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01/02/2005

Combien de temps ?

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C'est sans relâche et conformément à sa doctrine selon laquelle un philosophe n'a au fond qu'une unique intuition fondamentale que Bergson aura tenté de défendre la durée. En particulier, selon lui, la science se fait du temps une conception erronée. Par un tropisme de l'intelligence, la pensée scientifique opère sa spatialisation et le rend ainsi homogène à l'étendue déqualifée, géométrique et donc en dernière instance cartésienne.

La théorie einsteinienne de la relativité constitue bien entendu pour Bergson le parangon de cette méconnaissance. Elle achève de mélanger et de confondre temps et espace. En effet, la science pré-relativiste assimilait certes ces deux notions ; mais si le temps était bien une quatrième dimension de l'espace, il n'en était pas moins séparé par une distinctio realis, c'est-à-dire qu'il restait une variable indépendante. Avec la relativité, tout change, et le « mixte mal analysé » de temps et d'espace s'introduit cette fois explicitement dans les calculs pour exprimer l'invariance de la distance.

Où réside ici le différend entre le philosophe et le scientifique ?

Einstein considère deux systèmes S et S' "en état de déplacement réciproque et uniforme" et dans lesquels le temps est différent. Bergson demande simplement : qu'est-ce que deux temps qui diffèrent ? Qualitativement, ils sont identiques puisque un changement de référentiel permet de les permuter. Y aurait-il donc un deuxième temps qui n'est ni celui de S ni celui de S' ? On pourrait arguer qu'il s'agirait là du temps vécu de S' tel qu'un observateur situé en S le conçoit.

Non.

« Sans doute Pierre [en S] colle sur ce Temps une étiquette au nom de Paul [en S'] ; mais s'il se représentait Paul conscient, vivant sa propre durée et la mesurant, par là même il verrait Paul prendre son propre système pour système de référence, et se placer alors dans ce Temps unique, intérieur à chaque système, dont nous venons de parler : par là même aussi, d'ailleurs, Pierre ferait provisoirement abandon de son système de référence, et par conséquent de son existence comme physicien, et par conséquent aussi de sa conscience ; Pierre ne se verrait plus lui-même que comme une vision de Paul. Mais quand Pierre attribue au système de Paul un Temps ralenti, il n'envisage plus dans Paul un physicien, ni même un être conscient, ni même un être : il vide de son intérieur conscient et vivant l'image visuelle de Paul, ne retenant du personnage que son enveloppe extérieure (elle seule en effet intéresse la physique) [...] » Bergson, Durée et simultanéité, PUF, coll. "Quadrige", p.74.

Une abstraction, une fiction ou un symbole sont subrepticement mis en lieu et place d'une réalité vivable et vécue. Cette science est atteinte d'un idéalisme en phase terminale qui a pour nom solipsisme. Le physicien, drapé dans une marmoréenne objectivité, s'avère en réalité « un observateur fantasmatique ».

« Mais les autres hommes ne seront plus que référés ; ils ne pourront maintenant être, pour le physicien, que des marionnettes vides. Que si Pierre leur concédait une âme, il perdrait aussitôt la sienne ; de référés ils seraient devenus référants ; ils seraient physiciens, et Pierre aurait à se faire marionnettes à son tour. [...] La pluralité des Temps se dessine au moment précis où il n'y a plus qu'un seul homme ou un seul groupe à vivre du temps. Ce Temps-là devient alors seul réel : c'est le Temps réel [...], mais accaparé par l'homme ou le groupe qui s'est érigé en physicien. Tous les autres hommes, devenus fantoches à partir de ce moment, évoluent désormais dans des Temps que le physicien se représente et qui ne sauraient plus être du Temps réel, n'étant pas vécus et ne pouvant pas l'être. Imaginaires, on en imaginera naturellement autant qu'on voudra. » Ibid. pp. 83-84.

La relativité, on le voit, édicte un singulier absolu.

Confondant les mots et les choses, le symbolique et le réel, la technique et la pensée, le psittacisme universitaire n'en continue pas moins sa litanie : Bergson n'a rien compris à Einstein puisque la relativité fonctionne. Mais savoir lire philosophiquement, peut-être est-ce trop demander. Cela requiert en effet un peu plus que de la logique.

 

 

 

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