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07/10/2006

Sententia judicis

« Par où la pensée peut-elle donc encore se frayer un chemin vers le Dehors ? » (Meillassoux)

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« Kant est exemplairement l'auteur avec lequel je ne parviens pas à avoir de familiarité. Tout en lui m'indispose, et d'abord le juridisme – toujours demander Quid juris ? Ou ''N'avez-vous pas franchi la limite ?'' [...] La machinerie critique qu'il a montée a durablement empoisonné la philosophie, tout en faisant le délice des Académies, lesquelles n'aiment rien tant que rabattre le caquet des ambitieux, ce pour quoi l'injonction ''Vous n'avez pas le droit !'' est d'un constant secours. Kant est l'inventeur désastreux de notre ''finitude''. [...] [R]endre impraticable les lumineuses promesses de Platon, voilà à quoi s'emploie l'obsessionnel de Königsberg, notre premier professeur.

Et cependant, dès qu'il touche à une question, on est invinciblement tenu, si cette question vous soucie, d'en passer par lui. Son acharnement, comme d'une araignée des catégories, est tel, sa découpe des notions, si consistante, sa conviction, quoique médiocre, si violente, que, rien à faire, vous passerez sous sa fourche.

C'est ainsi que je comprends la vérité des considérations de Monique David-Ménard sur les origines proprement psychotiques du kantisme [...] Que toute l'entreprise critique soit montée pour parer au tentateur symptôme de l'illuminé Swedenborg, ou, comme dit Kant, aux ''maladies de la tête'', je le crois.

Kant est ce philosophe paradoxal dont simultanément les intentions répugnent, le style décourage, les effets institutionnels et idéologiques sont calamiteux, mais dont émane une sorte de grandeur ténébreuse, comme d'un Grand Surveillant au regard duquel on ne peut pas échapper, et dont on ne peut s'empêcher de redouter qu'il vous emberlificote dans la ''démonstration'' de votre culpabilité spéculative, de votre folie métaphysique. C'est la raison pour laquelle j'approuve Lacan de l'avoir accolé à Sade » (Badiou)




Commentaires

bonjour,
ici la lectrice inculte qui comprends jamais tout et toujours quelque chose de différent mais qui s'accroche..pas de paradoxe parce qu'il me semble que vous même dans le dernier commentaire sur tollé léger dites oui et non. ( dans le sens ou la conscience n'attend rien mais pour ne pas être malheureuse elle devient, il s'opère donc malgrè tout une attente un chemin?) La mauvaise foi ne peut elle pas être engagement non total? et la déconstruction du moi n'a t elle pas pour but "la construction de la personne", comme point archimédien de la transformation du monde...ah ah quel optimisme ravageur.
D'accord on est jamais "pur" et de "se casser" la tête prouve qu'on est malade mental (un peu quand même). Aujourd'hui devant la dégradation de l'esprit j'ai toutefois envie de vouloir mieux même si je suis impure et les mots aussi et tout et tout n'est qu'imperfections, moments qui passent. C'est vrai à jouer des mots on reste toujours castrable, par un cancre ou désespéré qui ne souhaite rien et qui ne croit en rien.
Je n'attends rien de Dieu , j'y crois pas comme tout le monde ou plutot si puisque tout le monde y pense comme il veut. Mais ce que je suis sûre c'est que cette raison casse-tête, ce langage imparfait possède une certaine fin intrinsèque innomable, insoutenable. Platon dis que c'est une preuve de l'existence de l'âme et on sait comment il l'a voit...
Et cette âme c'est peut être aussi l'origine de l'hystérisme, car elle n'est jamais aussi imparfaite qu'en tant que continuïté d'un être vivant aussi beau soit il.

Écrit par : quest. | 07/10/2006

Est-ce que la théorie de la connaissance est première en philosophie ? Voilà une question qui ne cesse de me tarauder.

Que puis-je connaître ? Qu'est-ce que j'ai le droit de connaître ? La philosophie est-elle vraiment une affaire de connaissance ?

J'ai parfois l'impresssion que ce qui s'y joue est tout autre; comme si la connaissance n'était finalement que le symptôme d'une maladie plus grave, le casus-belli d'un engagement guerrier. Mais contre quoi ou contre qui ?

A observer les discutions des ontologues logiciens, on s'amuse parfois beaucoup à se les imaginer checher dans leurs symbolismes les clefs de l'être. J'ai le droit ou non de faire du "deuxième ordre" ? Et si je m'y prend comme ça, j'arriverais pas à niquer cette hypostase là ?

Quel est le gain de ce type de savoir ? la conscience ? La lucidité ? Mais à quoi bon la conscience et la lucidité ? Voilà une question que j'aimerais voir plus souvent discutée.

Écrit par : Martin Seller | 08/10/2006

Quentin Meillassoux est un philosophe et un enseignant brillant et, au surplus, fort touchant. Je m'attendris de le voir s'élever contre la finitude. Kant ne niait pas qu'il y eût quelque chose par-delà notre finitude, mais seulement qu'on pût en savoir quoi que ce fût. Meillassoux ne saurait se contenter d'une limitation claustrale de la pensée. A celle-ci donc, de penser un nouvel absolu (i.e. la nécessité de la contingence...). Cette absolutisation de la pensée est censée mettre en pièces scepticisme, criticisme (pansement kantien du scepticisme), "corrélationnisme" (hard ou soft), etc. Exit Kant, Wittgenstein, Heidegger et consorts. Introitus Meillassoux - plus tonitruant et concis que Badiou, plus rigoureux, plus limpide, plus convaincant. Adieu donc finitude, adieu. Je trouve sincèrement cette aspiration à l'absolu très touchante. Je l'admire, la respecte et aimerais me laisser séduire. Mais mes ambitions sont modestes, mon élan plus bas que terre et ma pensée un point aveugle. Que l'absolu soit et soit tout n'émeut guère ma pensée. Le philosophe aura toujours trop à connaître. Le Dehors est inembrassable. Contentons-nous de l'aube d'été.

Écrit par : nicolas | 09/10/2006

La "conscience" n'attend rien qui lui "tombe du ciel", sinon elle attend le rien, tout comme celle qui, seulement lucide mais vide et donc sans âme, n'attend plus rien.

La conscience et la lucidité permettent la joie, c'est-à-dire l'augmentation de la puissance, qui est réalisation de l'essence singulière. La philosophie première, c'est l'Ethique.

Oui, Nicolas. Et Meillassoux est moins embarrassé avec la question des qualia que ne l'est Badiou, à cause de la position que ce dernier s'est construite par rapport à Deleuze. Comme l'a souligné MBK - et c'est son seul apport à la question - l'affect est forclos chez Badiou. Ceci peut toucher. Pour Meillassoux, comme pour Badiou, il ne s'agit pas d'embrasser, serait-ce le tout, puisqu'il est possible de ne pas (Badiou disait : il est impossible de) le penser, grâce à la logique depuis le paradoxe de Russell. Ceci permet de toucher juste : cette reconquête de l'absolu est une double attaque contre les religions révélées ainsi que les relativismes et autres nihilismes, finalement tous bénis par le kantisme. Il s'agit donc aussi d'une récusation à la fois du dogmatisme métaphysique (donc de tout étant suprême) et du criticisme académique, dans le but de libérer la spéculation rationnelle. L'éthique, néanmoins, est passée sous silence. On peut en faire l'archéologie, ou y voir le résultat d'une morale. Notons malgré tout qu'aucune morale n'est rationnelle, puisqu'avalisant une transcendance, nommée ou non.

Écrit par : Anaximandrake | 11/10/2006

Ce très beau texte de Badiou est révélateur de ce que la tonalité fondamentale de Kant reste celle des Lumières, et donc celle d’un certain positivisme croyant en une toute puissance de la raison, celle-ci pouvant être à la fois, en toute légitimité, le juge et l’accusé, lors du fascinant procès qu’elle s’inflige à elle-même dans le but de déterminer l’étendue de son pouvoir et ainsi de ses responsabilités. Bien qu’ouvrant la voie à l’idéalisme et au romantisme allemands, par cette conscience marquée de la finitude, c'est-à-dire de la place fondamentale qu’occupe la subjectivité dans le déploiement du savoir, le kantisme ne saurait apparaître comme le thuriféraire de tous les relativismes et nihilismes qui lui sont postérieurs. Car ce ne peut être qu’en conférant à l’idée de vérité celle d’une ultime grandeur, que l’on s’échine à mettre à jour, par une telle machinerie, le pouvoir structuré et structurant de la subjectivité connaissante. Si l’on peut refuser la morale de Kant, son criticisme théorique ne peut que fasciner ou inquiéter tout philosophe sérieux en ce qu’il est l’expression d’une rare complexité -fût-elle déviante- d’une pulsion fondamentale de ce qui fait l’essence même du philosopher.
Que Dieu se révèle être l’objet d’un savoir subjectif intime, orientant et régulant l’agir, mais non d’une connaissance proprement dite, voilà qui ne permet aucunement de déduire, ni ne peut inspirer, quelque relativisme ou autre nihilisme consistant en l’abdication de l’esprit devant le vertige de l’Autre. Ce serait manquer l’unité foncière du kantisme, ainsi que la richesse qu’elle sous-tend. Si Kant a pu se tromper, s’accrocher à des chimères telle la loi morale en tant que ‘fait pur’ de la raison, il fut d’une exigence hors norme envers les forces de l’esprit, ce que tout penseur ne peut qu’honorer.

Écrit par : Ju | 11/10/2006

Bien sûr, Ju, bien sûr. Son exigence et la puissance de ses raisons, de même que son immense génie, ne sont pas contestés ici. Mais c'est son juridisme qui l'est. En effet, quant au relativisme ou au nihilisme, il ne s'agit justement pas de le déduire, ni même de l'inspirer, mais, de fait, de l'autoriser. That is the point. Oui, le problème, fortement argumenté par Meillassoux dans 'Après la finitude', est que le kantisme déclare la raison pure incompétente et, de fait, laisse le champ libre à la révélation ou au rien. C'est l'étrange bénéfice du domaine de la raison pratique. La vérité se doit, pour Badiou ou Meillassoux, notamment, d'être adossée à l'absolu.

Écrit par : Anaximandrake | 11/10/2006

En quel sens le kantisme autorise le relativisme ? Il se porte garant ?accrédite ?confirme ?habilite ?justifie ? Il accepte ?permet ? « Autoriser de fait » voudrait dire que, factuellement, lire Kant fait se développer une pensée nihiliste ? Car de droit cela signifie qu’il fait autorité pour, qu’il pose les fondements d’une pensée refusant l’absolu. Mais déclarer la raison pure théorique incompétente quant à la connaissance de certains objets ne permet pas de décider, de trancher et d’opter pour une position relativiste ou nihiliste (encore qu’il faudrait définir ces termes). En fait, il n’apparaît pas que cette raison dédoublée soit conçue comme pure schizophrénie, comme se déployant en deux dimensions absolument hétérogènes puisqu’en la personne humaine la raison se conçoit unitairement. C’est donc bien parce que la vérité doit toujours s’adosser à l’Absolu que Kant incite le lecteur à prendre conscience de la nécessité de penser les Idées transcendantales, bien qu’elles ne soient pas l’objet d’un connaître, car outre que cela soit, de fait, une tendance irréductible de la raison, une certaine efficace au sein du séjourner humain en résulte. Loin d’être reléguées dans le monde des chimères à bannir en ce que leur objet n’aurait d’existence que nominale, les idées de Dieu, de l’âme, du monde, mais avant tout celle de liberté -que prouve l’existence de la loi morale, fait pur de la raison-, sont donc bien présentes dans cette pensée et continuent de nourrir l’esprit selon certaines modalités, lui permettant ainsi d’espérer et de viser toujours plus haut l’unité des différenciations.

Écrit par : Ju | 13/10/2006

"Autoriser de fait" signifie que Kant autorise, de fait, la possibilité du développement d'une pensée de la révélation ou le nihilisme. Son juridisme et son criticisme, ie que raison soit incompétente pour connaître l'absolu, laisse le champ libre à ces "connaissances"-là. Et c'est tout le problème. La spéculation s'auto-limite par crainte du dogmatisme métaphysique, mais c'est une victoire à la Pyrrhus qui, bien que pensée des Lumières, abandonne le terrain à l'obsurantisme. Connaître l'absolu est refusé de droit. Le fait de ladite connaissance en devient par suite malheureusement inconstestable au sein du kantisme. Rien n'empêche plus... La raison devient impuissante, c'est-à-dire juge et ne légifère plus absolument. La vérité ne fait plus que s'adosser à l'absolu, et borne définitivement le savoir. La spéculation et la raison s'auto-mutilent par un acte de présomption définitif. Notons que la morale kantienne, qui conserve le fait de ce qui a été abandonné théoriquement, en est l'un des symptômes les plus nets. Ju, puisque vous semblez accorder que Kant autorise la pensée de la révélation - car, évidemment, les postulats de la raison pratique laissent peu de doutes - , voici un passage de 'Après la finitude' de Meillassoux, où est aussi abordée la question du nihilisme. Pour toute autre question, voyez directement avec lui.

« C'est que le criticisme n'interdit pas tout rapport de la pensée à l'absolu. La critique proscrit toute connaissance de la chose en soi (toute appplications des catégories au suprasensible), mais maintient la pensabilité de l'en-soi. Nous savons donc à priori, selon Kant, et que la chose en soi et non-contradictoire, et qu'elle existe effectivement. Le modèle fort du corrélationisme consiste au contraire à considérer qu'il est non seulement illégitime de prétendre que nous pourrions, du moins, le penser. L'argument d'une telle délégitimation est très simple - et bien connu de nous : il s'agit, encore et toujours, du cercle corrélationnel. Car enfin, par quelle opération prodigieuse la pensée kantienne parvient-elle ainsi à sortir d'elle même, pour s'assurer que ce qui est impossible pour nous est impossible en soi ? La contradiction est impensable - accordons-le : mais qu'est-ce qui permet à Kant de savoir que nul Dieu ne peut exister qui - comme Descartes, par exemple, pouvait l'affirmer - aurait la toute-puissance de rendre vraie une contradiction ? Kant prétend que nous ne connaissons rien de la chose en soi en la soumettant comme il le fait au principe supposé vide de non-contradiction : mais il paraît au contraire présomptueux de se croire en mesure de pénétrer si profondément dans l'en-soi, que l'on puisse ainsi savoir que la puissance de Dieu ne saurait aller jusqu'à l'inconsistance logique. Non que le corrélationnisme fort affirme l'existence d'un tel Dieu tout-puissant : mais il se contente de disqualifier toute réfutation de sa possibilité.
Le pendant "nihiliste d'une telle hypothèse du Dieu tout-puissant serait d'ailleurs tout aussi défendable. Il s'agirait d'une thèse rejetant cette fois la seconde proposition absolue de Kant - à savoir qu'il y a une chose en soi en dehors de nos représentations. Au nom de quoi, en effet, pourrait-on réfuter a priori qu'il n'y ait rien en-deçà des phénomènes, et que notre monde est bordé par un néant en lequel toute chose peut à terme s'engouffrer ? On soutiendrait que le phénomène n'est supporté par aucune chose en soi : que seules existent des "sphères phénoménales", à savoir les sujets transcendantaux, accordées entre elles, mais évoluant et "flottant" au sein d'un néant absolu vers lequel tout pourrait sombrer à nouveau si l'espèce humaine disparaissait. » (pp. 48-49)

Écrit par : Anaximandrake | 15/10/2006

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