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23/11/2006

La Militarisation de la Paix (1)

 

Cet article de Reza Negarestani, paru en septembre dernier dans la revue anglophone Collapse, propose une approche détaillée de la stratégie des Takfiri. Cette analyse fait notamment voisiner la batterie conceptuelle de Mille plateaux de Deleuze & Guattari, les formalismes mathématiques de la méréotopologie ainsi que divers modèles biologiques. J’en propose ici la traduction française (qui sera publiée en plusieurs parties).

 

Voici l’introduction.

 

                                                                             *

 

LA MILITARISATION DE LA PAIX.

ABSENCE DE TERREUR OU TERREUR DE L'ABSENCE ?

 

Par Reza Negarestani

 

 

Introduction

 

Cet article traite de la montée d’une nouvelle vague de terrorisme qui exploite sa propre dissolution et utilise comme arme la doctrine de Taqiyya ou (dis)simulation stratégique en démantelant l’aspect théâtral du champ de bataille et en choisissant les civils comme cible privilégiée et « champ de bataille moléculaire ». Cette tendance est une menace non seulement pour la survie globale des civils mais aussi pour l’horizon même de la survie ou de l’existence en général. Elle fait de la survie elle-même un champ d’action pour le terrorisme extrémiste.

 

Quand la militarisation cesse et d’être un processus exclusivement lié au temps de guerre et de n’appartenir qu’aux seuls champs de bataille, alors, même la paix – le vide temporaire, le spatium entre les machines de guerre et la survie collective – peut être militarisé. Ceci ne veut pas dire que l’on utilise la paix en tant que suspension temporaire qui peut être exploitée, ou bien que l’on en profite comme d’un temps de répit nécessaire à la militarisation en vue de guerres futures (qui concentre le plus des forces lorsque tous les autres se reposent ?) D’une manière plus significative, cela signifie plutôt l’endo-militarisation de la paix elle-même ; la paix est directement utilisée comme une arme, exploitée comme un nouveau plan d’invasion, d’insurrection, et pour des frappes offensives contre les bases ennemies et/ou leurs réseaux de soutien.

 

De nouveaux modes de terrorisme menacent la survie au sens large en créant un état de terreur généralisé dans lequel la mort se solidarise de tout instant vécu, et, conséquemment, le contrôle. Une telle nécrocratie,  c’est le but poursuivi par des agences islamistes hérétiques et terroristes telles que Jama’at-e Takfir et ses agents, les Takfiri (1) – un mouvement djihadiste militant croyant en la nécessité de l’excommunication absolue des infidèles (le premier sens de ‘Takfir’ est « excommunication »). Ces agences ont inspiré une nouvelle vague d’extrémistes religieux militants ainsi que d’autres groupes terroristes obscurs qui exploitent l’endo-militarisation de la paix comme un nouveau moyen de combat. Il a pour particularité que les lignes tactiques n’y sont pas alignées sur (ou ne sont pas configurées par) le plan du conflit et les opérations militaires visibles (champs de bataille, terrains de guérilla, combats de rue, etc.). Ses lignes tactiques ne sont pas localisées et ce, contrairement à ce qui est la condition sine qua non des conflits directs et des déploiements militaires. Elles ne sont pas positionnées pour couper, bloquer ni se remplacer les unes les autres selon leurs différentes tendances, trans-orientations et alignements. Ses opérations ont une relation oblique intégrale à l’incompatibilité dynamique qui fournit la base et la matrice d’un engagement conflictuel militarisé.

 

Un Takfiri s’engage comme un terroriste de l’ombre dans la Guerre Blanche. On peut parler d’endo-militarisation de la paix, d’un état d’hypercamouflage (mieux défini comme chevauchement complet et donc symétrique entre deux entités sur un plan méréotopologique (2) ). Jamais, dans cette guerre, la couverture du camouflage ne peut être pénétrée ou perturbée, et l’emploi défensif du camouflage (mieux défini comme chevauchement partiel entre deux entités ou plus sur un plan logique) est remplacé par un déploiement hautement offensif, l’espace de l’hypercamouflage. Le mode de combat choisi par les Takfiri revient à programmer un nouveau type de ligne tactique qui se mélange totalement avec celles de l’ennemi en formant une configuration telle que s’amorce une instabilité radicale et, finalement, se produisent des fissions violentes provenant du sein même du système. Tout arrive de telle sorte que, non seulement le rétablissement est impossible, mais, bien plus, que toute initiative correctrice ou réparatrice se transforme inéluctablement en subversion militaire. Ceci est comparable à une chimiothérapie qui tourne mal, ou à une cicatrisation excessive dans laquelle la guérison et le processus d’épithélialisation, en l’absence de blessure, corrodent l’organe par le biais d’une fibroprolifération (un processus de cicatrisation qui transforme une blessure locale en une métastase cicatricielle) finissant par provoquer une lyse et une décomposition. En tentant de se défendre, l’ennemi ne peut que se nécroser et se dissoudre.

 

 

 

(1)  Jama’at-e Takfir (La Société de l’Excommunication) influencée par la Confrérie musulmane Qutb a émergé en Egypte comme groupe fondamentaliste dans les années 1960 avec l’islamisme radical et militant (le précédent étant similaire au Salafisme extrémiste) impliqué dans des réseaux d’opérations furtives et décentralisées. Ce groupe est partisan de tous types d’actions militaires (batailles rangées ou non) contre les Juifs, les Chrétiens, les Musulmans apostats ou modérés, qui permettraient d’en revenir à l’unité originelle de l’ordre du monde islamique.

 

(2)  Cf. Barry Smith « Mereotopology : a theory of parts and boundaries » in Data & Knowledge Engineering, Volume 20, Issue 3 (November 1996), Elsevier Science Publishers, pp. 287-303.

  

 

 

(A SUIVRE)

 

 

 

 

Commentaires

Remarquable.

Il manquait d'une étude qui montre que le terrorisme ne se réduit pas à des opérations kamikazes mais qu'une OPA militaire camouflée est jetée sur les civils par le biais d'une torsion théologique de la notion de Taqiyya imprimée par les Takfiri, qui font d'anathème et d'excommunication une profession de foi.

Peut être l'auteur aurait-il du préciser en intro que cette version de la Taqiyya promu par les Takfiri est un dévoiement par rapport à l'originelle, produite par des chiites (et les Takfiri sont sunnites me semble t-il...) qui, dans un contexte historique de persécutions, avaient convenu qu'il était possible de cacher temporairement leur foi et leurs pratiques pour ne pas susciter l'hostilité, puis de les dévoiler quand le contexte leur serait plus favorable. Un peu comme les juifs marranes après la Reconquista... Cette posture, les chiites la justifiait semble t-il par un hadith.

En tous cas, le décamouflage de la Taqiyya et l'observation de sa mécanique va très loin dans cet article. Negarestani a mis les terroristes à poils!

Écrit par : Cédric | 20/03/2007

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