12/03/2006
Nash's spectrum (L.A. memories)
*
« Here are the young men, the weight on their shoulders,
Here are the young men, well where have they been? » (Curtis)
Avant d'errer longuement à l'IAS de Princeton, et à l'instar de Gödel, totalement schizoïde, le mathématicien John Nash fut quelques temps, à Santa Monica, employé par la RAND Corporation.
Dans une gargote latino de Hollywood boulevard ou dans un bar d'hôtel à Beverly Hills, ses amis et lui, un verre de Mezcal ou de Téquila à la main, la gorge brûlante d'alcool et de sel, se moquaient-il de cet acronyme qui les enrichissait tous, parallèlement à Caltech, en s'amusant à le caricaturer en Research And No Development ? Le soir, quand le soleil se couchait sur le Pacifique, flânait-il à Venice après avoir dîné avec sa compagne dans un seafood de la Marina del Rey ? Remontaient-ils, rieurs, Hermosa Beach en courant vers Malibu ? Un après-midi, avaient-ils vu un Masaï longer Santa Monica Beach vers le Nord ? Le week-end, fuyant rollers et culturistes, faisaient-ils halte dans ces cafés à l'atmosphère si particulière, pleins de livres cornés et où l'on trouvait ces antiques ouvrages de Spencer ? Il est en revanche certain qu'il n'y subtilisa pas d'introuvables et ignorées éditions de Dick. Etait-il familier du vert labyrinthe de Pasadena, de ces étendues de pelouses ceintes de hauts grillages où des jeunes femmes s'épuisaient au softball, ainsi que de ces étranges bâtiments municipaux hispanisants ? Alors que, tard le soir, il regagnait Santa Monica, fatigué par des heures fébriles à aligner des équations sur le tableau noir en compagnie d'un collaborateur pakistanais et diabétique, avait-il observé, l'oeil vide et l'esprit aux aguets, tout en conduisant sur cette freeway qui l'éloignait des collines de Pasadena, Downtown en contrebas qui devenait interlope ? Roulant sans hâte, imaginait-il, alors que les tours étaient déjà derrière lui, la vie et le monde parallèles de ceux qu'il ne croiserait jamais, ceux des dealers et des prostituées originaires des quartiers « ethniques » qui, la nuit tombée, entre les hôtels internationaux, y accomplissaient leur ballet réglé ? Ou bien, déjà tout proche de la fuite, avait-il contemplé, la nuit, au volant, sa jeunesse qui filait sur Wilshire ? Puis, avec des étudiantes délurées de UCLA, à peine plus jeunes que lui, avait-il fait halte dans ces motels de Sunset où le câble ne diffusait que des pornos, et qui plus est, exclusivement ceux tournés dans la vallée de San Fernando ?
Probablement pas.
Et d'ailleurs, Nash ne reçut pas un peu plus tard, sain d'esprit et outre-Atlantique, de retour en Europe, ces vers d'Ovide :
« Ce que tu lis, Thésée, je te l'envoie de ce rivage, d'où, sans moi, tes voiles emportèrent ton navire, où je fus indignement trahie et par mon funeste sommeil et par toi, qui tendis un piège à mon sommeil. »
15:00 | Lien permanent | Commentaires (16)
Commentaires
Comme tout cela est étrange...
Écrit par : Ariane | 12/03/2006
http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/Lettres/latin/forum/thesee/Sothea_thesee/sothea_ariane_thesee.htm
...et triste, oui. Mais la folie, puisque sans possibilité de retour d'aucune sorte, ne l'est-elle pas davantage ?
Écrit par : Anaximandrake | 12/03/2006
J'ai pris froid à la lecture de votre texte...
Écrit par : raskolnikov | 12/03/2006
Comme les départs, les retours sont eux aussi tristes.
Écrit par : Kate | 13/03/2006
Ils ne le sont jamais vraiment s'il s'agit, non de nihilistes, mais d'êtres libres.
"Il y a toujours des tristesses et la question ce n'est pas de savoir s'il y en a ou s'il n'y en a pas, la question c'est la valeur que vous leur donnez, c'est à dire la complaisance que vous leur accordez." (Deleuze)
Écrit par : Anaximandrake | 13/03/2006
"s'il s'agit d'être libres"... sommes-nous vraiment libres? La liberté est une fiction.
Écrit par : Kate | 13/03/2006
Oui ils sont libres ceux qui s'exposent au retour, sélectif de joies et de tristesses, comme au soleil les fruits qui veulent mûrir .
Écrit par : Simone | 13/03/2006
Très juste, IL Y A des tristesses, c'est un fait avec lequel compter et la force est d'en tirer jubilation et non complaisance, ni déni. Tout peut être source de joie, à la condition expresse d'accepter que tout est tel qu'il est et non transfigurable au profit d'une joie illusoire. La véritable joie est indifférente à ce qui la suscite.
Écrit par : nicolas | 13/03/2006
La véritable joie pousse à la recherche de ce qui la suscite , "car elle veut la profonde, profonde, éternité" .
Écrit par : simone | 14/03/2006
... à la recherche de ce qui la suscite, c'est-à-dire de ce qui m'insupporte comme de ce qui me réjouit a priori, c'est-à-dire indifférente au contenu... Vouloir quoi que ce soit comme source de joie...
Écrit par : nicolas | 14/03/2006
difficile retour vers la réalité pour celui ou celle qui a goûté à l'ivresse de la découverte mathématique,
La descente est dure pour celui ou celle qui côtoyé de près certains êtres mathélmatiques dont les relations sont tissés par des liens logiques solides et complexes.
On est vite déçu par la simplicité et la futilité des liens entre les évènements et les êtres en chair et en os après avoir passé des jours et des nuits dans l'univers complexe et fascinant des mathémlatiques.
L'expérience de la découverte mathématique et du même ordre que l'extase mystique. Que valent les joies terrestres pour qui a connu l'enivrement et l'extase de la découverte mathématique...
Écrit par : kalima | 14/03/2006
L'extase de l'immanence est intransmissible .
Pourtant
"Il ne s'en ira pas ...Il ne redescendra pas d'un ciel...car c'est fait , lui étant, et étant aimé ("génie ": Rimbaud )
Écrit par : Simone | 14/03/2006
Bobo de l'ére ? : http://www.perte-de-temps.com/lhorloge.htm
Écrit par : Danielle | 14/03/2006
Toute cette "joie", écrite dans ces commentaires, ça me fout le cafard!
Écrit par : Kate | 14/03/2006
It's in the trees
It's coming!! ...
Écrit par : Hounds of love | 14/03/2006
Les cafards, toutefois, foutent et jouissent auusi !
Écrit par : Joy | 14/03/2006
Les commentaires sont fermés.