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29/03/2005

Krisis

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Avant le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, Husserl, dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (la "Krisis"), s'oppose à la naturalisation des phénomènes spirituels. Son argumentation est classique et fort claire.

Selon lui, il appert que les sciences de l'esprit sont en quête de « scientificité ». Celles-ci cherchent, par un tropisme délétère, leur modèle dans les sciences de la nature. Ainsi, l'esprit est-il envisagé comme un phénomène naturel. Bien plus, ces scientifiques font dépendre l’esprit de la nature. Ils arguent que l’esprit a une base corporelle, trouve son fondement dans la « corporéité ». Selon eux, les faibles progrès des sciences de l’esprit, lorsqu’on les compare aux sciences « dures », s’expliquent uniquement par la complication des phénomènes physiques en jeu dans les phénomènes spirituels.

A l’évidence, une telle attitude pose un problème. En effet, les sciences de l’esprit ont ceci de particulier qu’elles ont pour visée la connaissance de l’esprit par l’esprit. Il serait donc absurde de vouloir connaître l’esprit en utilisant les méthodes des sciences de la nature. Ce serait ignorer que les sciences de la nature sont des productions humaines, des produits de l’esprit lui-même. Appliquer une méthode de type naturaliste à l’étude de l’esprit reviendrait à présupposer ce que l’on étudie. Ainsi, Husserl est-il conduit à formuler ce diagnostic : les sciences de la nature, en tombant dans l’objectivisme, dévient de leur sens authentique. Il ne s'agit pas de mettre en doute leur rectitude, la scientificité de leur méthode. Seulement, ces savants oublient leur propre subjectivité et veulent se placer en spectateurs. Inévitablement, ils se fourvoient dans le naturalisme psycho-physique.

Par ses succès techniques, les sciences propagent l’image d'un critère spécifique de vérité, et, par là même, s‘établit l’objectivisme. C’est pourquoi Husserl affirme : « Une science de fait donne une humanité de fait. » Oui, un universum de faits se propose comme la science totale de l’étant. C’est donc en ce sens qu’il y a « crise de l’humanité européenne ». Il se produit une rupture dans cette humanité, une sorte de divorce entre l’objectivité et la subjectivité. Le rapport authentique se renverse et les sciences prédominent sur ce qui relève en droit de la subjectivité. Ce qui est évidemment contradictoire. Mais, en outre, ce qu’Husserl nomme « les questions les plus hautes », c’est-à-dire les questions de l’existence, de son sens, et tout ce que subsument « les problèmes de la raison » sont évacués. Il est donc légitime de dire que « le positivisme décapite la philosophie ».

On peut aisément imaginer les conséquences pratiques dont la guerre fait partie. En effet, les Européens méconnaissent par là leur humanité commune et la parenté des nations s’efface au profit des nationalismes bornés. Où remontent les racines de cette crise ? Husserl suggère qu’elles germent au XVIIIème siècle, dès l’Aufklärung. C’est à cette époque en effet que le naturalisme naïf se développe. Cet éloge de la raison n’est condamnable pour Husserl qu’en raison de son excès. En effet, l’empirisme et le scepticisme qui finissent dans le psychologisme et méprisent la raison authentique n’ont pour lui de philosophique que le nom. Ce type de subjectivisme est tout aussi outrancier que l’objectivisme. Kant théorise cette tendance en érigeant ce qu’on pourrait appeler un « tribunal de la raison » qui sépare d’une part les connaissances que l’on peut avoir de façon certaine et le reste qui ne peut être que pensé. Son sujet transcendantal est un pur sujet de connaissance ; le positivisme ne fera que confirmer cette propension à l’objectivisme.

Aussi, Husserl cherche-t-il à justifier la tâche infinie de la raison guidée par son entéléchie en proposant une réunification de la philosophie. Il s'agit pour lui de réunir à nouveau objectivité et subjectivité. C'est ce qu'il se propose de faire avec la phénoménologie transcendantale. Or, une pure subjectivité est vide comme l’a montré Kant à propos de Descartes. A la suite de son maître Brentano, Husserl insiste donc sur le fait que « toute conscience est conscience de quelque chose » puis développe le concept d’intentionnalité. Il s’agit d’une corrélation entre le sujet et l’objet : à partir de l’ego transcendantal, s'effectue entre ces deux pôles un mouvement de va-et-vient.

Mais que s'ensuit-il ? Paradoxalement et comme l'a bien montré un Cavaillès notamment, le sujet donne son être total à l’objet.

 

 

 

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