13/02/2007
La Militarisation de la Paix (5)
par Reza Negarestani
Exploration logique de l’hypercamouflage versus conflit nomade
« Dans le passé, on a pris une attitude plus défensive » écrit Koch qui se réfère à la théorie des miasmes. « Nous avons maintenant quittés ce point de vue défensif et sommes passés à la compréhension de l’offensive… Nous devons être préparés, d’abord, à détecter facilement et avec certitude le matériau infectieux, et ensuite, à le détruire. » (Koch, 1903, 8, 10). Pour Koch, mener l’offensive revient à rechercher activement les parasites non seulement chez ceux qui sont visiblement malades mais aussi chez ceux qui peuvent être « suspectés » de les abriter (die Verdächtigen) et ceux qui sont « apparemment en bonne santé » (1) Toute machine de guerre ou ligne tactique occupe une niche (que ce soit en temps de guerre ou de paix), un espace où elle peut se déplacer, se nourrir et fonctionner ; elle n’est pas seulement définie par les propriétés distinctives d’une ligne tactique ou d’une machine de guerre, mais aussi par ses ennemis, la dynamique incompatible des autres lignes tactiques, les différents types de prédateurs, l’exposition aux facteurs environnementaux, ses zones de contact par lesquelles il reçoit les données de l’environnement, les types de données reçues, et sa proximité à ce qu’il pourchasse ou explore (il existe une incompréhension répandue qui attribue une frontière solide ou friable aux niches ; mais les niches se forment partout où une entité ménage une partie de son environnement et y survit et fonctionne (2) ). A un temps donné t, l’entité r occupe un lieu (ou un ensemble de lieux) unique (3) ; son mouvement peut être plus simplement exprimé en terme de niches que l’entité occupe à des intervalles de temps successifs. Ce lieu est encodé par la niche que la machine de guerre ou la ligne tactique occupe. Les fonctions d’une niche ne sont pas simplement disjonctives ou exclusives (par exemple, les mouvements sélectifs qui résultent de l’exclusion d’autres parties de l’environnement ou des lignes de mouvement) mais aussi connectives et conjonctives. En fait, les niches mobilisent leurs entités occupantes avec leurs types caractéristiques de dynamiques, en les associant avec d’autres niches fondées sur l’affordance (4) nécessaire pour suivre une tendance ou un avion, ainsi que partager avec d’autres niches et ses habitants. La programmation d’une niche est la première opération fondamentale quant à l’ingénierie ou à la recomposition d’une entité. Par conséquent, la signification de l’exploration des niches ou des types de niches (plus que d’une niche particulière et de ses occupants) augmente progressivement avec le développement et l’émergence de nouvelles lignes dynamiques, de formations de pouvoir, d’espaces de circulation, et de plans de conjonctions communicatives. L’Etat et son réseau de domination identifient les mouvements d’une entité (r) dans une niche (qu’elle soit quantitative – mesurable – ou qualitative) par la série des lieux qu’il authentifie et enregistre alors qu’il voyage :
r(x1, x2, x3, …, xn)
Pour l’Etat, la dynamique des machines de guerre, la manière dont chaque machine de guerre perpétue la ligne de son itinéraire, peut seulement être tracée et étiquetée numériquement grâce à la logique des frontières, la programmation des systèmes d’accommodement d’habitation et les (dis)locations que l’Etat est capable de suivre en contrôlant les niches et leurs adresses dynamiques. En surveillant les frontières à travers lesquelles les entités passent, en explorant les effets temporels sur (ou l’altération de) les forces de la territorialité que les entités mouvantes laissent derrière elles, leur type de localisation, et leurs comportements envers l’économie méréologique (l’économie du tout), l’Etat peut fabriquer un cogito (une cognition non humaine) non seulement pour comprendre mais aussi pour classer les mouvements des entités et la dynamique des machines de guerre dont l’itinérance nomade immodérée signifie qu’ils ne peuvent pas être appréhendés ou perçus par l’Etat. Il s’agit du cogito requis pour l’appropriation des machines de guerre par les protocoles et les formes militaires de l’Etat. Lié à une segmentarité (semi-)rigide, la dynamique des frontières, les connections basées sur l’affordance et les localisations statiques et dynamiques (ou plus précisément, des localisations in situ et ex situ), l’Etat examine l’espace dynamique de chaque entité et de ses activités – ces activités correspondent à ces régions fonctionnelles, territoriales et méréologiques – non seulement afin de lire les caractéristiques d’une entité mais aussi pour la localiser sur son réseau de domination. L’Etat et toutes les configurations de l’Economie de Survie suivent les entités à travers la ou les niches qu’elles habitent ou peuplent. Pour l’Observatoire militaire de l’Etat, explorer et suivre l’évolution de la niche est la tâche centrale et primordiale ; la ligne itinérante d’une entité ou d’une machine de guerre, ses communications et ses traits fonctionnels sont déchiffrés en scannant la niche et le type de niches que la machine de guerre occupe. Les machines de lecture avancées de l’Etat sont même capables d’extraire l’essence même d’une machine de guerre ou d’une entité en analysant les caractéristiques de la niche qui sont intrinsèquement liées à l’affordance, à la dynamique des forces des frontières, et aux principes écologiques. Cependant, comme les niches sont des entités connectives (l’entité en tant qu’événement au sens deleuzien), elles n’appartiennent pas exclusivement à une seule entité ou à un seul locataire. Des entités multiples peuvent partager une niche, et des niches peuvent former d’autres niches (les forces territoriales diminuent – mais ne disparaissent jamais – en regroupant les liens) se reliant les unes aux autres, se connectant de diverses manières. Pour leur plus grande part, les modes de connexion entre les niches se divisent en deux corrélations asymétriques :
a. Butée (B)
b. Chevauchement (C)
Dans le modèle de la machine de guerre nomade de Deleuze et Guattari, les machines de guerre sont extérieures aux frontières de l’Etat, et les érodent sans cesse, rongeant les limites consolidées de l’Etat. La modélisation logique des interactions entre les machines de guerre nomades extérieures et l’Etat est principalement compliqué par les problèmes suivants : (a) L’Etat et la machine de guerre maintiennent tous deux un mouvement relatif l’un à l’autre (chaque dynamique sur son propre plan tactique) qui fait des machines militarisées de l’Etat et des machines de guerre nomades des entités glissantes avec une capacité de déplacement augmentant à mesure que les attaques et les contre-attaques s’intensifient aux limites de l’Etat.
(b) La montée de l’Etat clandestin, qui s’ouvrent aux machines de guerre nomades pour les absorber dans ses formations militaires par des contacts continus avec les machines de guerre nomades (de tels contacts sont essentiellement liés à des potentiels de contamination à la fois pour l’Etat et les nomades) ou réinvente des machines de guerre nomades avec ses mercenaires, des lignes dynamiques pour étendre l’Etat au-delà de ses frontières, une nouvelle frontière dynamique qui donne à l’Etat l’opportunité d’adapter (coloniser ?), d’avoir une affordance (5) économique avec l’Extérieur, au lieu d’être déchirées par l’Extérieur. En se concentrant sur l’aspect spatio-géographique de la machine de guerre (nécessairement interconnecté avec son aspect affectif) – ou, plus précisément, en explorant un modèle méréotopologique de la machine de guerre nomade et de l’Etat à travers leur mode distinctif, mais général, de connexion qui peut être saisi comme une butée ou connexion externe – peut-être la tâche première pour tracer le diagramme de l’espace des affects et les lignes du mouvement qui sont générés entre le nomade concret et l’Etat. Cette modélisation, à la fois spatio-géographique et méréotopologique (et donc qui indique nécessairement un espace affectif immanent) de la machine de guerre nomade et de son positionnement relatif à la frontière de l’Etat élucide le processus en jeu dans l’émergence d’états nomades anomaux (comme le cas de « l’état de guérilla » et de ses connexions avec l’ethno-nationalisme en Iran ou les tribus nomades des Bédouins et leurs liens forts mais ambigus avec le gouvernement Saoudien) aussi bien que le risque croissant pour les machines de guerre nomades engageant des états clandestins ou des états aux frontières obscures.
(1) OTIS, L. (1999) Membranes : Metaphors of invasion in Nineteenth-Century Literature, Science and Politics, The Johns Hopkins University Press, pp. 34-35.
(2) En fait, certains systèmes contrôlés se concentrent essentiellement sur des niches aux contours vagues afin de filtrer et guider ses occupants (locataires). Les systèmes de contrôle du trafic aérien analyse constamment le volume de l’espace aérien protégé ou limité – définissant un volume entourant un objet volant – afin d’éviter les collisions, etc. Le volume de l’espace aérien protégé est l’équivalent de la niche pour la gestion du trafic, une simulation de la niche en jeu pour les avions ou les oiseaux migrateurs.
(3) Cette unicité est caractérisée par les qualités et les propriétés définitionnelles que le lieu attribue à une entité dans l’espace-temps, mais avoir lieu ne signifie pas en être le propriétaire exclusif.
(4) NdT : Le concept d’affordance a été inventé par le psychologue de la perception Gibson pour désigner les propriétés actionnables entre le monde et un individu (personne ou animal). Pour Gibson, les affordances sont des relations. Elles existent naturellement et n’ont par conséquent pas à être visibles, connues, ou souhaitées.
Voir note 5.
(5) L’affordance est un réseau économique (au sens où il est connectif et réciproque) par lequel l’ouverture peut être exploitée comme un fond pour la survie, l’adaptation, l’habitation et la régulation de la communication. Le terme d’affordance tel qu’utilisé ici diverge par certains aspects du terme original inventé par James Jerome Gibson (fondé sur les travaux d’Ingarden, Brentano, et d’autres) dans ses études éco-cognitive. Les régulations par lesquelles une entité peut maintenir sa position dynamique (en un tout, c’est-à-dire un lieu méréologique) et survivre dans son horizon environnant proviennent d’un réseau fondé sur l’économie et profondément ancré sur les interactions, les connexions et les participations régulatrices, toutes tissées sur l’accessibilité (affordability) mutuelle entre les entité et leur environnement. L’affordance n’appartient pas exclusivement à un pôle de la communication économique mais se distribue entre deux entités méréologiques au moins. A travers l’affordance, l’ouverture ne peut pas échapper aux régulations économiques et de survie. Le modèle le plus éclairant (cependant simplifié) de l’affordance est la Tetrasomia d’Aristote (rotations des éléments).
Le mouvement de rotation entre les éléments anime une dynamique de purification du tout. Chaque phase de la rotation se fonde sur des mesures dynamiques et l’affordance entre les éléments. Les éléments sont ouverts à chacun d’eux à la fois diamétriquement et diagonalement, mais ne peuvent jamais se chevaucher entièrement ou communiquer radicalement l’un avec l’autre ; ils nécessitent un moyen terme pour former des nexus rotatifs et maintenir leur intégrité. Ces moyens termes ne sont valides que pour un emplacement particulier du panorama rotatif intégral ; bien qu’ils donnent au système un polemikos propulsif ou une dynamique cyclique, ils fonctionnent localement (en tant que résultat de l’accessibilité mutuelle des éléments et, en même temps, à tout le système de la Tetrasomia). Par exemple, la Terre et l’Eau nécessitent le Menstruum (boue vivante) pour communiquer. Cette boue vivante est une entité communicationnelle, mais aussi une frontière dynamique qui transforme et approprie la Terre et l’Eau avant de les ouvrir à chacun d’eux ; cela ne peut fonctionner que localement entre la Terre et l’Eau et pas à un autre emplacement de la Tetrasomia. Le tout utilise ces communications économiques pour se consolider lui-même et permettre la Vie (pour survivre). « Je pense que les affordances ne sont pas seulement des qualités phénoménales de l’expérience subjective (qualités tertiaires, propriétés dynamiques et physiognomoniques, etc.) Je pense également qu’elles ne sont pas seulement des qualités physiques des choses telles qu’elles sont conçues par la science physique actuelle. En fait, elles sont écologiques, au sens où elles sont des propriétés de l’environnement relatives à un animal. Ces considérations sont neuves, et ont besoin d’être discutées. » (J.J. Gibson)
21:15 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Elles ne sont pas neuves, enfin... Pas le "temps" d'en discuter...
Je suis (finalement pas) surpris : pas de commentaire...
Je choisis ce moment ? pour te souhaiter tous mes voeux (je sais, il ne serait plus temps...)...
..expliquer les "raisons" voire même les origines (ou soient-disantes), à mon sens ne sauraient -toujours ce temps- enlever les causes (serait-ce même souhaitable ) ni vaporiser les consèquences... j'essayerais ainsi : la Lumière et le Son ne s'y entendraient-il/elle... de telles affaires ?
Salut Anaxisouseptalladouxzen...
Écrit par : pessah | 19/02/2007
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