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17/01/2007

La Militarisation de la Paix (3)

par Reza Negarestani



Selon Faraj, les nouveaux points de doctrine de la Taqiyya armée peuvent être énumérés comme suit :

(i) La Taqiyya en tant que dissolution de soi-même et de l’autre.

La Taqiyya devient une politique destinée à sortir la guerre du champ de bataille (il est dit dans son livre extrémiste Jihad que la guerre doit se dérouler partout, excepté sur le champ de bataille ; cette guerre est externe au champ de bataille conventionnel. « La guerre n’est pas un théâtre, infidèles ! » crie Faraj). Ainsi s’agit-il d’introduire les entités jihadistes parmi les civils et toutes les autres entités politiques, économiques et culturelles, qui, à première vue, pourraient apparaître non pertinentes, en se mêlant à la foule, loin des lignes de front. « Vers l’omniprésence réelle de la guerre qui efface progressivement la platitude du champ de bataille », la doctrine de Terreur se transforme volontairement en un mouvement sinistre de totale auto-dissolution. L’usage de la Taqiyya comme politique (para)offensive n’est toutefois pas une invention de Faraj, du culte Takfiri, ni même des extrémistes Wahhabites. On pourrait retrouver sa trace jusqu’à chez Hassan i-Sabah, mais ce n’est pas son invention non plus (bien qu’il l’ait améliorée et militarisée de manière stricte). En fait, on peut faire crédit de la Taqiyya considérée comme une politique (para)offensive destinée à se mêler à la foule (par opposition à la Taqiyya en tant qu’outil de dissimulation pour éviter le danger, ainsi qu’on l’entendait aux débuts de l’Islam) à Abdullah ibn Maimun ou Maymun (et son culte Batiniyya, l’une des sociétés islamiques hérétiques et souterraines, ainsi que les mouvements subversifs qu’il a fondés et qui sont devenus plus tard les sectes Isma’ilie dirigées par Hassan i-Sabah). Maimun est cet occultiste persan, saboteur politique et conspirateur qui a sapé le règne des califes en Egypte (d’où le culte Takfiri est originaire, avec ses figures influentes telles que Qutb, Mustafa, etc.) et préparé la région pour ses ambigus et mystérieux alliés, Al Fatemids (Fatemion) qui devinrent plus tard les ennemis les plus enthousiastes des califes et de leurs modes conventionnels de militarisme. Faraj, qui suit de très près la politique d’Ibn Maymun, suggère que la Taqiyya ne devrait pas être simplement une tromperie, une tactique cachée ; elle devrait consister en la recherche du plus haut degré de mimétisme avec les infidèles et leur civils : « s’ils se droguent nous devons nous droguer aussi, s’ils se livrent à tous les types d’activités sexuelles, nous devons mener ces activités à l’excès », etc. L’extrémiste jihadiste doit se confondre avec les « infidèles les plus infâmes ».


(ii) La Taqiyya en tant que militarisation (para)offensive des civils.

En référence à la politique de Faraj, qui considère la Taqiyya comme un élément inséparable du Jihad, l’expert anti-terroriste français et président de l’observatoire international du terrorisme basé à Paris, Roland Jacquard, montre brillamment qu’un Takfiri guidé par la Taqiyya est lui-même une bombe prête à l’emploi, qu’il passe ou non à l’action (il a une mission). Lorsqu’un Takfiri se confond avec les civils ordinaires – ne dissimulant plus mais se comportant comme un vrai civil infidèle dans chacun des aspects de sa vie publique et privée – alors l’arme commence, de façon autonome, à être activée par l’autre camp ; le gouvernement (d’un pays étranger non islamique, par exemple) commence à filtrer, purger et pourchasser ses propres civils, en réduisant ses droits, en les confinant dans une quarantaine économique, sociale, et politique afin d’isoler ou même d’éradiquer la maladie et, en même temps, ses hôtes potentiels. Chaque individu est potentiellement une cellule ou une niche Takfiri, un site d’infestation, une cible militaire primaire. Ainsi, la phase la plus offensive et active de la vie d’un Takfiri n’est pas celle où il (ou elle) est engagé dans une mission à haut profil, comme celle du 11 septembre, mais plutôt lorsqu’il (ou elle) devient un simple civil, totalement désarmé et dissocié de toute ligne de commandement. Un Takfiri se confond avec chacun et, en conséquence, chacun se confond avec lui ; lorsque l’on en vient à chasser un Takfiri, on en vient inéluctablement à exterminer des entités non-militaires, bien loin des champs de bataille, au cœur de ses propres terres.


(iii) La Taqiyya est un déclencheur de la Guerre Blanche.

La Taqiyya déséquilibre l’intégralité de la dynamique conventionnelle entre machines de guerre, une dynamique qui les voit s’affronter, se pourchasser, et se consumer l’une l’autre. Ce processus de mise en déséquilibre ne sert pas à déplacer la bataille le long d’un axe ''victoire-défaite'' mais seulement à déséquilibrer les liens de communication entre deux modalités tactiques : des lignes militaires actives à un pôle et des lignes virales latentes non-tactiques à l’autre. Le Takfiri met en sommeil tout son potentiel militaire, "meurt" tactiquement (en n’étant même plus camouflé), et ressuscite plus tard en sa vraie forme. Les machines de guerre Takfiri du Jihad extrémiste opèrent sur des lignes tactiques transitoires et divergentes. En conséquence, on ne peut ni les rejoindre ni communiquer avec elles ; la communication étant la condition sine qua non pour l’affrontement entre des machines de guerre, celui des conflits militaires basés sur l’entropie, des mécanismes considérés par Deleuze et Guattari comme les processus qui créent, en tant que tels, la machinerie et l’espace de la guerre.


(iv) La Taqiyya en tant qu’outil de désertification.

En donnant au Jihad fétichisé une machinerie épidémique omniprésente, la Taqiyya permet à Faraj d’ouvrir une nouvelle ère dans l’imaginaire des mécanismes d’extinction, de sabotage et d’éradication relatifs aux aspects pyromanes de l’hérésie et de la théo-tyrannie dangereusement romantique. Faraj met en avant le fait que "leur" (il nomme rarement ses soi-disant ennemis : les USA) machine de guerre militaire repose surtout sur « le principe de mort massive » (1), ou bien, ainsi qu’ils le disent, "la mort venant d’en haut" (destruction massive, drones tueurs, avions high-tech, bombes intelligentes, "Choquer pour se faire respecter", "Mère de toutes les bombes", missiles invisibles venant de nulle part). C'est pourquoi Faraj présente une alternative Takfiri à cette machinerie et propose une nouvelle doctrine d’hypercamouflage qu’il appelle « mécanisme de dieback » (2), terme emprunté à la botanique et à l’agriculture. Ce qu’il définit comme "dieback" peut s’appliquer à une « civilisation aussi bien qu’à un arbre ou toute collectivité de type arborescent ». Afin de mener un arbre à sa destruction, un terroriste Takfiri n’interfère jamais avec les racines ni n’essaie de déraciner l’arbre entier, une action qui n’arracherait que les racines principales, laissant ainsi les radicelles et diverses autres parties des racines dans le sol, substrat qui pourrait donner naissance à d’autres arbres. Le terroriste ou extrémiste jihadiste lance une maladie dieback contre l’arbre ; pour être précis, il commence par détruire les feuilles les plus petites et vivaces qui poussent au sommet de l’arbre et de ses branchettes, puis continue son travail vers le reste des feuilles, sans endommager le tronc ni les racines. En détruisant les feuilles du sommet vers la base et en suivant les branchettes, l’arbre s’affaiblira peu à peu : coupé de tout contact et déprimé, il finira par être incapacité et commencera à (sur)réagir d’une manière autophagique et allergique à l’isolement artificiel provoqué par la maladie dieback. La Taqiyya fournit aux Takfiris l’opportunité idéale pour utiliser cette machinerie dieback ; en partant des feuilles (les civils ou ce qu’il nomme ‘’entités superflues ‘’) et des branchettes (petites organisations, etc.), pour finalement détruire tout l’arbre sans avoir jamais lancé aucune attaque directe contre ses principaux organes.




(1) Les questions d’escalade et de diffusion du conflit dans l’espace et le temps sont d’une grande importance à la fois pour les campagnes militaires occidentales et pour les actions terroristes des jihadistes. Tandis que le Jihadisme utilise la diffusion pour ses conflits hors champ de bataille (à travers la contamination pétro-politique des systèmes politico-économiques mondiaux, son utilisation sans tabou de la Taqiyya armée, sa préférence donnée à la stratégie plutôt qu’à la tactique ainsi qu’à la communication de type contagieux plutôt qu’à la transgression), le techno-capitalisme occidental maintient une position d’escalade sur le champ de bataille, position connectée au corps propulsif du techno-capitalisme, sa précision tactique et sa suprématie. Cependant, tous deux partagent une tendance commune au conflit, transformant les agents humains en champs de bataille moléculaires et machines de guerre. Pour le Jihadisme, cette molécularisation des guerriers prend une forme dispersive et épidémique, notamment avec la Taqiyya (para)offensive. Pour le camp occidental, elle se manifeste par une renomadisation (au sens deleuzo-guattarien de machines de guerre nomades) de l’armée d’Etat ainsi que par la miniaturisation de l’armée entière et de ses divers matériels sur le corps de chaque soldat.


(2) Une maladie des plantes qui se caractérise par la mort graduelle des jeunes pousses et qui progresse vers les plus grandes branches.



        (A SUIVRE)




Commentaires

La mécanisme du dieback qui s'attaque aux feuilles puis aux branches de l'arbre et parvient à le tuer sans pourtant avoir touché ses racines est-il possible dans le contexte d'une démocratie sécularisée? Car, pour filer la métaphore botanique, l'arbre ayant poussé dans un tel contexte contient nécessairement des mécanismes de défense contre les attaques bactériologiques extérieures qui tentent d'atteindre son intégrité...

Écrit par : Cédric | 20/03/2007

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