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17/01/2005

T.U.O.T. / T.O.U.T.

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Avant la commémoration de demain, voici une citation de Jean-François Mattéi extraite de l’Etranger et le simulacre (pp. 300-301, P.U.F, coll. Epiméthée, 1983) :


Il faut cependant se garder des pièges du miroir. Borges nous incite à la prudence dans sa nouvelle Tlön Uqbar Orbis Tertius, qui unit de manière indissoluble l’éléatisme du miroir de la Connaissance et le redoublement sophistique de l’Encyclopédie. Que proclame en effet l’hérésiarque d’Uqbar, dont l’existence de simulacre est révélée par les quatre pages additionnelles et fallacieuses de l’Anglo-American Cyclopoedia, tome XLVI ? « Les miroirs et la paternité sont abominables (mirrors and fatherhood are abominable) parce qu’ils (…) multiplient (l’univers) et le divulguent » (Fictions, p.36) A refuser la paternité, les êtres des miroirs n’hésitent pas à faire proliférer les filiations douteuses pour envahir l’autre côté et occuper la place des modèles. L’être pourtant se tait, aussi indifférent à leurs désirs ombreux que Socrate face à son double. Platon fait tenir sa défense à l’Autre, miroir lisse et translucide de la différence, si translucide d’ailleurs que l’on en vient à oublier son existence pour se pencher uniquement sur les reflets qu’il anime. Les simulacres d’Uqbar rêvent ainsi le monde illusoire de Tlön, où toutes choses se redoublent, mais que l’on ne peut appréhender qu’à travers la révision en langue anglaise d’Orbis Tertius qui répète les quarante volumes de la première Encyclopédie de Tlön. Les labyrinthes éléatiques de Tlön se redoublent alors à l’infini dans l’écriture d’Orbis Tertius qui ne tarde pas à désintégrer le monde réel, avec l’irrésistible envahissement de proliférations symétriques. Si Borges a judicieusement rapproché les miroirs et la paternité de Tlön, les simulations d’Uqbar et le redoublement encyclopédique d’Orbis Tertius, c’est sans doute pour laisser deviner comment l’absurde identification du Même multiplie, et jamais ne divulgue, la duplicité aveugle des fantasmes dans le renversement du T.O.U.T.

Il ne sert à rien de briser le miroir : cela ne peut qu’accroître encore la prolifération des simulacres qui guettent le modèle d’un abominable sourire brisé. Afin de dissiper à jamais les illusions du Même, Socrate laisse le miroir prendre la parole : seul l’Autre saura dire ce qu’il en est de l’être. Mais à l’être lui-même, toujours présent en son retrait, il n’est pas donné de parler.

Tout le reste, le Philosophe l’atteste, est silence.

 

 

 

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