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12/11/2005

Asinus in tegulis

Malgré l'évidence objective du propos, il est rare - et pour tout dire plaisant - de lire - et d'autant plus dans la presse - une analyse sur Deleuze qui échappe à la doxa universitaire.

 

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Voici donc l'article de David Lapoujade, maître de conférences à Paris 1, qui fut publié la semaine dernière dans le Monde des livres.


« Ce qui intéresse par-dessus tout Deleuze, c'est la logique, produire des logiques. S'il y a un trait qui le distingue de Foucault, Sartre ou Bergson, c'est cette passion pour la logique. Tous ses livres sont des "Logiques". Son premier livre sur Hume aurait pu s'appeler "Logique de l'expérience" ou "Logique de l'empirisme" ; son livre sur Proust aurait pu s'appeler "Logique des signes". Ce qu'il cherche chez un auteur comme Proust, ce n'est pas la structure narrative de l'oeuvre ou sa profondeur d'analyse, mais la logique qu'elle enveloppe comme dans une chrysalide. Pour chaque auteur, chaque domaine, la question reste la même : comment ça marche ? ou plutôt : quelle est la logique ? Lorsque, plus tard, avec Guattari, ils critiquent la psychanalyse, c'est encore au nom de la logique. Oedipe, c'est d'abord un paralogisme, une faute contre la logique du désir. L'extrême importance de Guattari, c'est précisément d'avoir vu que le couplage de l'inconscient et du capitalisme répond à une logique autre que celle de Freud et du marxisme orthodoxe. L'Anti-Oedipe aurait pu s'appeler "Logique du désir" comme, plus tard, Mille plateaux aurait pu s'appeler "Logique des multiplicités".

Mais logique ne veut pas dire rationnel. On dirait même que, pour Deleuze, plus c'est irrationnel, plus c'est logique. C'est comme les personnages de Dostoïevski : ils ne peuvent avancer aucune raison mais obéissent à une logique impérieuse. Comme l'a montré Zourabichvili, irrationnel n'est pas chez Deleuze synonyme d'illogique, au contraire. C'est pourquoi, du début à la fin, les seules logiques qui l'intéressent sont celles qui échappent à toute raison, logique du masochisme, logique de Lewis Carroll, logique des processus schizophréniques et de la production capitaliste, ou encore logique de certains philosophes qui, sous couvert de raison, ont inventé des logiques fort peu rationnelles (Hume, Bergson, Spinoza ou même Leibniz). Cela constituerait un deuxième trait distinctif : une profonde perversion au coeur même de la philosophie.

En logicien impitoyable, Deleuze est donc indifférent à la description des vécus (des plus originaires aux plus ordinaires). A ses yeux, les philosophies de l'originaire et de l'ordinaire sont encore trop tendres, trop sentimentales. Seule compte la logique, mais parce qu'elle a une manière de se confondre, par-delà les vécus, avec les puissances mêmes de la vie. D'où un vitalisme rigoureux qui traverse toute son oeuvre. ce n'est pas la vie qui insuffle à la logique un vent d'irrationalité, qui, sinon, lui fait défaut ; c'est plutôt que les puissances de vie créent sans cesse des logiques qui nous soumettent à leur irrationalité. » (Lapoujade, Logiques de vie)

 

 

 

Commentaires

Intéressant article

Faut-il voir le platonisme en oeuvre chez Deleuze, non pas un platonisme des Idées prééxistantes mais des empiricités formellement constituées ?

Même démarche qu'Ibn Arabî dans la sagesse des prophètes. Deleuze extrait la pierre logique du chaton (gangue) empirique pour y voir les reflets réciproques. Mais là aussi, ces reflets sont le résultats de manifestations qui ne sont pas l'oeuvre de Dieu mais le Procès du monde.

Écrit par : Fulcanelli | 12/11/2005

Rock the boat ?

Écrit par : anubis-repetita | 13/11/2005

L'article du Monde des livres m'avait frappé. Merci de l'avoir repris ici. Badiou, lui, veut nous faire croire que Deleuze "haïssait la logique", comme il l'écrit dans le prolongement de ce que vous citiez naguère, sur les synthèses disjonctives. J'y retourne de ce pas...

Écrit par : Béotien | 14/11/2005

Il ne faut pas non plus exagérer le terme de logique; il s'agit d'un logos, d'une mise en forme discursive de l'expérience qui ne passe pas par le système de validation de la logique. D'où le dédain certain - et pour moi problématique - de Deleuze pour les questions épistémologiques. Son ontologie des singularités fluides et désubstantialisées ne pose jamais la question du statut même de la vérité de ces descriptions, de sorte que j'ai souvent le sentiment d'avoir affaire à une poétique du monde dont la teneur de vérité me paraît extrêmement faible (de quel droit Deleuze affirme-t-il ce qu'il avance? Où sont les arguments qui permettent une évaluation des propositions? On a l'impression que l'on est obligé de prendre tout en bloc, comme une vision du monde homogène et sans faille. Mais comme on a relégué dans les oubliettes de l'histoire toute théorie de la connaissance, les ontologies non critiques prolifèrent. A quand un Kant de l'époque post-moderne qui ramène l'expérience dans les limites du connaissable, car Mille Plateaux n'a rien à envier aux métaphysiques précritiques comme celles de l'école d'Oxford du XVII (Cudworth par exemple).
Un lecteur intrigué

Écrit par : erin | 14/11/2005

Progéniture de philosophe :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-710389,0.html

Écrit par : sk†ns | 16/11/2005

'Ibn Arabî ? Intéressant ; il faudrait approfondir. Quant à l'éventuel platonisme de Deleuze, le 'platonisme des rencontres' invoqué par Béotien me semble fort juste ; il est clair que la méthode de dramatisation en philosophie a les faveurs de Deleuze. Pour ma part, j'avancerai à ce propos un 'platonisme du cri'. J'y reviendrai.

Lapoujade parle de 'logique' non de logique symbolique ou mathématique. Quant au viatique épistémologique de Deleuze, il est, sans conteste, spinoziste.
Connaissez-vous l'opuscule de Deleuze sur Kant ? En régle générale, même s'il confie avoir peu de 'goût' pour la philosophie kantienne, Deleuze crédite Kant de la découverte du transcendantal. Ici, je me permets de renvoyer à ma note intitulée 'In memoriam'. En bref, comme le dit Deleuze lui-même, "on connaît des discours imbéciles faits tout entier de vérités".

Écrit par : Anaximandrake | 16/11/2005

Belle affiche : Finky vs Badiou... (Rappelons tout de même leur passé commun de maos)

Voici la prestation de Finky :
http://www.lefigaro.fr/debats/20051115.FIG0096.html?114327


Badiou :
"Un Etat pour lequel ce qu'il appelle l'ordre public n'est que l'appariement de la protection de la richesse privée et des chiens lâchés sur les enfances ouvrières ou les provenances étrangères est purement et simplement méprisable."

Finky :
"La brûlure de la honte est le commencement de la morale. La victimisation et l'héroïsation sont une invitation à la récidive."

Synthèse ?

Écrit par : Anaximandrake | 16/11/2005

Un Etat qui ne brûle que les ennemis qui ont choisi de l'être, qui à leur tour savent pourquoi ils sont brûlés ?!

Écrit par : antares | 17/11/2005

Les commentaires sont fermés.