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18/06/2007

Urbi et orbi

 

« [D]e fait, le Tout n’étant jamais susceptible d’une inscription expérimentale, la cosmologie est liée à l’idéalisme du modèle. » (Badiou)

« J’aime bien le mot ontologie. » (Guattari) 

 

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Lorsque nous employons le terme de réalité, de quoi parlons-nous ? Il est en effet crucial de bien distinguer le domaine de l'être, intotalisable, de la sphère de la réalité naturelle. Celle-ci est ce dont traite, non pas la science en général, si l'on admet que la mathématique est science de l'être, mais bien la physique. L'univers tel que le décrit l'astrophysique est donc un tout, pas le Tout.

 

Ce qui est réel étant a fortiori possible, l'univers s’avère donc être d’abord un monde possible. Mais il n'est peut-être qu'un monde réel parmi d’autres mondes « réels » et ce, même si les autres dimensions du multivers ainsi défini ne sont pas empiriquement testables, et donc n'existent pas pour la science expérimentale. Notons que celle-ci doit pourtant se garder de les décréter inexistants en soi si elle veut rester scientifique.

 

Il apparaît de même que la cosmologie ne peut pas être dite « science » stricto sensu puisque l'univers y est conçu comme le Tout et non pas comme un objet dont se distinguerait un observateur. Cette récursivité rend d'ailleurs trivial le principe anthropique puisque l'univers visible n'est qu'un des mondes possibles. Il n'y a en effet rien de miraculeux à son existence, le raisonnement probabilitaire étant, comme l'a montré Meillassoux, inapplicable compte tenu du caractère transfini de la dissémination de l'être. Ce qui se dit aussi, sous forme d’évidence : le monde dans lequel nous sommes requiert qu'il soit un monde dans lequel il est possible que nous soyons.

 

Car admettre qu'il n'y a qu'un nombre fini de mondes où nous puissions vivre, c'est-à-dire qu'il n'y a qu'un nombre fini de mondes possibles qui puissent être réels (au sens scientifique, c’est-à-dire empirique), n'implique de toute façon pas que les autres mondes ne peuvent pas exister ni même n'existent pas en dehors de notre capacité de perception (donc : ni même n'existeront pas dans le futur), mais simplement que l'on ne pourrait ou ne pouvons pas les percevoir. Ce n'est qu'au sein d'un univers déterminé (par exemple, le nôtre) que le principe de raison a un sens. Pas au-delà. Par conséquent, la facticité du caractère tel ou tel des lois naturelles a pour raison ultime notre propre facticité. Mais la raison ne s'y limite pas.

 

Affirmer le contraire relèverait du corrélationisme dont la naturalisation de l'épistémologie est une tendance. En ce sens, l'argument de l'archifossile (qui est fossile à l’intérieur d'un monde déterminé, le nôtre) implique aussi comme corollaire qu’il est nécessaire que puissent exister des mondes possibles. Il suffit que ceux-ci soient non-contradictoires (réquisit de l'apparaître pour nous), id est pensables sans nous, c’est-à-dire sans la contrainte de notre existence factuelle et des lois naturelles corrélatives. Il n’est cependant pas moins possible qu’existent en acte des univers imperceptibles pour nous.

 

Ainsi, en plus de l’infinité intotalisable des mondes possibles, notre univers s’avère être, en droit, élément d’un multivers constitué d’une infinité inclôturable de mondes ou d’univers en acte, parallèles ou successifs, même si, en fait, le nombre d'éléments de ce multivers peut, sans raison aucune, se révéler être égal à 1. En effet, Dieu, ici, est sans avocat.

 

Or, que ce nombre soit égal à 1 (et quelles qu’en soient pour lui les raisons éventuelles : principe anthropique etc.) est l’unique possibilité pensable selon le physicien et donc aussi la seule qu’il retienne. N’appert-il donc pas que la connaissance du réaliste spéculatif lui est supérieure, de même qu’elle l’est à celle du kantien, qui la considère comme l’unique connaissable, si ce n’est la seule pensable ?

 

Bref, le domaine ontique est distinct de celui de l'ontologie ; l'univers physique n'est pas l'être-en-tant-qu'être. Et ce n’est pas disqualifier la science que de le rappeler, ni même quitter le devenir. Il s’agit plutôt d’une humilité anthropologique puisque l’on n'absolutise plus, par le biais du principe de raison suffisante, la facticité des lois naturelles.

 

Contrairement à l’astrophysique, la cosmologie qui confond un tout avec le Tout, c’est-à-dire méconnaît Cantor et les cardinaux transfinis, n’est-elle donc qu’une doctrine métaphysique, un dogmatisme dépassé usant de modèles abusivement hypostasiés, voire une pseudo-science ou même un discours de type religieux ? Finalement, la physique comme telle serait-elle incohérente à parler, sous le vocable de « Big Bang » par exemple, de création ex nihilo ?

 

Commentaires

"Ce que les peintres, ce que les philosophes ont fait subir à Dieu représente, ou bien la peinture comme passion, ou bien la philosophie comme passion. Les peintres font subir une nouvelle passion au corps du Christ : ils le ramassent, ils le contractent ... La perspective est libérée de toute contrainte de représenter quoi que ce soit, et c'est la même chose pour les philosophes.

Je prends l'exemple de Leibniz. Leibniz recommence la création du monde. Il demande comment est-ce que Dieu crée le monde. Il reprend le problème classique : quel est le rôle de l'entendement de Dieu et de la volonté de Dieu dans la création du monde.

Supposons que ce Leibniz nous raconte ceci : Dieu a un entendement, bien sûr un entendement infini. Il ne ressemble pas au nôtre. Le mot "entendement" serait lui-même équivoque. Il n'aurait pas qu'un seul sens puisque l'entendement infini ce n'est absolument pas la même chose que notre entendement à nous qui est une entendement fini. Dans l'entendement infini qu'est-ce qui se passe ? Avant que Dieu ne crée le monde, il y a bien un entendement, mais il n'y a rien, il n'y a pas de monde. Non, dit Leibniz, mais il y a des possibles. Il y a des possibles dans l'entendement de Dieu, et tous ces possibles tendent à l'existence. Voilà que l'essence c'est, pour Leibniz, une tendance à l'existence, une possibilité qui tend à l'existence. Tous ces possibles pèsent d'après leur quantité de perfection. L'entendement de Dieu devient comme une espèce d'enveloppe où tous les possibles descendent et se heurtent. Tous veulent passer à l'existence. Mais Leibniz nous dit que ce n'est pas possible, tous ne peuvent pas passer à l'existence. Pourquoi ? Parce que chacun pour son compte pourrait passer à l'existence, mais eux tous ne forment pas des combinaisons compatibles. Il y a des incompatibilités du point de vue de l'existence. Tel possible ne peut pas être compossible avec tel autre compossible.

Voilà le deuxième stade : il est en train de créer une relation logique d'un type complètement nouveau : il n'y a pas seulement les possibilités, il y a aussi les problèmes de compossibilité.

Est-ce qu'un possible est compossible avec tel autre possible ?

Alors quel est l'ensemble de possibles qui passera à l'existence ? Seul passera à l'existence l'ensemble de possibles qui, pour son compte, aura la plus grande quantité de perfection. Les autres seront refoulés.

C'est la volonté de Dieu qui choisit le meilleur des mondes possibles. C'est une extraordinaire descente pour la création du monde, et, à la faveur de cette descente, Leibniz crée toutes sortes de concepts. On ne peut même pas dire de ces concepts qu'ils soient représentatifs puisqu'ils précèdent les choses à représenter. Et Leibniz lance sa célèbre métaphore : Dieu crée le monde comme on joue aux échecs, il s'agit de choisir la meilleure combinaison.

Et le calcul d'échecs va dominer la vision leibnizienne de l'entendement divin." (Deleuze)

Écrit par : Turc mécanique | 18/06/2007

Notons que si deux incompossibles ne peuvent qu’appartenir à deux mondes possibles différents, deux compossibles peuvent n’appartenir qu’à un même monde possible.

Répétons-le : Dieu, ici, est sans avocat.

Écrit par : Anaximandrake | 21/06/2007

Quelque chose peut modifier quelque chose, mais rien ne peut modifier rien (Rosset).

Écrit par : Lambert Saint-Paul | 23/07/2007

Attention : Ne pas critiquer la cosmologie devant les physicien. Leur enfant est protégé.

Rappelez vous ce que Feynman pensait de la philosophie...

PS: J'ai trouvé ce blog, et il est déjà dans mes favoris ;)

Écrit par : Ankuetas | 20/09/2007

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