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21/02/2005

L'anomalie du mental

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Grâce à son ouvrage Actions et événements (1993), Donald Davidson (1917-2003) est l'unique philosophe de son obédience (Philippe de Rouilhan étant un cas limite) a avoir eu l'honneur d'être publié dans la collection Epiméthée des Presses Universitaires de France dirigée depuis 1981 par Jean-Luc Marion.

A la manière d'un Leibniz ou d'un Whitehead (qu'il a longtemps admiré), Davidson est un philosophe de l'événement. Au sein d'un matérialisme de bon aloi, il parvient à éviter l'écueil majeur du réductionnisme plat. Sans pour autant verser dans le fonctionnalisme, Davidson reconnaît en effet une certaine autonomie au mental. Comme le dit Pascal Engel : « La thèse du caractère non nomologique des régularités psychologiques, et celle du caractère non nomologique des corrélations psychophysiques est ce que Davidson appelle "anomisme du mental" : le mental et les relations du mental au physique ne sont pas soumis à des lois strictes. Il s'ensuit que le matérialisme réductionniste qui présuppose l'existence de telles lois, est impossible. »

Voici comment Davidson procède pour expliciter sa position philosophique très originale.

Soient trois assertions:

(1) Des événements physiques sont causalement reliés à certains événements mentaux. C'est le cas typique de l'action et de la perception.

(2) S'il y a relation de causalité, alors il y a loi stricte.

(3) Les événements mentaux ne sont pas prédictibles par des lois déterministes strictes.

Il semble que la causalité mentale (1), la légalité de la causalité (2), et l'anomisme du mental (3), soient incompatibles. Pourtant, pour Davidson, ces thèses peuvent coexister.

Comment ?

Revenons d'abord à son ontologie de l'événement qui peut se formuler en quatre thèses :

- Il est impossible de réduire les événements à des propriétés de choses. Bien plus, ce sont les propriétés de choses qui sont réductibles aux événements.

- Un événement a une localisation spatio-temporelle et se trouvent pris dans des relations de causalité.

- Les événements dont la description contient un prédicat mental s'avèrent être des événements mentaux.

- Les événements dont la description contient un prédicat physique s'avèrent être des événements physiques.

Ceci n'est possible qu'avec une conception bien particulière de la causalité. En effet, un événement B est causé par un événement A si et seulement si, A satisfaisant à une description 1 et B satisfaisant à une description 2, il y a une loi telle que tous les événements satisfaisant à 1 entraînent tous des événements satisfaisants à 2. Ainsi, un événement n'est soumis à une loi qu'en tant qu'il est décrit d'une certaine façon. Toutefois, si la causalité existe pour les événements eux-mêmes, indépendamment de la manière dont ils sont décrits, elle ne se manifeste que dans certaines descriptions.

De plus, selon sa doctrine du holisme du mental, Davidson soutient qu'il est impossible de n'attribuer qu'une unique attitude intentionnelle à un locuteur puisque toute croyance a pour corrélat plusieurs autres croyances. Même si certaines desdites croyances sont irrationnelles, il s'agit, selon le fameux "principe de charité", de présupposer que le système qu'elles forment est rationnel, c'est-à-dire non contradictoire. Ainsi, est-on tenu d'inférer q si le locuteur soutient p et si q est une conséquence logique de p. C'est le critère dit de rationalité.

Ceci posé, il est à remarquer que seules les descriptions physiques sont justiciables de lois strictes. En effet, soumis au critère de rationalité, les événements décrits en tant qu'événements mentaux ne tombent pas sous des lois strictes puisque leur description est par définition révisable.

Ainsi :

(i) Si A croit que p, alors le cerveau de A a une propriété neuronale N selon une loi psycho-physique.
(ii) Si le cerveau de A a la propriété neuronale N, alors A croit que p.
(iii) N est attribuée en dépit du réquisit de rationalité sus-mentionné.

Conséquence de (iii) :

(iv) L'abandon de l'attribution de la propriété N du cerveau de A n'est pas justifiée par d'autres croyances de A.

Conséquence de (ii) et de (iv) :

(v) D’autres croyances de A ne peuvent pas non plus justifier l’abandon de l’attribution de la croyance p à A.

(vi) Le holisme mental est contredit par (v) ce qui implique que, pour Davidson, (i) est faux.

Les prédicats physiques et les prédicats mentaux ne peuvent donc pas s'accorder. Mais les événements mentaux et les événements physiques sont identiques. S'il s'agit donc bien ici d'un matérialisme, ce n'est pourtant pas un réductionnisme. En effet, les propriétés et les descriptions des ces événements sont différentes : il n'y a pas de lois strictes qui relient les descriptions mentales et les descriptions physiques. Il y a donc, à proprement parler, une anomalie du mental.

 

 

 

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