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27/04/2008

Gibbs lecture (II)

 
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Voici donc l'intégralité de notre traduction de la Gibbs lecture de Gödel (1951), qui correspond aux manuscrits (rédigés en langue anglaise) n° 040293, 040294, 040295, et 040296 du Nachlass de Princeton.

Les interpolations, précisions et variantes sont réintégrées dans le texte principal entre doubles crochets : [[ ]]. De même, la présence de certains mots illisibles est indiquée par le signe suivant : [?].

Ce texte défend avec brio la thèse du platonisme en mathématiques, « seule thèse tenable » à en croire Gödel, et « selon laquelle les mathématiques décrivent une réalité non sensible, qui existe indépendamment à la fois des actes et des dispositions de l’esprit humain et n’est perçue, probablement de manière très incomplète, que par l’esprit humain. »

 

 

21/04/2008

Animalia mansuefacta

 

« C’était encore l’époque – époque bénie – où les villes n’avaient pas de banlieue. » (Gracq)

 

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« — Parmi tes copines et tes copains, dit Socrate, j’en connais qui déambulent nuit et jour les écouteurs vissés sur l’étroit conduit des oreilles, tel un entonnoir pour y faire couler le tam-tam hypnotique de leurs musiques chéries. Ce faisant, je l’admets volontiers, ils endorment en eux la pulsion coléreuse qui constitue la deuxième instance du Sujet. Ils sont comme un fer qu’un feu mélodique ramollit, et ainsi, de loups inutilisables qu’ils étaient, ils finissent par ressembler à des lapins angoras : pelucheux, tendres, civilisés...

Mais s’ils continuent à dissoudre leur vie dans la nappe sonore, certes infiniment suave, le principe même du courage venant à disparaître, c’est le Sujet en eux qui perd tout ressort, et quand la guerre éclate, ou qu’il faut affronter une dure répression, ils ne sont plus, comme Homère le dit de Ménélas, que des « combattants exsangues ».

— Vous les décrivez comme si on y était, ces appendices cornus de leur baladeur ! On dirait ma copine Pénélope !

— Mais parmi tes copines et tes copains, il y en a d’une toute autre espèce. Laissant tomber la musique savante, pour ne pas même parler de la politique ou de la philosophie, ils ne quittent le stade ou la salle de musculation que pour suivre un régime spécial « mise-en­-forme ». Et il faut avouer qu’ainsi devenus costauds et sûrs d’eux-mêmes, ils peuvent faire preuve d’un courage exemplaire, face aux envahisseurs, comme face à la police des réactionnaires fieffés qui s’abritent derrière les mots « démocratie » ou « république ».

Cependant, privés de tout accès aux arts, à supposer même qu’en tant que Sujets ils désirent apprendre, comme ils ignorent ce que c’est qu’un savoir ou une recherche, qu’ils n’ont aucune pratique de la discussion argumentée ni de rien qui relève de la culture générale, leur désir intellectuel est frappé d’asthénie irrémédiable, il est comme sourd et aveugle. Le manque d’entraînement les rend incapables d’éveiller et d’entretenir des sensations qui soient vraiment différenciées. Ils deviennent presque certainement incultes et ennemis du langage rationnel, inaptes à se servir d’arguments quand il faut rallier les autres ou critiquer les adversaires. Comme des animaux furieux, quelles que soient les circonstances, c’est par la violence qu’ils cherchent à s’emparer de ce qu’ils désirent. Ils stagnent dans une vie coupée de toute connaissance, et donc infiniment maladroite.

— Portrait tout craché de mon ami Cratyle, celui qui est le fils du bien connu Cratyle.

— Si le Grand Autre a proposé à l’espèce humaine deux types fondamentaux d’exercices, le sport d’un côté et les arts de l’autre, je crois pouvoir conclure qu’il ne l’a pas fait à partir d’une distinction stéréotypée entre le Sujet et le corps. Il l’a fait pour que le degré de tension dans le Sujet des deux qualités cruciales, le courage et la philosophie, puisse être exactement dosé en fonction des circonstances. »

 

(Platon, La République, Livre III, 411a-412, traduction A. Badiou)

 

13/04/2008

Collapse IV

Collapse IV sera publié en mai 2008. On peut d'ores et déjà commander ce volume ici.

 

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Collapse Volume IV : Concept Horror est une enquête au sein des dimensions philosophique, existentielle, esthétique, religieuse et politique de l’horreur. Sa tâche n’est pas de promouvoir des théories de l’horreur, mais de révéler les horreurs qui attendent ceux qui poussent la pensée rationnelle au-delà des limites du raisonnable.

Le volume illustre la vision propre à Collapse d’un texte métissé dans lequel les contributions interagissent et produisent une série d’interzones ou d’espaces collaboratifs objectifs. Tout au long du volume, de nombreux textes philosophiques et travaux graphiques de styles différents se mélangent, créent des connections inattendues, et ajoutent les uns aux autres de nouvelles dimensions.

Infinite Regress into Self-Referential Horror par Georg Sieg, démontre la nature simultanément cognitive, existentielle et politique de l’Horreur, à travers une enquête conceptuelle sur la victimité.

Avec The Shadow of a Puppet-Dance , James Trafford suit l’auteur de weird fiction Thomas Ligotti dans son anticipation de la thèse radicale du livre du neurophilosophe Thomas Metzinger Being No-One : nommément, qu’ « il n’a jamais existé une chose telle qu’un soi. »

Dans la propre contribution de Thomas Ligotti à ce volume, celui-ci reprend l’œuvre de l’obscur philosophe norvégien Peter Zapffe, entre autres, pour effectuer un voyage impassible dans les profondeurs du nihilisme…

… Comme contrepoint à la déflation de l’hybris humaine par Ligotti, l’ukrainien Oleg Kulik, un artiste contemporain de première grandeur connu pour ces investigations dérangeantes aux frontières de la vie et de la mort, de l’humanité et de l’inhumanité, présente sa série photographique Dead Monkeys.

Nine Disputations on Theology and Horror par Eugen Thacker rend compte de manière détaillée et pénétrante des « noosphères tératologiques », en discutant les ontologies de l’horreur depuis Aristote jusqu’à Lovecraft.

Le romancier Michel Houellebecq est bien connu pour sa capacité à évoquer l’horreur qui réside dans les banalités de la vie contemporaine. Ses poèmes, dont une sélection est ici traduite en anglais pour la première fois, distille sa vision puissante dans des moments d’effroi translucides.

Jake et Dinos Chapman, les célèbres 'frères Grimm' du monde de l’art britannique, qui dévoilent leur nouvelle œuvre infernale Fucking Hell à Londres le mois prochain, présente un ensemble de dessins créés en exclusivité pour Collapse en réponse aux autres contributions du volume.

Le travail de Quentin Meillassoux est familier à nos lecteurs. Dans le troisième essai d’une « trilogie » publiée dans Collapse, Spectral Dilemma, Meillassoux révèle quelques-unes des conséquences éthiques de sa déduction de la « nécessité de la contingence », à travers l’examen du problème du « deuil essentiel ».

Les photographies de Kristen Alvanson, à la fois repoussantes et fascinantes, de spécimens préservés d’animaux et d’humains déformés et mutants, sont accompagnés par un texte qui discute le traité du seizième siècle de Paré qui fait de la taxonomie elle-même quelque chose de monstrueux.

Les esquisses méticuleuses de l’artiste allemand Todosch (Thosten Schlopsnies) semblent dépeindre des variétés de slime hétérogène dans un processus à la fois de désintégration et de coagulation…

… Un accompagnement parfait à Being and Slime de Iain Hamilton Grant. Cette exhumation intempestive de l’œuvre naturephilosophische de Lorenz Oken – selon lequel la création de l’univers à partir d’un « zéro primal » correspond à sa coagulation à partir d’un « mucus primitif » – met un accent entièrement nouveau sur la notion de Badiou de 'fondation à partir du vide'.

Benjamin Noys médite sur Lovecraft et le réel, et révèle que la plus abyssale des horreurs est l’Horror Temporis.

Avec Thinking with Nigredo, Reza Negarestani montre comment Aristote et Plotin déverrouillent et dissimulent tout à la fois le mécanisme ontologique exprimé par une ineffable forme de torture étrusque.

Une étoile montante, l’artiste canadien Steven Shearer, donne à lire une nouvelle série de ses Poèmes – des pièces graphiques frappantes créées via la manipulation de titres et de paroles nihilistes et extrêmes de groupes de death metal.

China Miéville, plus connu pour ses best-sellers de weird fiction, écrit sur M.R.James and the Quantum Vampire, et nous introduit à une nouvelle créature effrayante issue de son arsenal, le Skulltopus !

Le collectif artistique tchèque Rafani présente son cycle Czech Forest, une adaptation de l’imaginaire folklorique qui propose un conte très moderne de crime de guerre et de vengeance à la fin de la seconde guerre mondiale.

Graham Harman participe de nouveau à Collapse avec On the Horror of Phenomenology : Lovecraft and Husserl. Au cours d’une défense du weird realism, Harman démontre que la pensée philosophique est plus proche de la weird fiction et de l’horreur qu’elle aimerait l’admettre…

Singular Agitations and a Common Vertigo, la série d’images de Keith Tilford, anticipe et couvre de son ombre l’invocation par Harman de la vie intime des objets.

 

 

05/04/2008

Gibbs lecture (I)

Je vous propose ci-dessous la première partie de ma traduction de la Gibbs lecture de Kurt Gödel, donnée en 1951, dont le texte original est issu du Nachlass de Gödel, conservé à Princeton (USA). Les notes et variantes du manuscrit seront incorporées au fichier .pdf final.

 

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(Premier feuillet du texte principal)

 

 

Quelques théorèmes de base relatifs aux fondements des mathématiques et leurs implications philosophiques

 

par Kurt Gödel



La recherche sur les fondements des mathématiques a, durant ces dernières décennies, produit quelques résultats, qui me paraissent dignes d’intérêt, non seulement en eux-mêmes, mais aussi en ce qui concerne leurs implications pour les problèmes philosophiques traditionnels quant à la nature des mathématiques. Les résultats eux-mêmes, je crois, sont assez largement connus, mais je pense toutefois qu’il est utile d’en présenter une nouvelle fois les grandes lignes, spécialement compte tenu du fait que, grâce au travail de nombreux mathématiciens, ils ont pris une forme nettement plus satisfaisante que celle qu’ils avaient à l’origine. La plus grande amélioration a été rendue possible grâce à la définition précise du concept de procédure finie, qui joue un rôle décisif dans ces résultats. Il y a plusieurs voies différentes pour arriver à une telle définition, qui mènent cependant toutes au même concept. La voie la plus satisfaisante, selon moi, est de réduire le concept de procédure finie à celui d’une machine dotée d’un nombre fini de parties, ainsi que l’a fait le mathématicien britannique Turing. En ce qui concerne les conséquences des résultats en question, je ne pense pas qu’ils aient été discutés adéquatement ou même simplement remarqués.

Les résultats métamathématiques que j’ai en tête sont tous axés sur, ou, pourrait-on même dire, sont seulement différents aspects d’un fait fondamental, qui pourrait être appelé l’incomplétude ou l’inexhaustivité des mathématiques. On rencontre ce fait dans sa forme la plus simple lorsque la méthode axiomatique est appliquée, non pas à quelque système hypothético-déductif comme la géométrie (où les mathématiciens ne peuvent asserter que la vérité conditionnelle des théorèmes), mais aux mathématiques à proprement parler, c’est-à-dire au corps de ces propositions mathématiques, qui ont un sens absolu, sans recours à aucune hypothèse supplémentaire. Il doit exister des propositions  de ce type, car sinon il ne pourrait exister non plus aucun théorème hypothétique.  Par exemple, certaines implications de la forme : si tels et tels axiomes sont supposés, alors on a tels et tels théorèmes, doivent être nécessairement vraies en un sens absolu. De la même manière, tout théorème de la théorie des nombres finitaire tel que 2+2=4 est, sans aucun doute, de ce type. Evidemment, la tâche qui consiste à axiomatiser les mathématiques proprement dites diffère de la conception de l’axiomatique qui a eu cours jusqu’à présent, puisque les axiomes ne sont pas arbitraires, mais doivent être des propositions mathématiques correctes et, en outre, évidentes sans preuve ; on ne peut échapper à la nécessité de supposer certains axiomes ou règles d’inférence évidents sans preuve parce que les preuves doivent avoir un point de départ. Néanmoins, il existe des vues largement divergentes quant à l’extension des mathématiques proprement dites, telles que je les ai définies. Les intuitionnistes et les finitistes, par exemple, rejettent certains de ses axiomes et concepts, que d’autres acceptent, comme la loi du tiers exclu ou le concept général d’ensemble.

Le phénomène d’inexhaustibilité des mathématiques, cependant, est toujours présent sous quelque forme, quel que soit le point de vue. Je pourrais donc également expliquer ceci à partir du point de vue le plus simple et naturel, qui prend les mathématiques telles qu’elles sont, sans les restreindre sous la critique. De ce point de vue, toutes les mathématiques sont réductibles à la théorie abstraite des ensembles. Par exemple la proposition selon laquelle les axiomes de la géométrie projective impliquent un certain théorème signifie que, si un ensemble M d’éléments appelés points et un ensemble N de sous ensembles de M appelés lignes droites satisfait les axiomes, alors le théorème est valide pour N et M. Ou, pour mentionner un autre exemple, un théorème de théorie des nombres  peut être interprété comme une assertion à propos des ensembles finis. Le problème en question est donc l’axiomatisation de la théorie des ensembles. Maintenant, si l’on s’attaque à ce problème, le résultat est tout à fait différent de ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. Au lieu de se retrouver finalement avec un nombre fini d’axiomes, comme en géométrie, l’on a affaire à des séries infinies d’axiomes qui peuvent s’étendre ad libitum, sans aucune limite visible et, apparemment, sans aucune possibilité d’inclure ces axiomes dans une règle finie qui les produise. Ce qui arrive dans le cas où, si l’on veut éviter les paradoxes de la théorie des ensembles sans avoir recours à quelque chose de complément étranger à la procédure mathématique réelle, le concept d’ensemble doit être axiomatisé progressivement.

Si, par exemple, nous commençons par les nombres entiers, c’est-à-dire par les ensembles finis d’une espèce particulière, nous avons d’abord les ensembles d’entiers et les axiomes qui s’y référent (axiomes du premier niveau), puis les ensembles d’ensembles d’entiers avec leurs axiomes (axiomes du deuxième niveau), etc., de même pour toute itération finie de l’opération « ensemble de ». Nous avons ensuite l’ensemble de tous ces ensembles d’ordre fini. Mais nous pouvons maintenant traiter cet ensemble exactement de la même manière que nous l’avons fait auparavant avec l’ensemble des entiers, c’est-à-dire considérer ses sous-ensembles (i.e. les ensembles d’ordre ω) et formuler les axiomes concernant leur existence. Cette procédure peut évidemment être itérée au-delà d’ω, et en fait jusqu’à n’importe quel nombre ordinal transfini. Ainsi, peut-il être requis que l’axiome suivant consiste en ceci que l’itération est possible pour tout ordinal, c’est-à-dire pour n’importe quel type d’ordre appartenant à un ensemble bien ordonné. Mais atteignons-nous maintenant une limite ? En aucune manière, puisque nous avons maintenant une nouvelle opération pour former des ensembles, à savoir en formant un ensemble à partir d’un ensemble initial A et d’un ensemble bien ordonné B en appliquant l’opération « ensemble de » à A autant de fois que l’indique l’ensemble bien ordonné B. Et, en posant B égal à un bon ordre de A, nous pouvons maintenant itérer cette nouvelle opération, et la réitérer dans le transfini. Ceci donnera naissance à encore une nouvelle opération, que nous pouvons traiter de la même manière etc. La prochaine étape sera d’exiger que toute opération produisant des ensembles à partir d’ensembles puisse être itérée jusqu’à n’importe quel nombre ordinal (i.e. type d’ordre d’un ensemble bien ordonné). Atteignons-nous cependant maintenant une limite ? Non, parce que nous pouvons exiger que la procédure qui vient d’être décrite puisse non seulement être effectuée avec n’importe quelle opération, mais que, bien plus, il doive exister un ensemble ayant la propriété telle que, si cette procédure (avec n’importe quelle opération) est appliquée aux éléments de cet ensemble, on a de nouveau le rassemblement des éléments de cet ensemble.

Vous vous apercevrez, je pense, que nous n’atteignons toujours pas une limite, et qu’il ne peut pas y avoir de limite à cette procédure de formations d’axiomes, car la formulation même des axiomes jusqu’à un certain degré donne naissance à l’axiome suivant. Il est vrai que dans les mathématiques d’aujourd’hui, les plus hauts niveaux de cette hiérarchie ne sont pratiquement jamais utilisés. On peut dire que 99,9 % des mathématiques actuelles sont contenues dans les trois premiers niveaux de cette hiérarchie. En ce qui concerne les buts pratiques, toutes les mathématiques peuvent donc être réduites à un nombre fini d’axiomes. Ceci n’est toutefois qu’un simple accident historique, qui n’a aucune importance pour les questions de principe. De plus, il n’est pas totalement improbable que cette caractéristique des mathématiques actuelles puisse avoir quelque chose à voir avec une autre de ses caractéristiques, nommément son incapacité à prouver certains théorèmes fondamentaux, telle l’hypothèse de Riemann par exemple, et ce malgré de nombreuses années d’efforts. On peut montrer que les axiomes pour les ensembles de plus haut niveau, quant à leur pertinence, ne sont en aucune manière réservés à ces ensembles, mais, au contraire, ont même des conséquences pour le niveau-0, c’est-à-dire la théorie des entiers.
 

 

(A SUIVRE)

 

 

01/04/2008

Strictissimae interpretationis

 

 « Au commencement était le calembour. » (Beckett)

 

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« Qu’on comprenne bien ce que nous disons : jeux de mots, quand ce sont nos plus sûres raisons d’être qui sont en jeu. » (Breton)