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18/09/2005

Memento

« Quand l'image de la mort envahit une intelligence, elle suffit à l'occuper tout entière. Les efforts qu'on fait pour la rejeter ou à la retenir sont titaniques, car chacune de nos fibres épouvantée d'en avoir éprouvé le voisinage en garde la mémoire tandis que chaque molécule de notre corps la repousse, dans l'acte même de conserver et de produire la vie. La pensée de la mort est comme une qualité, une maladie de l'organisme. La volonté ne l'évoque pas plus qu'elle ne l'écarte. » (Svevo)

*

« Frappé par l'intuition soudaine
D'une liberté sans conséquence,
Je traverse les stations sereines,
Sans songer aux correspondances.
[...]
Il y aura la mort, tu le sais, mon amour.
Il y aura le malheur et les tout derniers jours. »

(Houellebecq)

*

« Qu’est-ce que le Christ a nié ? Tout ce qui aujourd’hui s’appelle chrétien. [...] Il n’y a jamais eu qu’un seul chrétien, et celui-là est mort sur la Croix. » (Nietzsche)
 
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L’identité, dans tous les cas, est mémoire. Mais laquelle ?

 

Les Egos ont une histoire, c’est-à-dire un enchaînement fixe de faits affectés d’un certain coefficient affectif reliés à un unique centre de perspective, ou du moins à centre de perspective de référence qui est celui de l’Ego lui-même. Cette mémoire est linéaire, chronologique et mono-orientée par essence. Tout autre est la mémoire intensive. Les souvenirs forment alors une sphère où la chronologie est un attribut secondaire. Ce qui prime est la quantité intensive attachée aux souvenirs purs. Ce n’est plus une mémoire de faits corrélés à un point de vue unique mais celle des événements eux-mêmes ; l’événement est vivant, présent dans la chair, à tout moment disponible pour sa ré-actualisation acentrée. L’Ego n’est apte, et encore sous une forme négative et inversée, à le percevoir que lors des rêves. Les individus-Egos (incarnant donc un centre de perspective) ayant pris part à un événement donné, par leur construction même, ne peuvent s’empêcher de lui donner un sens univoque dans l’histoire d’un même centre de perspective, reléguant tout autre dans un lieu arbitraire et dérivé. « Les calculs de Dieu ne tombent pas juste ».

 

Comment la singularité échappe-t-elle au pur et simple chaos ? Par un processus que l’on nomme « barycentrique » en mathématique. Les individus-Ego ont un centre de gravité fixe (qui est le lieu même de l’Ego) et qui impose sa force de déformation constante à l’intégralité du champ intensif psychique. Il s’agit d’un processus interprétatif qui opère un découpage de l’événement selon des règles dont la loi leur est inconsciente car interne à l’Ego lui-même. Quant à la singularité, son centre de gravité est par nature mouvant, relatif aux quantités intensives elles-mêmes : il est en perpétuelle évolution, ouvert à l’événement ; non pas substance mais processus. L’ « identité » est en variation continue puisque le passé lui-même (qui perd donc sa dimension temporelle de passé et prend chaque fois un sens nouveau comme étoffe du présent et de l’avenir) est sollicité par résonance d’une manière toujours différente. C’est à une matière en fusion qu’il est dès lors possible de comparer l’identité singulière. Ses scories sont des œuvres, des créations nécessaires pour exister ; l’identité comme style.

 

S'il convient d’être apte à « mimer les strates », il s’agit aussi de parvenir à l’auto-référentialité, c’est-à-dire de constituer un « moi-histoire » relatif aux intensités ayant affecté ce qu’on peut appeler le « point de vue matériel » : l’histoire du corps en quelque sorte, qui est la seule chronologie vraiment importante. Oui, comme le dit Baudelaire, « le palimpseste de la mémoire est indestructible ».

 

 

 

Commentaires

C'est dans cet abritraire que réside la conséquence physique d'un salut : L'encodage de l'individu par lui même dans sa chaîne ADN. C'est peut être cela le réel exercice (la conséquence) de la foi.


« Les calculs de Dieu ne tombent pas juste » ; Je n'y avais jamais pensé.
Pour que le libre arbitre soit réel, il n'a pu que S'obliger à des boucles de distorsions pour S'éviter de prévoir la Chute ?

Écrit par : Lambert Saint-Paul | 18/09/2005

...."A sa place, je ne chercherai pas à analyser ce sentiment de légéreté. Il était peut-être tout à coup invincible. Mort-immortel. Peut-être l'extase. Plutôt le sentiment de compassion pour l'humanité souffrante, le bonheur de n'être pas immortel ni éternel .Désormais il fut lié à la mort , par une amitié subreptice .".[.....] " Qu'importe . Seul demeure le sentiment de légéreté qui est la mort même ou, pour le dire plus précisément, l'instant de ma mort désormais toujours en instance"
(Blanchot : l'instant de ma mort)

Écrit par : Simone | 18/09/2005

J'irais jusqu'à dire, si cher, les calculs, qui ne sont pas ceux de la sonorité "dieu", s'obstinent à ne pas tomber juste. S'obstinent à rester dans l'indéfini. J'irais jusqu'à dire que l'art de Pi est notre libre arbitre. Un "toujours en devenir". Toujours en construction-déconstruction. La vie, quoi. Que vais-je écrire après ce point ? Je le sais sans vraiment le savoir. Qui plus est, il est d'interrogation. Dois-je répondre ? Ou dois-je écrire. En écrivant, je réponds. Et après celui-ci ? Après celui ci, je te laisse deviner. Ou peut-être puis-je changer de lieu et porter la suite de mon discours sur un autre territoire. Lequel ? Peut-être SERAS-tu le seul à le savoir. Mais pas ici et maintenant. Enfin... tu le SAIS sans vraiment le savoir. Comme tu sais ce qui se passe après ce point ci. Sans le savoir exactement. Mais il y a intuition. Une myopie sélective. Après ce point ? Une interrogation. ... . ... . ... . ... . Une chose est sûre, existent les points.

Écrit par : Marie-Cécile | 18/09/2005

L'auto-encodage, sentiment de légèreté, Pi... On peut parler de foi, de liberté, à condition qu'elle ne soit pas liberté d'indifférence mais liberté entendue au sens de nécessité inempêchée. On pourrait, ce me semble, subsumer cela sous le concept d'immanence.

Écrit par : Anaximandrake | 19/09/2005

"Tout autre est la mémoire intensive. Les souvenirs forment alors une sphère où la chronologie est un attribut secondaire. Ce qui prime est la quantité intensive attachée aux souvenirs purs. Ce n’est plus une mémoire de faits corrélés à un point de vue unique mais celle des événements eux-mêmes ; l’événement est vivant, présent dans la chair, à tout moment disponible pour sa ré-actualisation acentrée."

Isn't it pure Marcel Proust?

To you.

Écrit par : PlatyPus | 20/09/2005

A quoi nous serviraient encore nos petites madeleines, quand nous parcourons, au galop reconduit de nos amours, les prairies verdoyantes , éclairées , sans clôtures de nos mémoires ?

Écrit par : Simone | 20/09/2005

"Car notre vie est l'alphabet dans lequel nous apprenons à lire et où les phrases peuvent bien être n'importe lesquelles puisqu'elles sont toujours composées des mêmes lettres." (Proust)
Bien à vous, OO.

"A quoi nous serviraient encore nos petites madeleines" ?
A rien, quand le temps est retrouvé.
L'événement est mémoire en tant qu'il est éternel. Car ce qui survient, c'est le souvenir. Pour un existant, l'essence, c'est-à-dire ce qui est éternel, se manifeste par le souvenir. C'est le concevoir ainsi qui arrache l'événement à mono-orientation chronologique. Dans l'événement, le passé et l'avenir sont contemporains, coalescents. De même, nous ne sommes pas l'événement même s'il est dans notre chair et que nous participons de son essence. Oui, c'est l'événement qui s'incarne. La chronologie n'est que le point de vue du moi, donc celui de la méconnaissance de soi. Cependant, c'est la connaissance des strates chronologiques du corps (qui opère comme filtre) qui permet d'accéder à l'événement en s'affranchissant des détermismes et répétitions inconscients.

Écrit par : Anaximandrake | 21/09/2005

La mémoire est création , pas à pas mesurée et pesée , montée vers l'éternel retour . Le temps sur cet axe là n'est jamais perdu .

Écrit par : simone | 22/09/2005

Pas d'axe. Le retour est non celui du même mais du différent. "Time is out of joint." (Shakespeare)

Écrit par : Anaximandrake | 22/09/2005

Qui n'a fait l'expérience ne peut la penser . Qui la pense la tait . Une chose pourtant: il y a bien un axe , et il est inflexible .

Écrit par : Simone | 22/09/2005

Non, le retour serait celui du même, un relatif serait pris pour un absolu. Servitude silencieuse et culte de la mort. Or, l'éternel retour du différent est sélectif. Donc, le nihilisme s'exclut de l'éternel retour.

Écrit par : Anaximandrake | 23/09/2005

Il n'y a pas plus sélectif que le devoir de retour du même . La pensée et la vie se retournent alors comme d'elles mêmes sur cet axe qui s'impose , en affirmation solaire . Le devoir de retour du même précède son éternel retour comme la parole poétique précède la philosophique , come le silence de l'expérience précède son dire . Bien sûr que l'éternel retour s'exclut du nihilisme , puisqu'il est puissance d'affirmation de la mort même où nous mênent les forces nihilistes .

Écrit par : Simone | 23/09/2005

"Devoir de retour du même" ?
Le même en tant que filtre écrêtant les hautes intensités pour faire expier la différence. Nihilisme et insipide chant de la castration.
Le reste s'ensuit comme mirage de la conscience égocentrée et comme méconnaissance du transcendantal. Cette illusion prive de la réelle parole poétique qui est parole d'amour.

Écrit par : Anaximandrake | 23/09/2005

Amen !

Écrit par : Simone | 23/09/2005

Nul n'est besoin d'accepter une parole quelconque. Ni d'obéir à quelque "inflexible" férule. Mais de vivre. Car la mort n'est rien pour nous. L'affirmer comme instance centrale c'est évidemment être nihiliste.
"Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels."

Écrit par : Anaximandrake | 23/09/2005

Qu'ils aient des couilles dans l'instance de la mort , c'est de cela qu'inconsciemment est prié l'homme par les femmes que j'entends . C'est de cette légéreté là que Blanchot avoua finalement (l'instant de ma mort) l'expérience , la déroulant dans une oeuvre d'une infinie douceur , où jamais je n'entends , et pour cause, la musique du ressentiment .

Écrit par : Simone | 23/09/2005

Blanchot, pour sa part, est un créateur. Il fait de l'idée de la mort une intensité vitale. Quant à l'éthique, compter la mort pour rien, c'est la traiter adéquatement.

Écrit par : Anaximandrake | 23/09/2005

"Lorsque Zarathoustra eut parlé ainsi, quelqu'un de la foule s'écria : "Nous avons assez entendu parler du danseur de corde ; faites-nous-le donc voir maintenant !" Et tout le peuple rit de Zarathoustra. Mais le danseur de corde, qui croyait que l'on avait parlé de lui, se mit à l'ouvrage." (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

Écrit par : Amanda | 23/09/2005

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