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08/09/2005

Réintroduction à la présence

« Quelque cinq cents ans avant l'ère chrétienne se produisit dans la grande Grèce la meilleure chose que l'histoire universelle enregistra : la découverte du dialogue. La foi, la certitude, les dogmes, les anathèmes, les prières, le interdictions, les ordres, les tabous, les tyrannies, les guerres et les gloires accablaient l'orbe ; quelques Grecs - nous ne saurons jamais comment - contractèrent la singulière habitude de converser. Ils doutèrent, persuadèrent, furent en désaccord, changèrent d'opinion, ajournèrent. Peut-être leur mythologie les aida-t-elle : c'était, comme le shinto, une conjonction de fables imprécises et de cosmogonies changeantes. Ces conjectures éparses constituèrent le premier ferment de ce que nous nommons aujourd'hui, non sans pompe, la métaphysique. Sans ces quelques Grecs causeurs la culture occidentale est inconcevable. » (Borges)

*

« Il n'y a plus de temps ni de lieu. [...] Tout a lieu, tout est là, et tout est phénomène. Aucun événement ne semble justifié. Il faudrait parvenir à un coeur clarifié [...] J'aimerais adhérer à quelques artifices [...] Je suis la bouée qui soutient l'enfant mort [...] Je suis l'instant présent [...] Mes lèvres s'écartaient pour un cri invisible [...] Nous avons pénétré, sans souffrance et sans bruit, les peaux superposées de la présence divine. Nous étions côté à côte sur une route étroite. Nous avions des moments d'amour injustifiés. » (Houellebecq)

 

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Selon Aristote, est nécessaire « ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est. » C'est « par soi» et « nécessairement » que sont les principes. Ainsi, leur cause se trouvent-elles en eux. Ce qui signifie que rien d'extérieur n'a la possibilité de les altérer, de les rendre autres. La nécessité du noûs, bien que d'une manière différente, exprime une nécessité similaire. Kath' hauto. Autoposition. Voilà ce qui permet d'intuitionner la nécessité des principes. Bien loin de représenter une hallucination ontologique au sein d'une théorie du syllogisme, l'autoposition désigne la nécessité comme une modalité de l'autarcie. Cette dernière est parfaitement définie par Aristote. En effet, ce qui est esclave, c'est-à-dire ce qui est par l'autre, donc ce qui n'est pas par soi, n'est pas autarcique.

 

Tout lecteur de Spinoza n'en manquera ni l'écho fondamental ni ses conséquences logico-éthiques. De même, et de manière complémentaire, les connaisseurs d'Arendt se souviendront de ce passage : « C'est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c'est-à-dire penser. Par conséquent Aristote a tort : l'ami n'est pas "un autre moi", c'est le moi qui est un autre ami. » (Journal, 1968)


N'est-ce pas la présence même de l'ami au sein de la philosophie (et du champ d'immanence corrélatif) qui - laissons ici l'adverbe en blanc - la met à distance de la sagesse, c'est-à-dire, selon la leçon assourdie et paradoxale de Kojève, de la fin de l'histoire ?

 

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Commentaires

Ces petites filles que Lewis Carroll photographiait, auxquelles il écrivait des lettres d'amour et pour lesquelles il inventait des histoires, sont pourtant mortes et enterrées. Et lui aussi.
Houellebecq se montre dans son journal "Mourir" défait - et sans doute embelli - par le temps.
Il n'y a qu'une vie sur cette terre, au moment de mourir, c'est-à-dire à l'instant prochain peut-être, il sera trop tard pour regretter de l'avoir trop rêvée et pas assez vécue, de l'avoir abîmée, méprisée, niée en vaines courses. Je préfère la sagesse à la philosophie.
Contente de vous revoir ici présent, Anaximandrake - mais je suppose que vous étiez tout aussi présent hors-champ !

Écrit par : Alina | 08/09/2005

Vous censurez vous aussi à présent ?

Écrit par : Simone | 09/09/2005

puisque vos ne répondez pas je conclus à une erreur technique dans l'envoi de mon précédent message où il n'y avait vraiment pas de quoi fouetter un philosophe et, avant qu'il ne se dissolve dans autre chose, je le reconsigne :

La présence de l'ami ne met pas à distance de la sagesse qui est aujourd'hui conscience de la fin de l'histoire mais la rend vivable , habitable , en l'excédant .

Écrit par : Simone | 09/09/2005

au-delà de la pensée, c'est là le site d'un esthète.
juste pour dire que j'ai aimé ce que j'en ai découvert juqu'ici.

Écrit par : n spits | 09/09/2005

C'est l'inconvénient de parler devant un écran, parfois on s'adresse plus à lui qu'à la personne qui se trouve derrière... A vous Anaximandrake, je veux mieux dire que je me réjouis de vous voir de retour et de pouvoir recommencer à suivre vos jeux de textes, qui jour après jour m'ont tant intéressée, ces derniers mois !

Écrit par : Alina | 09/09/2005

Merci à vous.

Toute éthique requiert une ontologie, ce qui, finalement, implique que la philosophie est plus exigeante que la sagesse. Elle refuse d'abandonner l'amour et l'immanence. Refrain : la philosophie est une méditation de la vie non de la mort. Ainsi, si se savoir mortel est sage, c'est la mort de l'ami qui est scandale, non la sienne propre.
Corollaire immédiat : ataraxie et pathétisme sont deux folies.
La fin de l'histoire est une histoire. Et cette histoire qui nous est racontée n'est pas la dernière puisqu'on ne cesse d'en multiplier les variantes. Au-delà, il y aura plus de mille nuits, toutes différentes. Et si un conteur décrète la fin de l'histoire, il ne pourra jamais parler au nom de ceux qui se lèveront pour prendre la parole, c'est-à-dire n'aura la légitimité de les faire taire. Car l'amitié n'est pas ce qui reste quand on a cessé de résister. Elle est fraternité combattante.
Il est clair que l'éternité est ce qui, n'ayant pas de rapport au temps, peut cependant se dire de l'instant. De même, le devenir échappe à l'histoire tout comme l'éternité au labyrinthe linéaire du temps. Cela seul explique que ce sont les existences qui peuvent rentrer dans des rapports de contrariété, c'est-à-dire disconvenir, mais non les essences.

Écrit par : Anaximandrake | 09/09/2005

"La fin de l'histoire est une histoire. Et cette histoire qui nous est racontée n'est pas la dernière puisqu'on ne cesse d'en multiplier les variantes. Au-delà, il y aura plus de mille nuits, toutes différentes. Et si un conteur décrète la fin de l'histoire, il ne pourra jamais parler au nom de ceux qui se lèveront pour prendre la parole, c'est-à-dire n'aura la légitimité de les faire taire.Car l'amitié n'est pas ce qui reste quand on a cessé de résister. Elle est fraternité combattante."

C'est très beau.

J'ai vraiment hâte d' entendre la suite de VOTRE longue histoire, l' ami. Merci pour le lien.

Écrit par : LKL. | 10/09/2005

Sans les existences qui les transportent, les essences ne seraient rien d'autre que des fleurs , sans leur parfum .

"L'expérience est cette exigence, elle n'est que comme exigence et telle qu'elle ne se donne jamais pour accomplie, puisque nul souvenir ne pourrait la confirmer, puisqu'elle dépasse toute mémoire et que seul l'oubli est sa mesure, l'immense oubli que porte la parole.
De cette affirmation, la plus transparente, la plus opaque(l'obscur comme transparence), dont l'homme ne se souvient pas, mais qui demeure en attente dans l'attention au langage, il a appartenu à Georges Bataille d'ëtre le répondant, en maintenant ouvert le rapport avec elle et en nous éveillant, comme malgré nous et au loin de nous, à ce rapport qui fut sa seule mesure, mesure d'extrême douleur et d'extrême joie. J'ajouterai que, loin de prétendre la garder pour ui seul, il eut pour constant souci de ne pas la laisser s'affirmer solitairement, bien qu'elle soit aussi l'affirmation de la solitude, mais de la communiquer. Un jour il l'a appelée du nom le plus tendre _ L'AMITIE..." ( Maurice Blanchot, l'entretien infini)

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Oui, sans les existences, pas d'expression d'essences. L'amitié n'appartient en propre à aucune de ces sphères mais s'avère un sous ensemble de leur intersection. L'ami n'existe que dans un champ d'immanence où, corrélativement, coexistent le prétendant et le rival. La transcendance n'apparaît alors que pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une hallucination locale et variable. Comme dit Deleuze, le vieux sage pense par Figure tandis que les philosophes inventent et pensent le Concept.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

Les philosophes n'inventent rien mais transvaluent, dans leur existence même . La pensée, comme instinct . la sagesse est rétrospective .

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Transvaluation, évidemment, car expérimentation de modes de vie immanents. Mais il y a, indubitablement, création conceptuelle. Sinon, on opère une réintroduction de la transcendance, c'est-à-dire du désir comme manque. Platonisme. Comme dit Nietzsche, contempteur de Platon et philosophe de la transvaluation : "Les philosophes ne doivent plus se contenter d’accepter les concepts qu’on leur donne, pour seulement les nettoyer et les faire reluire, mais il faut qu’ils commencent par les fabriquer, les créer, les poser et persuader les hommes d’y recourir. Jusqu’à présent, somme toute, chacun faisait confiance à ses concepts, comme à une dot miraculeuse venue de quelque monde également miraculeux, mais il faut remplacer la confiance par la méfiance, et c’est des concepts que le philosophe doit se méfier le plus, tant qu’il ne les a pas lui-même créés (Platon le savait bien, quoiqu’il ait enseigné le contraire…)"

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

La transvaluation n'est pas le corrolaire de l'expérimentation , loin s'en faut et Nietzsche lui-même a fait les frais d'un manque de vigilance et de conséquence par rapport à ses intuitions. Le passage du désir comme manque au désir comme reconquête peut très bien se passer de concepts comme il doit absolument se passer de transcendances . La piste de l'amitié et du dialogue par contre est interessante .

Écrit par : Simone | 10/09/2005

L'expérimentation est ce qui peut se partager. Elle est donc un réquisit de l'amitié et de ses modes de fonctionnement. En effet, la transvaluation sans expérimentation est décret arbitraire, position de transcendance. On le voit bien dans le rationalisme idéaliste tout comme dans l'irrationalisme instinctuel dont les présupposés affectifs sont en réalité les mêmes. De même, ce "passage du désir" requiert malgré tout la pensée comme attribut au sens spinoziste. Si l'on veut garder l'infini, seul le concept comme mode de la pensée peut lui donner consistance. L'affect, le percept et le concept s'impliquent réciproquement dans l'unité d'une vie vécue.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

L'expérimentation d'une vie vécue est forcément solitaire, écartée et s'écartant . L'amitié et le dialogue ne surviennent qu'aux moments de la transvaluation , la précédant peut-être , l'accompagnant toujours comme l'éclair et le tonnerre , puis l'éclair .

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Une vie vécue est expérimentation, ce qui signifie qu'elle est relation car elle a lieu dans un champ d'immanence qui est l'unique substance. L'amitié est une condition de possibilité de la pensée, c'est-à-dire qu'elle est transcendantale, et non transcendante, même d'un type "clignotant", même si l'essence ne possède pas actuellement l'existence. En effet, l'Autre n'existe pas pour la simple raison que le Même est une hallucination, la position d'un hors univers, d'une transcendance. Or, l'altérité, comme le désigne Arendt, est déjà fondatrice du Soi. Ainsi, la quintessence de l'amitié, sa réalité même, est-elle d'être entre soi. Le Soi comme cinquième élément.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

Vous avez raison de die que le champ d'immanence est le lieu . Mais le lieu de quoi ? Si c'est le lieu de l'expérimentation , l'amitié ne peut être un concept et l'autre une non-existence méthodologique . Dire que l'autre n'existe pas , et dire que le même est une hallucination c'est dire à quoi bon à l'expérimentation qui singuralise et à l'éternité qui ne se retrouve qu'en se gagnant sur l'uniforme dont le concept est l'instrument .

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Oui, l'amitié n'est pas un concept mais une condition de possibilité. Une amitié, elle, est une expérience, et, entre autres, a un concept. Quant au champ d'immanence, il est un lieu. Il n'est pas LE lieu, c'est à dire celui de l'Un. Le multiple a lieu dans un champ d'immanence. Dès que l'immanence est rapportée à autre chose, la transcendance est réintroduite. Considérer comme "être de raison" (au sens du XVIIème siècle) le couple Autre-Même, c'est opérer une sortie du platonisme sans retomber dans la sphère parménidienne. C'est justement éviter l'aquoibonisme, la malédiction sur le désir jetée par Platon. Le désir est sans objet, non pas parce qu'il serait hors du monde (transcendance) mais parce qu'il ne manque de rien. Effectivement, l'expérimentation singularise. Elle saisit des points remarquables. Etre singulier n'est être identique à soi-même ni même ne pas être autre mais c'est être soi, c'est-à-dire échapper à la régularité. Cela se dit aussi : ne pas être soumis à la règle. Etre libre, même d'être esclave. On atteint ainsi l'essence du point d'existence, de l'expérimentation réelle. De plus, le concept étant créé, et même s'il subsume une diversité sous une unité, il est une singularité. Il est signé et possède une date de baptême. C'est un individu qui, en tant que doué d'une essence, participe de l'éternité.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

Je vous avait mal entendu sur le concept . Ainsi dit , je vous suis

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Cher ami, il est vrai que le concept de concept a une histoire mouvementée.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

Alors concept comme conception , comme immaculée conception . Alors , je vous en prie cher ami , dans la privation d'avenir où nous sommes n'ayez pas méfiance du féminin de cher . Il faut parier contre Nietzsche , que les femmes ne sont déjà plus "tout au plus, des vaches "

Écrit par : Simone | 10/09/2005

Très cher, je sais reconnaître le genre d'un style et ce qui, chez Nietzsche, est provocation.

Écrit par : Anaximandrake | 10/09/2005

Mon ami, dit le philosophe, on n'entre pas en dialogue comme on entre en religion. Vous ne vous verrez pas attribuer une place dans une communauté. D'ailleurs, à proprement parler, il n'y a pas de place pour vous dans le dialogue. On y est plutôt entre soi.

Écrit par : Amanda | 29/09/2005

Quand le philosophe dit "Mon ami" , si ce n'est au dialogue , à quoi l'invite-t-il donc, Amanda ?

Écrit par : Simone | 29/09/2005

C'est au dialogue et...
Avez-vous besoin qu'on vous réserve une place, Simone?

Écrit par : Amanda | 30/09/2005

Je viens de comprendre que non
Vous voyez : le dialologue Amanda ...

Écrit par : Simone | 30/09/2005

Devenir, Simone.

Écrit par : Amanda | 30/09/2005

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