24/01/2005
Le style et le Styx
A quoi se confrontent les génies philosophiques ou littéraires ?
On serait naïvement tenté de dire : à la mort comme telle.
Mais il ne s'agit évidemment pas d'une entreprise nihiliste. En effet même chez les grands pessimistes (Schopenhauer ou Cioran), c'est la vie même qui flue sans mesure de cette rencontre avec le chaos ou l'abîme. Tout vrai lecteur est là pour en témoigner.
Si l'on voulait métaphoriser, on pourrait affirmer que l'objet de leur activité est d'approcher asymptotiquement l'horizon d'un trou noir sans franchir la limite au-delà de laquelle l'effondrement se produit. Une tension mentale extrême, inimaginable pour le vulgaire, est nécessaire afin d'éviter la chute dans le puits sans fond de l'astre noir.
Bien entendu, l'exercice est périlleux ; ces contrées sont sauvages et non balisées. Nombreux sont ceux qui, à l'instar de Nietzsche ou de Hölderlin, furent engloutis.
L'absolu étant d'une certaine manière l'ultime Aufhebung, s'y confronter est l'épreuve de la crucifixion, de la perte de l'identité, du déchirement de la contradiction. Il est néanmoins le seul étalon de la cohérence rationnelle et le seul diapason des résonances de l'âme. Dans ces zones sans boussole, là où les forces gravitationnelles sont si intenses qu'elles déchirent les âmes tièdes, se trouvent aussi les forces de vie les plus splendides.
Cet horizon est ceint par un Styx, un Achéron qui sont aussi bien un anti-Léthé, ou plus exactement le Léthé traversé à nouveau, mais à l’envers : l’épreuve solitaire par excellence mais aussi l'unique creuset du style.
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