Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/03/2007

La Militarisation de la Paix (7)

par Reza Negarestani
 
 
 
Tous les types de camouflage tracent une fonction perturbatrice, fonction qui a pour origine la partie chevauchée (qui a principalement lieu à un niveau fragmenté), et qui conduit l’adresse ou la niche d’une autre entité (par exemple, la proie) vers l’entité camouflée (chasseur) ; par conséquent, elle perturbe les corrélations méréologiques (partie-tout) en jeu dans ce qui devrait être camouflé, et qui devrait rendre l’entité temporairement et partiellement non repérable. De telles perturbations (qui ciblent généralement un point ou une liaison de référence par lequel une entité est détectée) peuvent produire des problèmes cognitifs aussi bien que la subversion de certains liens spécifiques à l’environnement qui traversent à la fois l’entité camouflée et son objet (la proie). Le camouflage en mouvement utilise un type particulier de dynamisme tactique (dans les cas où la proie est aussi en mouvement, le mouvement du prédateur camouflé s’engage dans une poursuite chaotique ; le mouvement peut être modélisé par la projection des courbes de la poursuite sur un attracteur de Rössler) ou de chevauchement dynamique pour perturber sa distance et ses déplacements par rapport à la proie, et ce, en suivant un chemin qui le connecte à un point fixe (utilisé par la proie comme point de référence – un vecteur-unité constant) pendant que le mouvement de la cible rencontre celui de l’agresseur. Ainsi, dans le camouflage en mouvement, le chasseur reste-t-il stationnaire du point de vue de la cible. Dans les camouflages militaires les plus courants – couverture et déguisement d’objets (soldats, véhicules, artillerie, base de lancement, etc.) – utilisant des matériaux qui brouillent l’apparence des structures, la perturbation s’effectue grâce à des modifications superficielles d’un objet camouflé sur lequel l’organe de la vision se concentre comme sur une liaison de référence entre différents type de structures de surface au sein de l’espace qui l’entoure. L’invisibilité, elle aussi, utilise et modifie le chevauchement partiel en tant qu’occlusion par des surfaces assombrissantes, en intériorisant, en positionnant l’entité camouflée à l’intersection des frontières. L’inconvénient premier de la machine de guerre invisible est le risque d’être repéré par les régimes sémiotiques de l’Etat qui sont plus obsédés par ce qui manque que par ce qui existe.
 
medium_Fig5.gif
C : Coïncidence
O : Chevauchement
P : Partie
Cov : couverture
CCoin : Coïncidence complète 
 
 
Ce qui résulte du chevauchement partiel, c’est que toutes les perturbations et les subversions des liens méréologiques sont finalement découvertes ; et chaque fois qu’un camouflage est repéré, il perd progressivement son efficacité ; chaque entité qui se sert d’un tel camouflage sera plus facilement détectée et ses contre-mesures moins efficaces ; il s’agit d’un symptôme des connexions holistiques entre le chevauchement partiel et la « localisation » qui n’a pas encore été neutralisée et spatialement effacé. C’est pourquoi le camouflage est rarement implémenté comme action première ou tactique offensive mais surtout comme un processus logistique ou un espace de transition déstructuré entre différentes lignes tactiques et opérationnelles. Les caractéristiques fugaces et les restrictions opérationnelles drastiques empêchent la transformation radicale du camouflage en armement.
 
Un Takfiri guidé par la Taqiyya (hypercamouflage islamique) n’occupe pas une niche pour remplacer une autre entité, ou pour s’installer comme agent caché. Il pousse la connexion à son environnement jusqu’au chevauchement partiel, à un champ unifié de connexion et de correspondance, à une totale coïncidence avec sa cible, i.e. à un chevauchement complet de sa niche avec celle de sa cible. Il se superpose entièrement à sa proie et à sa niche, et reste silencieux.
 
Coin(x,y) ↔ ∃(Cov(z,x) & Cov(z,y))
(x et y coïncident si et seulement si il existe un z qui est recouvert à la fois par x et y ; z représentant ici une niche. Alors que Cov est une relation transitive et réflexive, Coin est symétrique et réflexive. La relation de coïncidence est bien entendu plus large que celle de chevauchement, puisqu’il y a des paires d’objets en non coïncidence, ou même des processus, qui n’ont pas de parties en commun. La même question se pose pour un Takfiri guidé par la Taqiyya et un civil.)
 
Pour un Takfiri guidé par la Taqiyya, l’occupation n’est ni un but militaire ni une tactique ; en effet, l’occupation est la localisation exclusive attachée aux cartographies de co-localisation et aux connexions parties-tout – c’est-à-dire, le despotisme du Tout – et l’occupant est vulnérable aux forces environnementales ; il peut être facilement distingué, localisé, isolé et finalement exterminé, i.e. défait à un coût minimal pour son environnement et ses dépendances. Là où l’occupation est liée au militantisme visible et à l’escalade des modes de guerre et d’exclusion, la Taqiyya armée est malignement diffusive. En méréologique (le discours des modes de connexion parties-tout) on appellerait chevauchement total le positionnement de la Taqiyya : le Takfiri constitue un ‘survivalisme’ sinistre dont la fonction de base et de procéder à l’extinction de la survie elle-même. Dans le chevauchement total (voir Fig. 6), chaque région, fonction ou partie de l’entité hypercamouflée ou prédateur – le « Takfiri guidé par la Taqiyya » (X) – peut correspondre à la région, fonction ou partie de la proie, de l’hôte ou du civil (Y). Si donc chaque x (partie ou fonction de X) devient l’homologue du y correspondant (partie ou fonction de Y), ou plus précisément, si chaque x correspond à son y « à tous niveaux » alors chaque fonction de X (le mouvement tactique du Takfiri guidé par la Taqiyya, ou prédateur hypercamouflé) peut être transférée à Y ; X et Y se font advenir mutuellement.
 
x = y ↔ ∀ (Oxz ↔ Oyz) (Chacun des deux membres du domaine qui chevauche les mêmes entités sont identiques.)
 

medium_Fig6.gif
 
Fig. 6 Chevauchement total et accomplissement symétrique (Symétrie : Soit S le symbole de la symétrie où n est un entier, d est le descripteur de classe et compd est le complément de d : S = {n(d ∧ compd})
 
Mais la dimension la plus horrifique de cette configuration se révèle lorsque le processus se renverse. Si chaque x fait advenir son y correspondant, alors, par le biais de l’espace d’« exacte connexion-correspondance » que le chevauchement total et la coïncidence complète (CCoin(xi,yi)= :x=y) (1) permettent, chaque y (i.e. chaque fonction ou positionnement de la proie Y, qui comprendrait pour leur plus grande par les fonctions de survie normales et les activités individuelles ou sociales ordinaires) peut être transféré à son x correspondant et finalement le fait advenir également. Par la saisie d’un y quelconque, un x correspondant est déclenché et mis en circulation secrètement ; et puisqu’il s’agit de chevauchement total, la survie et l’aptitude à communiquer en tant que telles de Y déploie, active et fait advenir le corps menaçant de X, le Takfiri guidé par la Taqiyya. D’une part, la survie de la proie (de l’hôte, du civil) est en accord total avec l’enthousiasme sinistre du terroriste, et d’autre part, la paix est généralement conçue comme un état de survie collective. Par conséquent, la survie et du terroriste et du civil n’apportent rien d’autre que l’endo-militarisation (interminable ?) de la paix, une menace globale des civils, la montée de la Guerre Blanche et, alimenté par la soif infinie du Jihadisme hérétique, que le péril de la contagion de la guerre puisse s’étendre sans limite, jusqu’à envahir l’horizon même de la vie et de la survie en général.
 
Maintenant que la survie de Y, ou hôte/civil (avec ses moyens de communication et modes de connexion par et avec son environnement), fait advenir le corps politique et militaire du « Takfiri guidé par la Taqiyya », la simple existence du civil devient une arme à la fois contre lui-même et contre l’immunité entière du système dont il fait partie et qui le protège, et ce, à un tel degré qu’une surréaction autophagique apparaît au système comme la seule solution logique. C’est l’acmè militaire de la Taqiyya que de déduire la folie irrévocable des prémisses que constitue la logique essentielle requise par la simple survie.
 
 
Conclusion exégétique
 
« Les tendances explorées ici seront évidemment décidées sur "le champ de bataille" – ce qui, de plus en plus, signifie partout. Le caractère central de l’hypercamouflage pour la stratégie jihadiste a déjà d’immenses conséquences, car elle induit une vague de 'rétro-militarisation' dans laquelle les machines de guerre de l'Etat sont conduites à une invasion croissante de la vie civile, processus évidemment sans limite (qui s'étend à tout le corps social).
 
D’une part, l’auto-désassemblage de sa propre machine de guerre par Saddam Hussein, compte tenu d’une insurrection latente, est un exemple de cette tendance, tandis que de l’autre, le renforcement des formations logistiques US grâce au blindage des véhicules et de l’entraînement au combat pour tous les types de personnel en constitue le complément.
 
Les préoccupations relatives aux Droits de l’Homme à propos des morts de civils peuvent être étendues avec pertinence du niveau empirique au transcendantal, où le principe d’éradication de toutes les populations civiles entre en scène. Le concept même de "civil" devient nettement daté. (L’analyse de Virilio – bien qu’il trahisse une perspective quelque peu antique par l’emploi de termes tels que "endocolonisation" – paraît avoir anticipé cette tendance).
 
Les Etats-Unis sont particulièrement intéressants parce qu’ils restent une société "périphérique" (et même du "tiers-monde") par certains côtés, marquée par un faible indice domestique de monopolisation étatique de la violence, qui permet donc une rétro-militarisation, c’est-à-dire une connexion entre le pôle de l’Etat et un paramilitarisme endogène déjà enraciné parmi les populations "civiles" (vigilance armée et milices). Tant que les milices sont impliquées, le monde n’a encore rien vu. » (2)
 
 
 
(1) La coïncidence complète peut être exprimée en terme de couverture (Cov) : CCoin(x,y) ↔ Cov(x,y) & Cov(y,x) (x et y coïncident complètement si et seulement si y recouvre x et x recouvre y).
 
(2) Nick Land est l’auteur de la conclusion exégétique de cet essai.
 
 
 
(FIN)

Commentaires

J'ai pas tout pigé, mais pour joindre l'utile à l'agréable à l'actualité, faudrait peut-être demander à Frédéric Nihous ce qu'il en pense…

Écrit par : sk†ns | 20/03/2007

Bonne idée, sk†ns. Toutefois, il était aussi question de 'vigilance', même si deux coups, ce n'est pas beaucoup...

Écrit par : Anaximandrake | 24/03/2007

Les commentaires sont fermés.