieu de voir triple. Ce fameux « un » n'est en fait qu'une superposition. L'actuel est comme lesté par le virtuel, agrégation obtenue par l'expulsion subjective du possible. Une fois encore : le réel peut être dit ici « impossible ». C'est donc illusoirement que l'ivrogne se délivre du temps, c'est-à-dire de la nuée des possibles : croyant les détruire et ne garder que le « réel », c'est en acte qu'il le perd en donnant aux possibles une fin de non recevoir. Par conséquent, et en vue d'une certaine clarté, si ce n'est d'une sobriété certaine, ne craignons pas la facilité et énonçons donc sans ambages le théorème suivant : on ne sort pas de la caverne en allant à la taverne.

Alors que les possibles se détournent, la volonté s'apaise, devenue sans objet. C'est une forme paradoxale de réalisation : un devenir-chose. Il faut bien en venir à ceci : la perception de la pure identité à soi du réel, ce serait la mort elle-même. Alors, memento mori ? Certes, mais le réaliste, sous peine de devenir un croyant quelconque, ne peut décider positivement entre aucune de ces trois options post mortem : le pur nihil, la survie en Dieu ou toute autre troisième possibilité. Seul un Chateaubriand peut oser parler d'Outre-tombe et un Hugo l'entendre à sa table. En tous cas, ce dont il faut se souvenir, c'est que l'unicité du réel est un leurre car il est à la fois actuel et virtuel. De même, le réel n’est pas seulement réel, puisqu’il a été possible. Bref, le fait que les futurs soient contingents invalide le caractère exclusivement tautologique du réel. Oui, il ne peut être dit absolument identique à soi, sans inclure en lui-même la différence qu’il est devenu. De la définition restrictive de Rosset, on doit déduire ceci : le « réel » étant à la fois même et autre, il est identité de l’identité et de la différence, ce qui veut dire que sa théorie est logiquement contradictoire. Mais Rosset, pourtant, n’est pas hégélien…

On pourra malgré tout faire crédit à Rosset de l’assertion nietzschéenne, proférée dans Schopenhauer éducateur, selon laquelle une philosophie qui n’attriste personne est une philosophie sans grande valeur, et dont l'épitaphe peut servir à la tombe de l’université : « Elle n’a attristé personne. » Car de fait, la philosophie de Rosset est en mesure d'attrister ces quelques illusionnés qui sont, sinon les plus dangereux, du moins les plus désespérement appliqués : par exemple Boubouroche, pauvre cocu croqué par Courteline, ou Géronte, ce père éploré, déjà victime du fourbe Scapin, qui se demande ce que son fils est venu faire dans cette galère. Empressons-nous d’ajouter que sa philosophie est pourtant aussi une philosophie de la joie. Mais de la joie comme supplément irrationnel. La joie est miraculeuse ; sans raison, elle s’avère analogue à une sorte de grâce. Pour Rosset, il y a une absolue disjonction entre l’allégresse effectivement ressentie et la situation réelle, au besoin tragique. Le réel et la joie sont donc en état de pure déliaison. Faudra-t-il dire que la joie est irréelle, donc illusoire ? Ce serait faire montre de mauvais esprit. En effet, la joie est plutôt joie du réel, non pas joie de tel réel, mais que le réel soit tel qu’il est, c’est-à-dire tout bonnement réel. Pourquoi ? Patientons encore quelques instants.

Une nouvelle fois, remarquons que la philosophie de Rosset n’est pas une éthique. Elle n’est pas une science pratique des manières d’être en vue de la joie, car une telle éthique nécessite, pour sa part, une relation de causalité. Pour Rosset, le summun bonum n'a pas le sens que lui donne Cicéron par exemple, ce n’est pas la joie ou le bonheur, mais la vérité, en tant qu’absence de mensonge. Indéniablement, redisons-le, on a affaire à une morale. Il convient donc, pour être bon, c’est-à-dire être un noble tragique, de débusquer, non pas l’image ou la sensation plaisante, mais le simulacre, cette instance qui veut se substituer au réel. Avec Rosset, assertons tout de go : l'ersatz, c'est mauvais. Contre lui, osons affirmer qu'il arrive parfois que le dormeur dîne, et que le buveur délire. N'est pas Socrate qui veut. Mais quoi qu'il en soit, selon Rosset, il faut maintenir que toute joie advient par surcroît, aléatoirement. Il n’est pas question pour lui de créer des vérités et des possibilités de vie, de comprendre le lien entre le réel et la puissance, donc entre le réel et la joie, mais de pourchasser toutes les illusions, non pas parce qu’elles amoindrissent, mais parce qu’elles sont illégitimes. Ce n’est pas une joie de comprendre, mais une joie de détruire, pas une joie de marin, mais de « naufrageur », pas une joie de grand vivant, mais de sursitaire. Bref : cette joie est une joie de la soustraction, pas de l’addition.

Au sens purement logique, on l’a vu, se retrouvait aussi cette ambivalence. En effet, asserter la tautologie du réel, c’est affirmer aussi l’être nécessaire qu’il est devenu, de manière hasardeuse. C’est donc affirmer l’être lui-même. Mais l’affirmer ainsi, c’est affirmer par là même tous les étants effectifs. En cette approbation intégrale, il est vrai, Rosset est, prima facie, nietzschéen. Néanmoins, cela revient aussi à accorder l’être à l’imaginaire et au symbolique ainsi qu'à leurs ratés psychologiques que sont les illusions, illusions – est-il besoin d'y revenir – qu'il désapprouve. Approuver en désapprouvant ? Nous y reviendrons en coda. Que ces illusions soient de fausses croyances entre peu dans leur dévalorisation, puisqu’il suffit qu’elles soient simplement des croyances pour être disqualifiées. En effet, avoir une croyance est déjà par principe commettre une erreur, car on n’a pas besoin de croire pour que le réel soit tel qu’il est. On l’a dit, il est impossible de considérer l’appréhension du réel comme une attitude propositionnelle justifiée ou une éventuelle croyance vraie. Car pour cela, il faudrait que le réel soit représentable et donc qu’il y ait une possible adéquation entre un representamen et ce qui est réellement le cas. Or, selon Rosset, on ne sait pas ce qui est le cas (ce serait délirer), on sait juste ce qui ne l’est pas et que ce qui l’est, l’est tautologiquement.

La saisie du réel n’est donc pas pour lui de l’ordre de la croyance même rationnelle, mais du « sentiment », voire, plus noblement, de l’impiété pure et simple. Mais alors, le « réel » est le résultat d’une négation, il est ce qui reste, au terme inatteignable d’un procès infini de destruction des idoles, cadavre toujours à venir d'une victoire à la Pyrrhus. Une enquête certes de type sceptique ou zététique, jointe toutefois à un parti-pris résolument anti-pyrrhonien : l'existence même du réel tautologique est hors de doute. Mais à vrai dire, ce reliquat – le « réel » – n'est que postulé. Or ce qui est (dont les imaginations, symbolisations et illusions) est jugé en fonction du réel, qu’on pose mais ne connaît pas, que l’on ressent, mais obscurément. Finalement, ce « réel », n’est-ce pas ce que Platon, dans sa réfutation de Parménide, recherchait comme être du non-être ? Est-il absurde de prétendre que le non-être, c’est le réel de Rosset ? Et ce réel, n’est-ce pas une étrange inversion, voire la négation en personne ? En fait, le « sentiment » du réel invoqué par Rosset, n’est-ce pas tout simplement la réalité de son « sentiment » ? Et celui-ci, ineffable et incommunicable, ne peut-on, à bon droit, l'assimiler à un parangon sans substance, et donc, in fine, à une illusion de la conscience ?  Ne devons-nous pas y voir un effet de cette paradoxale intuition du rien, liée, on l'a montré, à une dénaturation du possible ? Soyons pour notre part des réalistes conséquents : l'idée du rien n'est rien qu'une idée. De même, retournons cette phrase de Jules Verne contre Rosset qui l'utilisait, quant à lui, pour ridiculiser les faussaires d’arrière-mondes : « Je n’ai rien vu, et pourtant il y a quelque chose. » Rappelons aussi, à toutes fins utiles, cette assertion de la Logique du pire de Rosset : « si vous voulez être crus quand vous affirmez manquer de quelque chose, il vous faut dire ce dont vous manquez. » Nihil obstat ?

Il convient pour conclure de préciser un point supplémentaire. Le nihiliste n’est pas forcément malheureux, même s’il doit travailler à ne pas l’être. En effet, la Logique du pire, contrairement au Tractatus de Wittgenstein, nous apprend que « le tragique parlé est préférable au tragique silencieux ». De même, il n’est pas désespéré, mais, bien plutôt, désespère avec entrain. Il suffira, pour s’en convaincre, de citer le cas exemplaire de Cioran. Nul doute ici : il y a bien une joie de la destruction, et même si d’aucuns pourraient la qualifier de « joie mauvaise », il s’agit sans conteste, nous l’invoquions tout à l’heure, d’une « joie du réel ». Mais plus qu’une tonalité affective spécifique, nihilisme signifie d’abord réactivité. En effet, poser la négation comme ontologique, c’est effectuer un tour de passe-passe fort classique. Ironie de l’histoire : un illusionnisme hégélien ou vaguement sartrien… Car à ne conserver, par la tautologie, du symbolique que l’identité, la différence revient au galop, mais abâtardie. Ce n’est qu’en niant que le nihilisme est en mesure de faire advenir un fantôme d'affirmation. Toute méontologie est une méta-ontologie, pas une ontologie. De fait, le « réel » en tant que non-être nécessite ce qui est nié. A proprement parler, la négation n'advient qu’au niveau ontique ; chaque étant nié est remplacé par un autre étant, nommément celui qui en constitue la négation. Celle-ci est un cas particulier de la différence, qui, elle, est ontologique. L’être est l’être de ce qui devient, par différence. Rendons donc à Caton ce qui est à Caton et, si ce n'est à Bacchus ce qui est à Dionysos, du moins à César ce qui est à César.  Oui, l’opposition, la négation, sont les plus faibles des différences, celles qui ne sont plus que ce qu'elles ne sont pas. C'est la différence devenue réellement impuissante, celle qui ampute subjectivement le possible et détruit ce qui est au nom du tragique, celle qui dit « non » ontologiquement pour dire « oui » ontiquement. Tout différemment, la plus puissante est celle qui, tout aussi digne et tragique, projette symboliquement et crée réellement, celle qui, disant « oui » ontologiquement, a le pouvoir de dire « non », ontiquement

 

 

 

Thomas Duzer

Commentaires

Anaximandrake,

Je ne vous en veux aucunement! Merci pour ce brillant article qui pointe d'importantes difficultés, de façon argumentée et convaincante. Je m'efforcerai d'y apporter une réponse.

Bien à vous,

Nicolas

Écrit par : nicolas | 27/11/2007

Tout cela me paraît quand même un peu rapide.

Écrit par : sk†ns | 27/11/2007

Cher Nicolas, j'en suis heureux et vous salue cordialement.

Merci de ta pertinence, sk†ns. Mais calme ta tachycardie : tu sais comme moi qu'avoir une conduite plus sportive qu'intérieure est un des réquisits obligés pour être en mesure de briguer le titre de 'World's Wackiest Realist'. Tiens, au fait, 'L'Enigme du Réalisme' ?

Écrit par : Anaximandrake | 27/11/2007

Quelques questions :
1) Qu'est-ce que le néant?
2) Rosset est-il nihiliste?
3) "Je n’ai rien vu, et pourtant il y a quelque chose. » Je n'ai rien vu - donc il y a quelque chose?
4) Quel est le statut du paradoxe?
Pardonnez une petite critique, qu'il serait bon de ne pas prendre de haut, parce qu'elle est sincère : vous êtes sans doute trop brillant pour que l'exercice de pensée ne soit pas chez vous un jeu de rôles où les références remplacent la différence.
Félicitations et cordialement.

Écrit par : Koffi | 27/11/2007

Des réponses sommaires (et rapides...) :

1) Le néant est l'idée de l'absence d'une entité, au besoin obtenue par négation, puis généralisée abusivement du plan ontique au plan ontologique. Le néant s'oppose au quelque chose, qui, lui, en diffère.

2) Je ne sais évidemment pas si Rosset lui-même est effectivement nihiliste. Toutefois, je m'efforce ici (entre autres) de montrer qu'à l'examen de ses thèses et des contradictions afférentes, l'on serait en droit de conclure que sa philosophie peut être comprise comme un nihilisme, au sens que Nietzsche donne à ce concept.

3) A ce niveau de généralité : je n'ai rien vu donc "je n'ai rien vu".

4) Le paradoxe relève de l'ordre du discours. Il diffère de la simple contradiction ainsi que de l'absurdité et du pur non sens. Il s'éloigne des clichés de la doxa et cause ce que Lacan appelerait un "effet de réel", appelant par là même décision et création d'un concept idoine.

Quant à votre critique, il semble que je ne sois pas suffisamment "brillant" pour en comprendre la signification. En effet, je ne vois pas du tout en quoi référence(s) et différence pourraient bien être substituables, du moins de la manière dont vous le suggérez.

Merci et bien à vous.

Écrit par : Anaximandrake | 27/11/2007

« Le corps avec l'esprit fait figure, mon frère ;
Mais si vous en croyez tout le monde savant,
L'esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;
Et notre plus grand soin, notre première instance,
Doit être à le nourrir du suc de la science. »
(Les femmes savantes)

Écrit par : sk•ns | 28/11/2007

Quelques réflexions, à la lecture de votre article, dans le désordre:
1. Le réel est tout ce qu'il n'est pas : je ne connais pas Rosset autant que vous, mais il paraît en effet insuffisant de dire que le réel existe dans la différence avec ce qu'il n'est pas. N'est-ce pas même dangereux car cela pourrait dévier sur la pente de la négation de l'existence de ce qui entoure l'objet d'étude ? Est-ce là aussi une des raisons du nihilisme de Rosset ?
2. "Le réel, c'est quand on se cogne" : le choc provoque un hématome, ce qu'il devient - une réalité ? La forme même de l'ecchymose ne sera pas facile à imaginer avant de la voir "réellement" formée, mais même si l'on pouvait mathématiser la forme du devenir en fonction du choc et de tous les paramètres l'entourant, peut-on dire que dans les possibles du devenir du réel, le réel n'existe que dans un seul ? Encore une fois, si ce possible existe à l'inverse des autres, qui n'ont pas existé, nie-t-on l'existence de ce qui aurait pu être, ou qui est, peut-être, mais ailleurs, autrement ?
3. Le tragique est-il réel ? Ou seulement le tragédien ? Oedipe est-il aveugle ou seulement le masque que porte l'acteur ? L'illusion, ou le mythe, la légende, est-elle une succession de "réels", une accumulation de possible, l'un masquant l'autre à nos sens ?

J'espère ne pas vous importuner avec toutes ces interrogations mais force est de reconnaître que vos textes - de grande qualité - sont une "réelle" invitation à la discussion.

Écrit par : Sheffer Peppard | 28/11/2007

Merci à vous, Sheffer. Dans le désordre également, je dirai que, grosso modo, pour Rosset, le tragique naît de la contradiction entre les données du réel et les exigences de la joie. De plus, selon lui, le réel existe bien positivement, mais pas seulement en étant ce qu'il n'est pas ; il s'appréhende d'une manière privilégiée - et c'est le point - par le 'sentiment' du réel. Quant au problème des possibles, il faut insister sur ceci : tout réel est a fortiori possible, même si tout possible n'est pas réel. A ce sujet, je vous renvoie à la note suivante : http://anaximandrake.blogspirit.com/archive/2007/06/17/in-aliquo-extramundano.html

Belle érudition, sk†ns. Complétons, avec Spinoza :
"Notre âme fait certaines actions et souffre certaines passions ; savoir : en tant qu’elle a des idées adéquates, elle fait certaines actions ; et en tant qu’elle a des idées inadéquates, elle souffre certaines passions."

Écrit par : Anaximandrake | 28/11/2007

1) "Le néant est l'idée de l'absence d'une entité, au besoin obtenue par négation, puis généralisée abusivement du plan ontique au plan ontologique. Le néant s'oppose au quelque chose, qui, lui, en diffère." Qu'est-ce alors que l'absence et le quelque chose? Doit-on vraiment les opposer?
2) Le nihilisme de Rosset : je visais bien entendu sa pensée.
3) Le paradoxe : relève-t-il vraiment de l'ordre du discours?
Enfin : la référence renvoie à un donné préalable, quand la différence exprime l'idée d'un donné modifiable, modifié et intrigant. Qu'est-ce que le changement, même sans l'idée de progrès (a fortiori de Progrès)?
Bien entendu, le brillant suppose que l'on manque la pensée d'une certaine manière, mais en même temps il indique des qualités remarquables, que je suis loin de partager.
Cordialement.

Écrit par : Koffi | 28/11/2007

J'ai laissé un précédent massage, apparemment j'ai fait une erreur de manip...
Peu importe par où je commence, comme dirait l'autre, car nous y voici : qu'est-ce que le néant? Je ne suis pas persuadé que tout possible n'est pas réel. Car si le possible n'est pas forcément du réel, qu'est-ce que le possible non réel?
Bien à vous.

Écrit par : Koffi | 28/11/2007

1) Je ne dis pas que l'on doit opposer quelque chose et absence de quelque chose, ce que je ne cesse de dire, c'est qu'on doit les distinguer, et par exemple, logiquement, ainsi : Non-A (différent de) A. Je le répète, c'est abusivement qu'on parle de néant.

2) Dont acte.

3) Oui. Par définition.

N'hésitez pas à développer votre notion du "brillant", et surtout en quoi et comment, entendu en ce sens, il manquerait la pensée. A défaut, il faudra considérer ce que vous en dites comme une simple opinion ou une pétition de principe, disqualifiable à ce titre.

La référence, vous en convenez donc, n'est pas substituable à la différence. Mais la différence n'est pas le divers, elle est, comme dit Deleuze, ce par quoi le divers est donné. Ce qui change est ce qui ne reste pas identique.

Tel Parménide donc, vous y revenez, mais, vous, c'est au néant. Pour ma part, je persiste : le néant est une idée.

Si tout le possible était réel, tous les possibles se réaliseraient, id est deviendraient réels. Un possible non réel est un possible qui reste un possible, ou devient un impossible.

Bref, l'être n'est pas identifiable au réel.

Cordialement.

Écrit par : Anaximandrake | 28/11/2007

1) Comment sait-on qu'un possible devient réel ou non, si l'on ne sait pas ce qu'est le réel? peut-être ce que nous prenons pour des possibles non réalisés ou no réalisables son t en fait d'autres modes de réel?
2) Je me répète toujours, mais : qu'est-ce que le néant?
3) Le néant est-il absence de quelque chose?
4) C'est abusivement qu'on parle de néant. Fort bien. Dans ce cas, si le néant est Non-A, qu'est-ce que Non-A?
Mes questions en sont pas finies, mais : dès que je récupère un peu d'énergie (un peu de brillant?), je vous enverrai une petite note sur le brillant, une note aussi respectueuse que peu reluisante.
D'ici là, merci pour ce blog, car il est passionnant et je ne fais que comencer à le lire.
Cordialement.

Écrit par : Koffi | 28/11/2007

1) Eh oui, "peut-être". Ce sont donc bien a priori des possibles. Notons que, pour Rosset, il n'y a qu'un seul "mode de réel". En tous cas, parler de possibles c'est dire qu'il y a une réalité du possible, car sinon comment un possible pourrait-il devenir réel ? De plus, et je le dis clairement dans cette note, Rosset ne nie absolument pas la réalité de l'illusion, et donc argue bien d'un savoir de ce qui n'est pas réel, à défaut de savoir ce qu'est le réel.

2) Je vous l'ai dit : c'est une idée.

3) Oui, l'absence d'une idée X, ou le sentiment Y d'une absence, c'est-à-dire la présence de quelque chose : sentiment Y ou idée X'. Le néant est ontique, pas ontologique.

4) Pourquoi le néant serait-il non-A ? Ce n'est en tout cas pas ce que j'affirme dans mon exemple. Mais si l'on dit malgré tout que le néant est non-A, il s'agit de s'aviser qu'il est aussi un B, c'est-à-dire quelque chose et donc ce qu'on appelle le néant est, je le répète, ontique, pas ontologique.

Merci. Je lirai avec joie votre note.

Bien à vous.

Écrit par : Anaximandrake | 28/11/2007

1)Si le néant est une idée, que n'est-elle une idée positive? Et si le néant ne s'opposait pas au réel en tant qu'illusion (un B travesti en idée de A, si je m'exprime correctement)? Si le néant était une réalité positive?
2)Quelle est la différence entre l'être et le réel si le néant n'est pas aussi?
3)Qu'est-ce qu'un paradoxe sinon l'idée que ce qui n'est pas est bel et bien -réel?
4) Y a-t-il plusieurs réels? Probablement, puisque l'unicité de ces réels ne tient pas à leur unicité respective, mais au lien qui les parcourt?
5) Et si non-A ne renvoyait en définitive pas à B, mais à - A?
6) Qu'est-ce qu'une idée si ce n'est du réel?
7) Comment savoir ce qui n'est pas réel si l'on ne sait ce qui l'est?

Écrit par : Koffi | 28/11/2007

euh bonsoir, veuilez bien m'excuser mais si pour toi "le néant c'est une idée", "une idée de néant" c'est quoi ? ton point de vue sur l'ontique ? tu veux que je te prette mon téléscope ?
j'sais pas si c'est ça que ça veut dire : " bien à vous"?

Écrit par : oui-oui | 28/11/2007

Bonsoir. Pauvre oui-oui, c'est difficile de penser par soi-même, hein ? L'idée d'un néant de majuscule, on peut la trouver dans ton commentaire. Depuis la même source, il est possible d'extraire celle d'un néant de phrase affirmative. De ces idées, j'espère que tu pourras abstraire une petite idée de néant, si ce n'est une idée d'idée. Et si tu n'arrives qu'à un néant d'idée, tu auras au moins l'idée d'un néant d'idée, et au pire, il te restera bien un petit quelque chose ; une migraine peut-être... N'est-ce pas là un point de vue sur le domaine ontique que tu peux partager ? Quant au télescope, ce ne sera pas nécessaire, mais je te remercie de cette proposition si polie.

Écrit par : Anaximandrake | 29/11/2007

Koffi, il semble que mes commentaires précédents suffiraient pourtant en eux-mêmes à répondre à vos questions. Mais une nouvelle fois :

1) L'idée de néant existe. Elle est positivement une idée, et une idée positive d'une absence, et ce même si elle est provient d'une négation. L'idée de néant est toujours abstraite d'un néant de tel x, qui est en tant que tel la présence d'un y. Soyons clairs : l'absence d'alcool dans ce verre, c'est la présence d'air, d'eau ou de n'importe quel autre chose. Du néant pur et simple ? Si on l'affirme, c'est qu'il n'est pas impossible qu'il y avait de l'alcool dans ce verre. Bref, le néant est bien une réalité positive, mais c'est celle d'une idée.

2) Si l'on affirme que Pégase n'est pas réel, on peut le dire imaginaire. Pégase est pourtant bien quelque chose, disons un type d'idée particulier. Une différence entre l'être et le réel, à ce niveau, ce serait l'imaginaire, pas le néant. Vous avez besoin de l'être pour nier, mais pas du néant pour être. Une chose est une chose parce qu'elle est quelque chose, non pas parce qu'elle n'est pas telle autre.

3) Un paradoxe ne dit pas cela. Une aporie peut-être. Ce serait en tous cas une contradiction d'affirmer que ce qui n'est pas est réel. Car pour être réel, il faut être quelque chose. Mais pour être quelque chose, il ne faut pas nécessairement être réel. L'idée de cercle carré est réellement une idée, elle n'implique pas que vous puissiez en tracer un. De même, celle de néant est une idée, non pas du néant, mais nommée "néant".

4) Tout dépend de votre concept de réel, qui n'est apparemment pas celui de Rosset. S'il y a plusieurs réels, il doivent être différents et être dits "les réels", ou par exemple "niveaux de réalité", mais pas "le" réel proprement dit.

5) Non-A, que vous le nommiez B, 334 ou n'importe quel signe arbitraire (et pourquoi pas -A, si vous voulez) renverrait à quelque chose, c'est-à-dire aurait une référence ontique, et au moins celle qu'est votre discours (signifiant/signifié).

6) L'idée est une réalité, tout comme l'est une illusion. Elles peuvent être "du réel", mais aucune d'entre elles n'est le réel. Si vous me dites que vous êtes un télescope, on pourrait dire que c'est le fait que vous le disiez qui est une réalité, mais pas que vous l'êtes.

7) Il faudrait le demander à Rosset... Mais si l'on considère que, pour avoir une chance d'être réel, il faut au moins satisfaire à certaines conditions, et pour rester en compagnie de Rosset, au critère de vérité tautologique, à savoir A=A et A n'est rien d'autre que A, alors tout ce qui ne remplit pas cette condition peut être dit irréel, et ce sans qu'on sache absolument ce qui est réel.

Ceci dit, je vous saurai gré de substituer dorénavant aux questions et suppositions des assertions. De plus, pour que les concepts aient un sens, il leur faut une certaine stabilité ainsi qu'une connexion réciproque argumentée. C'est un réquisit de la cohérence, car ex falso quodlibet. Une querelle sémantique n'a en soi aucun intérêt si les problèmes en jeu ne sont pas posés. Une piste : le désir.

A ne cesser ainsi de vous répondre - et surtout à un tel niveau de généralité -, je ne voudrais toutefois pas avoir à répondre pour vous, et encore moins de vous. Ce qui se dit aussi : maintenant, prenez vos responsabilités. Car avec des si... Mais vous connaissez la chanson.

Écrit par : Anaximandrake | 29/11/2007

"Une piste : le désir."
J'ai de la lecture pour un moment. Merci Thomas.
(Heureusement, tout s'achève par des chansons)

Écrit par : Blog-trotter | 30/11/2007

Cher Blog-trotter, en tant que lecteur vôtre, je vous en prie.

Écrit par : Anaximandrake | 30/11/2007

"on ne sort pas de la caverne en allant à la taverne" : mais les ombres n'y dansent plus de la même manière.
"le réel n'est pas seulement réel, puisqu'il a été possible" : heureuse formule, parmi bien d'autres. Merci pour ce texte qui, outre quelques éclats de rire toujours bienvenus, a permis de débrouiller des idées confuses.

Écrit par : Slothorp | 03/12/2007

Merci de ton passage.
Quant à la "taverne", tu as parfaitement raison.
D'ailleurs, il n'est pas impossible que nous nous recroisions un de ces jours sur la "montagne", ou même pourquoi pas près d'un feu, si notre cher Héphaïstos organise une autre Grande Dyonisie.

Écrit par : Anaximandrake | 04/12/2007

Je revendique plus modestement le titre de « Meister Grill », que je dispute, paraît-il, à ton brother-in-law. Mais comme tu le sais, les dieux du Ciel ont également leur mot à dire.
Pour ce qui est d'un banquet sur l'Olympe, j'ai cru comprendre que ça sera pour les calendes grecques (soit au mois de mars, il me semble).

Écrit par : Héphaïs†os | 05/12/2007

En fait, puisqu'il faut toujours se méfier des ides, d'une manière plus réaliste nous optâmes finalement pour Σκιροφοριών et Ἑκατομϐαιών, qui - c'est notoire - sont fort propices aux sacrifices et autres libations.

Écrit par : Anaximandrake | 05/12/2007

Je sais bien que vous connaissez ce texte mieux que moi, mais je ne résiste à la tentation de vous faire parvenir quelques citations que je considère importantes:

"Si la méconnaissance de la nouveauté radicale est à l'origine des problèmes métaphysiques mal posés, l'habitude d'aller du vide [le possible] au plein [le réel] est la source des problèmes inexistants."

"[Avec l'idée du possible nous entendons] que ce qui est ne nous intéresse pas, que nous nous intéressons à ce qui n'est plus là ou à ce qui aurait pu y être."

"Cette prétendue représentation du vide absolu [le possible] est, en réalité, celle du plein universel [le réel] dans un esprit qui saute indéfiniment de partie en partie, avec la résolution prise de ne jamais considérer que le vide de sa dissatisfaction au lieu du plein des choses."

"Le possible n'est que le réel avec, en plus, un acte d'esprit qui en rejette l'image dans le passé une fois qu'il s'est produit... Le possible est donc le mirage du présent dans le passé... c'est le réel qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel."

Je pense que c'est cette confusion (le possible n'existe pas: celui-ci est, lui, un
"idée" rétroactive, de même que le "néant") qui est à l'origine d'autres confusions plus graves ("le réel est le non-être"). Et je ne peux m'empêcher de remarquer cette curieuse tendance en philosophie de faire dire aux autres l'exact opposé de ce qu'ils ont effectivement dit, tel Heidegger et Badiou. Mais acceptons qu'il en est ainsi et il n'est pas de remède.

Écrit par : cuiaspinosa | 31/01/2008

S'agirait-il alors de se contenter de répéter ce que dit Rosset ? J'incline au contraire à interroger la cohérence de sa pensée et à examiner les conséquences de sa philosophie dans des domaines qui ne sont pas explicitement thématisés chez lui. Je vous remercie en tous cas de ces illustrations qui confirment ce que je pointe : la confusion rossétienne entre être et réel, et dont les implications sont assimilables à une certaine forclusion de l'événement, ainsi qu'à un usage dissimulé du non-être. Il y a amputation du possible, chose qui n'est absolument pas requise pour penser la nouveauté radicale. Une amputation à laquelle en effet n'a pas recours le biais de la non-totalisation (d'inspiration cantorienne par exemple), c'est-à-dire celui de la non-clôture a priori des cas d'actualisation possibles.

Pour la question subsidiaire concernant Badiou, je me suis récemment exprimé (dans le dernier volume de Collapse), sur son rapport (non-rapport ?) à Deleuze. Notamment, 'La clameur de l'être" m'apparaît comme une "lecture manquée" de Deleuze (pas "fausse", interprétation qui n'aurait guère de sens). Toutefois, il y a dans cet ouvrage de Badiou un hommage implicite à la méthode d'histoire de la philosophie 'à la Deleuze' (e.g. Marx glabre à la manière d'une Joconde moustachue), qui culmine chez l'auteur de 'Différence et répétition' et de 'Critique et clinique' dans sa découverte de Jarry comme précurseur de Heidegger ; approche qui fut, il est vrai, diversement appréciée.

Pour ma part, (attention : litote) je ne vois aucun problème à l'agôn philosophique, si bien entendu il est argumenté, et si la lettre de l'adversaire est respectée. Bref, si la philosophie ne veut pas être qu'une doxographie, elle se doit de ne pas être qu' "une" histoire.

Écrit par : Anaximandrake | 31/01/2008

Les citations que je vous ai envoyé ne sont pas de Rosset mais de Bergson. Il s'agit du texte "Le réel et le possible", contenu dans le volume "La pensée et le mouvant". Deleuze lui-même a abondamment commenté ce texte et a introduit pour sa part le concept que vous commentez, le "virtuel", mais il a pris beaucoup de soin pour ne jamais les confondre. Le réel n'est pas une actualisation du possible --ni pour Bergson, ni pour Rosset, ni pour Deleuze. À la limite, le réel est en même temps le virtuel, puisque c'est le réel lui-même qui deviendra une autre chose, toujours cette "nouveauté radicale", ce qui est encore une fois le réel, non une actualisation de quelque chose d'autre. Le néant n'a jamais lieu dans cette discussion et il ne s'associe qu'à l'idée du possible, qui consiste en l'illusion de penser que le réel est "venu" combler un vide originaire. C'est en effet ce que dit la Bible que s'est passé. C'est aussi ce qu'invitent à penser Heidegger et Badiou (mais pas Deleuze): le réel est, mais il n'est non pas tout l'être, il est juste une toute petite partie, celle qui "existe" (hic et nunc). Or c'est juste cette partie qu'intéresse à Rosset: l'être, l'existence et le réel renvoient à une seule et même chose: la plus banale réalité mouvante. Effectivement, si l'on n'est pas d'accord sur ce point, c'est pas la peine de continuer, car ce qui suivra seront des analyses à la Beaufret sur Parménides ou de Heidegger sur Nietzsche. C'est une question de choix: ou bien l'être est tout l'être, ou bien il n'en est qu'une partie; ou Dieu existe ou il n'existe pas; mais nous ne pouvons pas être à la fois dans deux discours qui s'excluent l'un l'autre.

Je ne dis pas qu'il faille répéter ce qui a été dit et ne rien ajouter ou interpréter (quoique c'est ce faisant qu'on commence à être soi-même, d'après le conseil de Ravel); mais remettre en question des problèmes dont on s'est enfin débarrassés de par leur ineptie ne me semble pas le meilleur départ philosophique.

Pour le reste, Badiou a beau faire l'histoire qu'il voudra. Jamais un livre qu'il écrive, que ce soit sur Deleuze ou sur Beckett (et peut-être même sur Sarkozy!) ne contiendra la moindre honnêteté intellectuelle. Tenez, un autre cas exemplaire: Michel Onfray, ce têtu personnage qui continue a ne mettre que des épigraphes de Nietzsche dans des livres qui ne font que contester mot par mot ce que Nietzsche a écrit.

Écrit par : Santiago E. Espinosa | 01/02/2008

Soyez plus attentif et moins simpliste.

Concernant cette question du possible, c'est ce que je vous disais avec concision, pensant que aviez l'esprit vif et étiez initié au concept d'événement. Car comme je l'indiquais, ces passages célèbres de Bergson (il faut, c'est vrai, rappeler cette référence au lecteur) montrent par contraste que le réel se doit d'être au moins double (actuel et virtuel) si l'on veut marginaliser le possible. Mais le réel de Rosset est "un". Grosso modo, Bergson (ou Spinoza et Deleuze, ces deux grands autres contempteurs du possible) démantèle le possible et en redistribue certaines composantes pour construire le virtuel. Ce qui n'est pas le cas chez Rosset donc, où le possible est purement et simplement expulsé du réel égalé à l'être. Voilà la source de cette présence sourde et paradoxale du non-être, qui n'a rien d'une "ineptie". Nous sommes donc tout à fait d'accord sur ce que Rosset désigne comme réel : tout l'être est rabattu sur le réel. Simplement, j'en tire les conséquences (voyez ce que je me propose dans l'introduction) et montre en particulier en quoi le sentiment comme accès privilégié (sinon unique) au réel donne chez Rosset un rôle particulier au non-être. C'est bien pour cela que c'est "la peine de continuer", au contraire de ce que vous affirmez, si loin de Beckett.

Vous déclarez en effet que l'on ne peut pas "être à la fois dans deux discours qui s'excluent l'un l'autre", etc. Quelle drôle d'idée... Une question de "choix" des philosophèmes ? Croyez vous qu'on "choisisse" sa philosophie comme au marché ? C'est cela l' "ineptie", c'est cela qui est pure doxa, pauvre opinion qui n'est pas le moins du monde argumentée dans votre discours. Vous parlez de "point de départ philosophique" : commencez sagement par l'argumentation. En effet, loin de s'être "débarrassé" du problème, il apparaît, je l'ai déjà dit, que Rosset l'a déplacé. La question philosophique à se poser est la suivante. D'où provient la contradiction apparente ?

Par conséquent, pardonnez-moi, mais si l'on ne veut pas patauger dans la simple doxa, l'on peut à bon droit (et même, pour tout dire : il est nécessaire) se demander ce qu'impliquent les choix conceptuels rossétiens, et chercher comprendre ce qui les détermine (peut-on alors vraiment parler de "choix"?). Toute philosophie étant un réseau conceptuel, il convient d'adopter une méthode holiste. Deux auteurs ne mettent pas la même chose sous le même concept, et c'est en faisant jouer ces écarts que l'on peut les appréhender avec précision. Car non, l'alternative entre l'existence et la non-existence de Dieu, par exemple, n'est pertinente que par rapport à un problème qui lui donne sens. C'est la mise en lumière du problème et du partage conceptuel consécutif qui procure une intelligibilité au système. Que Rosset identifie l'être et le réel a des implications, et celles-ci peuvent éclairer le problème qui a présidé à cette identification. Il arrive que les énoncés d'un auteur impliquent une tension contradictoire entre eux, ou en entraînent d'autres qui ne sont pas formulés, tels, chez Rosset, ceux concernant le néant.

Bref : si le possible est congédié ainsi sans autre forme de procès, et le sentiment désigné comme medium par excellence, le néant fait retour. C'est loin d'être une "ineptie" (lisez 'tout' Rosset). Et, en particulier, ceci a un sens éthique parfaitement clair.

Ah oui, vous nous parlez aussi de Badiou... Je crois que reproduire ce que vous dites pour vous l'opposer devrait suffire à vous répondre : "Pour le reste, Badiou a beau faire l'histoire qu'il voudra. Jamais un livre qu'il écrive, que ce soit sur Deleuze ou sur Beckett (et peut-être même sur Sarkozy!) ne contiendra la moindre honnêteté intellectuelle." Si vous "raisonnez" ainsi, vous comprendrez peut-être, à la réflexion, que vous n'êtes guère crédible. J'espère que vous avez conscience du fait que, pitoyablement, vous bavardez et restez dans l'auto-contradiction. Badiou est certes criticable - c'est bien ce qui est intéressant -, n'hésitez pas à le critiquer et donc à argumenter, si bien sûr vous en êtes capable. Sinon, restez discret, vous aurez ainsi moins l'air de l'hystérique face au maître.

De même, contrairement à vous, je ne ferai pas ici d'Onfray un bouc émissaire ; il s'en charge très bien lui-même.

Écrit par : Anaximandrake | 01/02/2008

Excusez-moi, je ne voulais pas en réalité parler du "maître"; j'ai juste fait très hystériquement et naïvement un rapprochement de votre texte et de quelques autres textes qui se chargent de dire qu'un philosophe dit l'exacte contraire de ce qu'il a écrit. Que ce soit par malhonneteté, et ce n'est pas asssurément votre cas, ou par holisme. Mais laissons. Je ne tiens pas à défendre la philosophie de Rosset; elle essayera peut-être de le faire par elle-même, ou tant pis pour elle.

Encore: si je vous ai cité Bergson, c'était pour que vous cherchiez cet horrible déplacement du possible ailleurs. C'est plutôt un conseil. Il y a des gens qui affirment que la grande dispute du XXe siècle est en fait celle entre Heidegger et Bergson. Disons que votre analyse, fort intéressante, en est une manifestation. Pour ma part, il me semble que Rosset part de cette idée (le possible est une idée rétroactive; tout "réel" est une infirmation du possible) qui a été selon moi très bien résolue par Bergson tout au long de son oeuvre. Il appelle tant le possible que le néant, comme vous le savez certainement, un "faux problème", comme l'est aussi à mes yeux, naïfs et vulgaires, associer le réel au non-être. Bergson lui-même argumente très bien et avec une excellente plume, allez donc y chercher vous-même. Je resterai à cet égard, comme vous me conseillez, discret, puisque argumenter contre ce que l'on considère des "faux problèmes" est long et facheux.

En ce qui concerne le fait de sortir de la doxa, il me semble qu'être holiste, comme vous conseillez, est en effet une solution que je n'ai pas considéré avant ce soir. Quoi qu'il en soit, il faudra donc que je me demande comment faire, si l'on ne veut pas revenir carrément à Platon (comme invite, tenez, encore une fois, Badiou), pour ne pas associer à sa pensée la "dualité" de l'être, sa "possibilité", son partage avec le "néant", le "vide" originaire dont il provient, bref, comment faire pour partager toute et chacune des affirmations de l'idéalisme --sans avouer son propre idéalisme. C'est ce que j'appelais "question de choix", ou de gout. Mais je vais y réfléchir.

Je vous lis très agressif. Il faut se détendre. Vos provocations suscitent de commentaires moins brillants que les votres; n'empêche, ce n'est pas en les discréditant que vous aurez raison. Relisez "tout" Rosset, et tâchez notamment de lire les importants passages sur Bergson dans "L'école du réel". Cordialement et amicalement...

Écrit par : cuiaspinosa | 01/02/2008

C'est en faisant ainsi gentiment l'hystérique que vous instituez Badiou 'maître' (vous verrez que Lacan, si vous le lisez, est lumineux sur ces questions). Pour un oeil moins aveuglé, Badiou est tout simplement un des rares philosophes contemporains intéressants (être "d'accord" avec lui ou pas, n'est bien sûr pas le problème), et ce même s'il réactive Platon (ce que je ne crois ni nécessaire ni souhaitable, mais ce qui est une autre question). Bref, votre perception de Badiou est votre problème, pas le mien. Il est tout même navrant d'avoir à le rappeler : vous avez certainement mieux à faire que de venir ici vous décrédibiliser en accusant X ou Y de malhonnêteté intellectuelle, sans le plus petit commencement de raisonnement ni de preuve. N'étant pas à un incohérence près, vous ajoutez ensuite l'affirmation péremptoire d'"inepties", puis me demandez ensuite d'être moins "agressif". Vous êtes certainement très cool, en effet... "[S]e détendre" ? A vous, il est indéniable qu'un peu de tenue ne ferait pas de mal, si d'aventure vous vouliez que votre propos soit pris au sérieux.

Donc, au risque de me répéter : soyez plus attentif. Vos conseils sont certainement avisés, mais en tant que lecteur de Deleuze, j'en fus un de Bergson, et suis familier de ces problématiques classiques. Notez bien qu'il est louable que vous fassiez ce genre de découvertes, mais elles n'en sont que pour vous. Je vous remercie malgré tout de vos bons sentiments qui, malheureusement, font rarement de la bonne philosophie.

Allez, une fois encore, répétons que c'est en particulier le virtuel qui permet à Bergson de dissoudre possible et néant dans son appareillage conceptuel. Chez Rosset, il manque une dimension équivalente, d'où le statut du non-être au sens de Platon qui peut dérégler son système, etc. Baste. Ceci, je le dis clairement dans ce texte.

En parlant de clarté, soyez moins confus. Il n'est pas question "de dire qu'un philosophe dit l'exact contraire de qu'il a écrit", mais de montrer les limites d'un concept signé X vis-à-vis d'un autre (éventuellement du même nom) signé Y, et pourquoi pas vice-versa. Les concepts ne sont pas des mots d'ordre, voyons. Si l'on vous suivait, faudrait-il alors dire que Rosset est malhonnête dans sa lecture de Parménide ? Et quand Badiou, dans 'un, multiple, multiplicité(s)' demande à Deleuze "quel infini ?", est-ce déloyal voire malhonnête ? Répondre par l'affirmative est insensé ou puéril. Un philosophe qui en critique un autre n'est pas sa mère que diable ! Et encore moins son héritier d'ailleurs. Mais puisque vous paraissez aimer les conseils, je vous renvoie par exemple à ce que Nietzsche écrit à propos de l'agôn grec.

En philosophie, c'est sur les concepts et leurs relations réciproques au sein de problèmes déterminés qu'il s'agit de se focaliser, pas simplement de se dire "idéaliste" ou "réaliste" parce qu'on adhère aux thèses respectives de ces doctrines. Je regrette pour vous qu'argumenter sur ce que vous déclarez ex abrupto comme des "faux problèmes" vous soit si pesant, et que ce qui vous contredit soit des "provocations". En effet, vous passez ainsi tout bonnement à côté de l'activité philosophique. Et non, ce n'est pas en discréditant un "commentaire" que j'aurais raison, mais c'est en montrant qu'il ne tient pas que je n'aurais pas tort de le discréditer. C'est ça la véritable "école du réel", non ?

Ne prenez néanmoins pas ceci en mauvaise part, mais bien plutôt cum grano salis. Je ne suis pas dans votre tête. Que Dieu m'en garde, qu'il existe ou non.

Bien à vous.

Écrit par : Anaximandrake | 01/02/2008

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