23/02/2007
Corbus
Voici une exposition possible du paradoxe des corbeaux, dit aussi « de Hempel », et qui fut pourtant d’abord formulé par Nicod. A ne pas confondre avec celui « de l'Anglaise rousse », ce paradoxe est une illustration des joyeusetés de l'induction.
On a :
(1) « Ceci est un corbeau noir. »
(2) « Tous les corbeaux sont noirs. »
Or, tout énoncé général est confirmé par chaque occurrence d’un cas de son actualisation, c’est-à-dire chacune de ses instances.
Donc : (1) confirme (2).
Or l’instance d’un énoncé confirme l’énoncé logiquement équivalent. Si deux énoncés sont équivalents, confirmer l’un revient à confirmer l’autre, id est chaque instance de l’un s'avère être une confirmation de l’autre.
Soit donc un énoncé équivalent à (2). Par exemple :
(3) « Toutes les choses qui ne sont pas noires ne sont pas des corbeaux. »
Afin de faire apparaître la forme logique et satisfaire ainsi les mânes de Russell, transcrivons (3) en (3’) :
(3’) « Tout ce qui est non-noir est un non-corbeau. »
(2) et (3’) sont bien logiquement équivalents.
Soit alors :
(4) « Cette femme est blanche. »
(4) confirme (3’), puisque (4) est clairement une instance de (3’).
Donc, puisque (2) et (3’) sont équivalents, (4) confirme (2).
Par conséquent, que cette femme soit blanche est la confirmation que tous les corbeaux sont noirs.
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Commentaires
Que (2) implique (3) ne signifie pas qu'ils soient équivalents. Non? Soit A "être noir" et B "être un corbeau". Ainsi (2) : A -> B ; (3) nonB -> nonA. Or les deux formules n'ont pas la même table de vérité si je ne m'abuse...
Écrit par : nicolas | 23/02/2007
(2) n'a pas cette structure logique : A -> B, ni (3) celle-ci : non B -> non A.
Deux formules X et Y peuvent être dites équivalentes logiquement si elles ont en même temps la même valeur de vérité. C'est à dire : "X est vraie si et seulement si Y est vraie". Or : X < - > Y a la même table de vérité que (X->Y) & (Y->X).
Et c'est bien le cas, en l'espèce, pour (2) et (3), car on a (2)->(3) et (3)->(2). Par conséquent, (2) et (3) sont bien logiquement équivalentes.
Le paradoxe des corbeaux n'est pas un paralogisme.
Écrit par : Anaximandrake | 23/02/2007
Bon,
L'idée qu'une instance d'un énoncé général le confirme, c'est aller un peu plus loin que de dire que qu'il ne l'infirme pas, sauf à penser que
(a) Pour tout x pour tout y ((x non-infirme y) ssi (x confime y))
Le "bon sens" voudrait en effet que ce soient TOUTES les instances d'un énoncé général qui le confirment.
Autrement dit, "confirmer" pour une instance n'est pas équivalent à "rendre vrai", mais seulement à "rendre plausible".
Ainsi,
(4) « Cette femme est blanche. » ne fait que rendre plausible que (2) « tout les corbeaux sont noirs. »
En effet que cette femme soit blanche n'infirme pas que tous les cobreaux sont noirs.
De ce point de vue, ce n'est peut-être que l'ennoncé formé par la conjonction de tous les énoncés de la forme
(b) Il existe x (non-corbeau (x) et non-noir (x))
qui consistuerait une véritable confirmation de (2).
Sachant que tous les nombres naturels semblent satisfaire cette condition et qu'un énoncé ne peut pas être de longueur infinie, alors ce n'est que l'énoncé
(c) Pour tout x (non-noir (x) -> non-corbeau (x))
qui confirmerait (2). Ce qui est évident puisque c'est justement (3') qui est équivalent à (2).
Écrit par : Martin Seller | 23/02/2007
Dans ce paradoxe, il s'agit bien d'une véritable confirmation, et non pas d'une simple non-infirmation, car la probabilité augmente à chaque instance. Puisque nous sommes ici dans un ensemble certes énorme mais fini, l'argument intuitionniste de l'illégitimité du tiers-exclu ne peut s'appliquer, et donc la contraposition est valide. Par conséquent, que cette femme soit blanche confirme que tous les corbeaux sont noirs.
Écrit par : Anaximandrake | 23/02/2007
Comment cela ?
Les entiers ne sont-ils pas de bonnes instances de choses non-noires ?
S'ils sont ni noirs ni non-noirs alors vous admettez l'illégitimité du tiers exclu et donnez donc du crédit à ce que vous érigez comme argument contre l'idée que tout ce qui est non-noir et non-corbeau augmente la probabilité de véracité de (2). Sauf bien sûr si vous admettez le tiers exclu pour des relations comme " x confirme y" et que vous les refusez pour des relations comme " x apparaît-comme-noir-à y"
Mais si ce paradoxe suppose que l'univers des instances susceptibles de confimer (2) est celui des choses matérielles alors, il doit comme vous le dites le supposer fini.
Mais qu'est-ce qui nous confirme que cet univers là est fini ? Nos appareils de mesure adossé à une certaine théorie ? Mais la cosmologie n'est point l'astrophysique. Nous ne supposons avec droit qu'aussi loin que nous mesurons. A proprement parler nous ne savons pas si l'univers est fini. Nous ne savons donc pas non plus si nos appareils nous le confirment. C'est simplement plausible, mais pas de plus en plus problable. "plausible" décrit ici la seule possibilité indépendamment de tout degré (de probabilité).
Dans le fond, il me semble (sans en être certain) que cette question du tiers exclu ne joue pas de rôle déterminant ici: l'ensemble des choses qui confirment une chose est bien le complémentaire de celui des choses qui ne la confirment pas, autrement dit, tout le reste des choses.
De la même façon "plausible" ou "possible" trouve son complémentaire dans "impossible".
Mais il n'y a pas identité entre l'ensemble des choses qui rendent impossible une autre chose et l'ensemble des choses qui ne la confirment pas.
Une chose peut donc à la fois rendre possible ou plausible une autre sans pour autant la confirmer.
Une instance d'un énoncé universel, a me semble-t-il pour but de le rendre plausible, mais non pas de plus en plus probable (en math, comme en physique, sauf dans les ensembles finis). Elle écarte simplement son impossibilité.
Écrit par : Martin Seller | 24/02/2007
Intéressant. Je ne suis pas sûr de tout comprendre mais il me semble qu'il y a là cependant une subtile faute de raisonnement.
Notons d'abord que si (1) confirme (2), il ne le prouve pas. En revanche, il aurait suffit d'un "Ce corbeau est blanc" pour infirmer (2).
Le noeud de l'affaire me semble être ici : "(2) et (3’) sont bien logiquement équivalents." C'est ce que je ne comprends pas. Ce serait vrai si et seulement si (2) était "Seuls les corbeaux sont noirs", ce qui signifierait que la couleur noir serait un attribut exclusif des corbeaux. Or (2) ne dit pas cela.
Ce qui s'en suit me paraît découler de là, donc s'écrouler.
Écrit par : 3dlv | 24/02/2007
« Tout ce qui est non-noir est un non-corbeau. »
Nous avons deux formes différentes, distinctes et sans réelle incidence sur le raisonnement: corbeau puis femme.
nous avons une valeur: le noir puis une autre: non-noir.
la valeur "non-noir" est-elle donc toujours blanche? Faut-il toujours passer par le "crible binaire" dans un tel système logique? toujours tout isoler?
"Corollaire : on appelle communément intelligence la rapidité et la multitude des chemins possibles entre ces points massiques. Précisons que l’intelligence n'est pas l'inverse exact de la bêtise, car la bêtise s’accroît lorsque le nombre de concrétions diminue." ( Anaximandrake; Barycentrisme aigu)
Il y a d'autres possibilités "intermédiaires" entre les point (corbeaux-noirs) et (femme-blanche): une femme grise, une femme ailée noire, tous les corbeaux albinos..., qui sont autant de propositions distinctes de « Ceci est un corbeau noir. »
Peut-on dire dans le cadre cette logique: "un buste de femme au corps de corbeau noir et blanc confirme que tous les corbeaux sont noirs." ?
Écrit par : Monty Python | 24/02/2007
Tout dépend en effet de ce qu'on accepte ou non la notion d'infini actuel, que l'intuitionnisme refuse. De plus, lorsque l'on parle de 'chose' dans (3), on parle d'une réalité physique, susceptible d'être colorée. Qu'un entier naturel soit de cette espèce relève pour le moins d'un ultra-platonisme. Bref, l'univers dans lequel l'énoncé général en question a un sens physique est fini. Pour mettre à mal ce paradoxe d'une manière plus directe, on peut avoir recours au Malin Génie cartésien.
'Seuls les corbeaux sont noirs' n'est pas logiquement équivalent à (3'). Cf. la définition de l'équivalence logique dans le commentaires ci-dessus. Vérifiez par les tables de vérités ; (2) et (3') sont bien équivalentes logiquement.
Non, le non-noir n'est pas le blanc, même si le blanc est non-noir, car le rouge est non-noir, etc. Tertium datur, n'est-il pas ? Mais vous comprendrez aisément les raisons du choix de l'exemple en question. Quant au vôtre, à supposer qu'il n'équivaut pas à 'cercle carré' , il confirme que tous les corbeaux sont noirs. S'il équivaut à 'cercle carré', alors il ne se contente pas de le confirmer, mais le prouve.
Écrit par : Anaximandrake | 24/02/2007
"Blanche" comme l'étaient les cathédrales ? Votre logique m'est architecturale, Magicien.
Écrit par : Le Corbusier | 24/02/2007
Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir (Le corbeau de Poe)
Écrit par : Pierre Soulages | 25/02/2007
soit Ringo est une femme
Écrit par : cheval blanc | 28/02/2007
Après quelques réflexions je me permets de commenter encore une fois cet article et votre dernier commentaire :
Tout d'abord vous dites que "... l'univers dans lequel l'énoncé général en question a un sens physique est fini."
Il me semble que c'est clairement faux, si on entend "avoir un sens" par "être vrai ou faux". En effet, l'énoncé (2) a bien un sens dans un univers physique infini, que les corbeaux soient en nombre fini ou non, puisqu'il peut s'avérer vrai que tout les corbeaux soient noirs, même s'il sont en nombre infini. (mais peut-être parliez-vous de l'énoncé général que je cite dans mon prochain paragraphe...)
Ensuite, je crois avoir trouvé ce qui m'amenait à distinguer entre "confimation" et "non-infimation". En effet, un moment important du raisonnement qui conduit aux paradoxe, est celui où il est affirmé que : "... l’instance d’un énoncé confirme l’énoncé logiquement équivalent. Si deux énoncés sont équivalents, confirmer l’un revient à confirmer l’autre, id est chaque instance de l’un s'avère être une confirmation de l’autre." et où l'on fait donc croire que la confirmation "passe" l'équivalence logique.
Mais, de deux choses l'une: soit on dit que (1) confirme (2) parce que (1) est une instance de (2), soit on dit que (1) confirme (3) et (3') etc. parce que (1) est une instance de (2) [où (2) est logiquement équivalent à (3) et (3')], sans pour autant que (1) soit une instance de (3) et (3').
Dans le premier cas on ne dira pas que (1) confirme (3') [ni que (4) confirme (2)], car (1) n'est pas une instance de (3') [ni (4) de (2)]. On dira au mieux qu'il le non-infirme, c'est à dire qu'il le rend possible tant que rien ne vient l'infirmer (univers fini ou non).
Dans le second cas, on entend par "confirmer" quelque chose de très fort, puisque tout ce qui n'infirme pas un énoncé universel le confirme, ou du moins le rend de plus en plus probable, sauf dans un univers infini d'instances où il ne fait que le rendre possible.
Remarquons par ailleurs que pour que le nombre d'instances ne soit pas infini, on doit supposer que l'univers physique est fini et que les instances ne peuvent pas être des nombres et que si l'on utilise des nombres pour parler par exemple du groupe de 4 femmes blanches, il ne doivent pas dépasser la cardinal de l'ensemble des parties de l'inivers fini [en supposant naturellement que les parties de l'univers physiques fini soient elles-même en nombre fini, autrement dit qu'on se refuse à prendre un nombre dénombrables des points de cet univers pour instances].
Bref, penser que (2) confirme (4) c'est faire un grand nombre d'hypothèses et c'est ne laisser aucune place pour un concept entre "confirmer" et "infirmer", car si "Il existe C qui est N, d'ailleurs il s'apelle Heckel" est une instance de "Tout C est N" alors la contraposée "tout non-N est non-C" défini un univers d'instances qui est le complémtaire exact des instances de "tout C est N". Autrement dit, tout objet existant pour autant qu'il ne soit pas noir et en même temps corbeau est une instance de "Tout non-noir est non-corbeau", et donc confirme (2). Ceci a le fâcheux invénient de rabattre le possible sur le probable pour les énoncés universels, alors que nous tenons sans doute pouvoir dire par exemple qu'il est possible que nous soyons les seuls êtres capables de diviser 200 par 10 dans l'unviers, sans pour autant que nous ayons à dire qu'il est probable qu'il en est ainsi. Nous ne voyons pas en effet l'existence de la lune comme une confirmation de notre énoncé. Nous préférons en effet dire que l'existence de la lune est indifférente à cette supposition, et qu'elle ne la rend que possible ou plausible puisqu'elle ne l'infirme pas.
En tout les cas, sans avoir sans doute touché le fond du problème, je vous remercie d'avoir attiré mon attention sur ce paradoxe et de m'avoir donné la réplique dans ma réflexion.
Écrit par : Martin Seller | 01/03/2007
Je vous en prie, et vous remercie de la pertinence de vos commentaires.
Je dirai qu'il s'agit de bien distinguer entre avoir un sens (être vrai ou faux), et avoir un sens physique. En effet, il est ici question d'induction, méthode physique par excellence. La physique a affaire à des observables, des protocoles expérimentaux, et ne peut raisonner que sur du fini. L'univers physique c'est - stricto sensu - l'univers de la physique, science qui ne parle de l'infini que comme de sa limite. Si l'infini est un objet mathématique (réserves faites quant aux intuitionnistes), il n'est pas un objet physique. Cf. par exemple la renormalisation en physique quantique.
Vous dites : 'On dira au mieux qu'il le non-infirme, c'est-à-dire qu'il le rend possible tant que rien ne vient l'infirmer (univers fini ou non)' Je ne peux que m'opposer à la parenthèse car si l'univers est fini, le possible devient automatiquement du probable, puisque se matérialise ainsi l'ensemble complémentaire expérimentable, selon une procédure finie, condition de son traitement physique. Quand on parle de 'l'univers', on parle de cet univers-ci, i.e. d'un univers objectivable. Par conséquent, pour reprendre votre exemple de la lune, celle-ci est bien une confirmation que tous les corbeaux sont noirs.
Bref, si les hypothèses relatives à votre 'second cas' sont restrictives quant à la logique - j'en suis bien d'accord, et d'ailleurs encore davantage philosophiquement (en effet,un énoncé sur L'Univers, c'est-à-dire le Tout ne peut pas être dit scientifique ; la cosmologie est donc au minimum une pseudo-science)- mais constitue les requisits de la science physique.
On pourrait donc asserter que si la physique n'est pas paralogique, elle est bien philosophiquement paradoxale.
Écrit par : Anaximandrake | 01/03/2007
Sont-ce des mathématiques?
Comment appelle-t-on cela?
Les mots sont imprécis et confusiogènes, pourquoi ne pas utiliser les chiffres et les variables? On verrait plus clair il me semble.
Écrit par : un passant | 26/03/2007
Il s'agit de logique, et l'assimiler aux mathématiques est une prise de position philosophique. En l'espèce, pourtant, la langue naturelle est fort claire, et la formalisation donnerait une apparence de complexité à ce qui est, logiquement, tout à fait simple. Car la difficulté, comme on l'a vu ci-dessus, n'est pas là.
Écrit par : Anaximandrake | 26/03/2007
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