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06/03/2005

Le paradoxe du Tractatus

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D'abord publié en 1921 dans la revue Annalen der Naturphilosophie, le Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein paraît ensuite en Angleterre avec sa traduction anglaise et la préface de Russell.

Cet ouvrage fait montre d'un positivisme logique extrême. Il prend sa source dans la nouvelle logique construite par Frege (1858-1925) puis par Russell et Whitehead (Principia Mathematica, 1910-1913). Le Tractatus inspirera d'ailleurs les travaux ultérieurs du Wiener Kreis (Schlick, Waismann, Carnap, Neurath, Feigl, etc.) dont la postérité est innombrable.

Un fait est pour Wittgenstein une relation entre des objets représentés par des noms dans une proposition. En effet, si le "monde est tout ce qui a lieu" (1), "le monde est la totalité des faits, non des choses." (1.1) Or, "La pensée est la proposition pourvue de sens" (3) et "l'image logique des faits est la pensée" (4). On peut donc parler ici de parallélisme logico-physique : "A la configurations des signes simples dans le signe propositionnel correspond la configuration des objets dans la situation." (3.21) De plus : "La proposition est une image d'une situation dans la mesure seulement où elle est logiquement segmentée." (4.032). Il y a donc similarité de structure entre la pensée et les faits qu'elle représente.

Il est donc manifeste que le sens d'une proposition s'avère être la représentation d'un état de chose : "On peut directement dire, au lieu de : cette proposition a tel ou tel sens, cette proposition figure telle ou telle situation." (4.031) Wittgenstein tente, grâce à l'examen de la forme logique des propositions, non de délimiter le domaine du vrai, mais celui du sensé. En effet, une proposition est douée de sens non quand elle est vraie mais lorsqu'elle est susceptible d'être vérifiée.

Pour avoir un sens, la proposition doit donc satisfaire aux critères logiques, c'est-à-dire avoir une forme logique. Ainsi, toute proposition sensée détermine-t-elle un fait possible : "Le sens de la proposition est son accord ou son désaccord avec les possibilités de subsistance ou de non-subsistance des états de choses." (4.2)

Dans cette optique, il apparaît alors que "la plupart des propositions et des questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à telles questions, mais seulement établir leur non-sens." (4.003) Les concepts tels que l'Être ou le sujet dont le discours philosophique s'empare seraient donc les symptômes d'un langage non maîtrisé multipliant sans retenue des entités fictives. Wittgenstein est un nouvel Occam.

Où, exactement, pèche la philosophie traditionnelle ? La réponse est nette : elle outrepasse la fonction représentative du langage en cherchant à représenter ce qu'il est impossible de représenter. Il s'agit, au contraire, de se contenter d'exhiber la communauté de forme entre la syntaxe logique de la proposition sensée et celle des faits réels que celle-ci représente. En ce sens, les constantes logiques ("et", "ou", etc.) n'ont aucune signification et il convient donc de limiter leur nombre le plus possible. "Les propositions logiques sont des tautologies" (6.1) : elles ne "disent" rien, ne représentent rien.

A l'instar des propositions philosophiques, seraient-elles aussi des non-sens ? Non : "elles appartiennent au symbolisme, tout à fait à la manière dont le "0" appartient au symbolisme de l'arithmétique." (4.461) A la différence des philosophèmes, elles ne prétendent pas représenter quelque chose mais rien. La logique montre. Elle "n'est pas une théorie , mais une image qui reflète le monde" (6.13).

"La logique est transcendantale" (6.13) Dont acte. Mais puisqu'il est question de conditions de possibilité, posons une question : ce qui se dit ici de la logique, nommément le Tractatus lui-même, n'outrepasse-t-il pas les bornes qu'il assigne par ailleurs ? Suit-il ses propres règles ? En effet, selon ses propres critères, le Tractatus est un tissu de non-sens puisque ses propositions concernent les faits, les propositions, les objets, etc. et contreviennent par là même au symbolisme logique. En en mot, le Tractatus est bel et bien philosophique.

Cet ouvrage est une entité paradoxale : un non-sens qui trace une frontière entre sens et non-sens, entre ce qui est pensable et ce qui ne l'est pas. En toute rigueur, le Tractatus n'a donc pas pu être pensé ; il n'a pu être que révélé.

Bien entendu, un esprit tel que celui de Ludwig Wittgenstein ne pouvait que s'en aviser. C'est donc pourquoi il affirme : "Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dépourvues de sens" (6.54). Il reste que son ouvrage est un non-sens sensé, ou, tout aussi bien, un "cercle carré" ou même un non-livre. Voilà pourquoi, face aux membres du Cercle de Vienne, Wittgenstein récitait du Tagore. Le Tractatus, sa pensabilité et sa vérité, relèvent du mysticisme : "Il y a assurément de l'indicible. Il se montre, c'est le Mystique." (6.522)

Le Tractatus ne serait-il qu'une longue prétérition ? Il aurait peut-être suffi à Wittgenstein d'énoncer uniquement ceci : "Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence." (7)

 

 

 

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